La vie comme elle va
Le 24 avril 2012
Proche du documentaire dans sa forme et ses intentions, La Rizière plante ses caméras dans une Chine profonde invisible des écrans de cinéma. Dommage que sa base fictionnelle, trop didactique, nuise un peu au voyage.
- Réalisateur : Xiaoling Zhu
- Acteurs : Yang Yinqiu, Xiang Chuifen
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 1h20mn
- Date de sortie : 2 mai 2012
L'a vu
Veut le voir
Proche du documentaire dans sa forme et ses intentions, La Rizière plante ses caméras dans une Chine profonde invisible des écrans de cinéma. Dommage que sa base fictionnelle, trop didactique, nuise un peu au voyage.
L’argument : Chronique d’un village du sud de la Chine, qui nous fait découvrir la vie d’A Qiu, une fille de 12 ans, et celle de sa famille, pendant quatre saisons au milieu des rizières. La mort de la grand-mère qui élevait ses petits enfants va obliger les parents à quitter leur travail sur des chantiers en ville et à revenir vivre au village. Au croisement de la modernité et de la tradition, la petite A Qiu a décidé qu’elle deviendrait écrivain, un jour...
Notre avis : Si l’on se place d’un point de vue anthropologique ou ethnologique, La Rizière est un événement considérable : il s’agit du premier film entièrement tourné en langue Dong, dialecte partagé par tous les membres d’une minorité (quatre millions d’habitants) dans l’une des nombreuses provinces que compte la Chine. Le premier long-métrage de Xialing Zhu suit le quotidien de ce peuple Dong solidement ancré dans les montagnes du Guangxi, attaché à des coutumes que l’on devine millénaires, mais progressivement atteint par les us de la ville qui grignote les vallées alentour. Opposition sociétale, mais aussi géographique, que le film s’attache à mettre en valeur dans son discours ; le monde que l’on voit ici est en voie d’extinction, parmi les derniers fiefs d’un savoir ancestral que les nouvelles générations auront tendance à délaisser. C’est également l’argument fort de La Rizière, et sa nécessité première : jouer la carte de la préservation (des paysages, des traditions) voire, dans ses moments les plus forts, du cri d’alarme.
D’un point de vue plus cinématographique, l’enjeu est évidemment tout autre, même si, par certains aspects, La Rizière ne s’en sort pas mal. Il y a d’abord le plaisir, réel, de plonger dans cet univers inconnu où tout se fait à l’ancienne, où la paysannerie et l’artisanat ont encore droit de cité. Construire une maison, élever un buffle (animal auquel sont attachées plusieurs légendes locales), labourer un champ, planter les pousses, ramasser le riz, le trier et le cuisiner : tout se fait à la main ou à l’aide d’instruments en bois rudimentaires. Ce n’est pas un monde où « le temps s’est arrêté », selon une expression galvaudé et au pittoresque fatigué, mais plutôt un microcosme où le temps suit un rythme différent, plus ouvert à l’alternance des saisons, à la trajectoire des astres et au souffle des montagnes. La majesté évidente des décors est encore magnifiée par des cadres précis, une attention au mouvement de la Nature et aux frôlements des rayons de soleil, à peine ternis par l’image numérique (qui sait tirer parti de ses faibles moyens). Plus dispensable en revanche, la musique de Bruno Coulais fait résonner les gestes et les paysages d’accents « world » qui en étiolent l’authenticité et les enrobent dans un imaginaire de conte un peu gnan-gnan.
C’est là, principalement, que le bât blesse. Sans doute pour échapper à la case « National Geographic » auquel on aurait tôt fait de réduire La Rizière, Xiaoling Zhu tresse un canevas de fiction vaguement autobiographique autour de sa description (très forte en elle-même) du peuple Dong. Si les personnages, incarnés par des comédiens professionnels, sont attachants à leurs heures (le frère adepte de jeux vidéos, le grand-père architecte), ils se cristallisent autour d’une figure centrale qui porte en elle une ’’intentionnalité’’ scénaristique un peu trop schématique. Petite fille qui rêve de devenir écrivain dans un monde sans écriture, où la culture ne se transmet qu’à l’oral (sa mère vit en interprétant de chants traditionnels), A Qiu joue le rôle du ’’passeur’’ dans toute son évidence, apte à graver dans le marbre l’histoire d’un peuple évanescent. L’éternel récit d’initiation, assorti de l’opposition tradition/modernité, semé de passages obligés (voix-off, espoirs déçus et leçons de l’expérience), diffuse une pédagogie très appuyée qui achève d’enjoliver le sujet ; en se voulant ’’universelle’’ (l’ambition ne fait aucun doute), Xiaoling Zhu destine principalement son film aux 8-14 ans, probablement sans le vouloir.
La Rizière est un produit finalement étrange, aux apports informatifs indéniables, prêchant une ’’sérénité’’ toute orientale qui ne pourra être que profitable à ses spectateurs. Il réalise un grand écart plutôt curieux entre la cruauté naturaliste de ce qu’il donne à voir (mort de la grand-mère, chômage, précarité, échec généralisé des projets entrepris par la famille) et la douceur avec laquelle il le traite à l’écran. Un hiatus qui explose dans un dénouement étonnamment abrupt, drame terrible qui s’est invité dans le scénario (il a réellement eu lieu dans le village où le film a été tourné) et le referme comme un couperet, balayant la lumière entrevue pendant l’heure précédente. Avant cela, le refus d’une dramatisation outrancière pourra être vu comme une sagesse du cru : quelque chose d’une philosophie du lâcher-prise, de la confiance dans le Tout, de l’acceptation de la vie comme elle va. A moins d’y voir, une fois de plus, le statut bancal d’une co-production franco-chinoise, qui aura constamment hésité entre le témoignage brut et la fable gentillette.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.