Un coeur simple
Le 24 décembre 2003
Aussi insupportable que généreuse et digne, Emerence est la bouleversante héroïne de Magda Szabó dont l’ouvrage La porte a été couronné par le prix Femina étranger.


- Auteur : Magda Szabó
- Editeur : Viviane Hamy
- Genre : Roman & fiction
- Prix : FÉMINA ÉTRANGER

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Il y a des personnages de roman qui imprègnent à jamais la mémoire des lecteurs. La bouleversante héroïne de l’écrivaine hongroise Magda Szabó agace et émeut tant au cours de la lecture du livre La porte qu’elle rejoindra certainement cette cohorte de fantômes magnifiques qui hantent les pages inoubliables de la littérature. Bien qu’entourée de quelques amies imaginées par l’auteur, Emerence n’est néanmoins pas un personnage de fiction mais celle qui devint au fil des temps une seconde mère pour l’auteur.
La première fois où Magda Szabó rencontra celle qui devait devenir la sainte patronne de son logis, cette dernière déclara "je ne lave pas le linge de n’importe qui" et réclama des références de la part de sa future patronne. Cette première exigence a préfiguré une relation mouvementée et terriblement passionnée entre l’écrivaine et Emerence, concierge, femme de ménage et "pure comme les étoiles". Pendant plus de vingt ans, elle déchargea Magda Szabó et son mari des tracas domestiques, astiquant, cuisinant et balayant sans cesse. Coiffée toujours de son éternel foulard, elle assortissait son travail de commentaires ironiques et parfois cruels, ne manquant jamais d’observer avec son habituelle sagesse les erreurs des uns et des autres.
Mais si Emerence a rapidement imposé sa présence et sa forte personnalité dans l’univers du couple, elle a également su à sa façon leur apporter une affection et un soutien inconditionnel dans les moments les plus difficiles en ouvrant peu à peu la porte de son intimité et les secrets de son passé. La vieille femme a en effet traversé avec courage et don de soi les périodes troubles de l’histoire hongroise en protégeant les plus faibles qu’ils soient prisonniers allemands, russes ou enfant juif au prix parfois de son honneur et de son propre bonheur. Son passé a nourri un anticléricalisme absolu comme une incompréhension du monde des idées et de la politique. Imprévisible, coléreuse, susceptible, Emerence n’était certes pas d’un caractère facile mais elle aima sa Magdouchka "vraiment sans réserve, avec gravité comme si elle avait pris conscience que l’affection est un engagement, une passion remplie de risques et de dangers."
Evitant toute sensiblerie inutile et affectée, Magda Szabó a su raconter Emerence avec honnêteté et délicatesse à travers des mots justes et suffisamment précis pour nous bouleverser. Récompensé à juste titre par le jury du Femina étranger, La porte est l’occasion pour les lecteurs français de découvrir un auteur aujourd’hui unanimement reconnu dans son pays.
Magda Szabó, La porte (traduit du hongrois par Chantal Philippe), Éd. Viviane Hamy, 2003, 280 pages, 21,50 €