Une dame très respectable
Le 9 mai 2012
Tout en se présentant sous l’apparence souriante d’une comédie balnéaire en Ferraniacolor, ce beau film de Lattuada est une critique acerbe et désabusée de l’hypocrisie bourgeoise dans l’Italie des années 50.
- Réalisateur : Alberto Lattuada
- Acteurs : Martine Carol, Raf Vallone, Mario Carotenuto, Carlo Romano, Clelia Matania, Valeria Moriconi, Rosy Mazzacurati
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Italien
- Durée : 1h40mn
- Titre original : La spiaggia
- Date de sortie : 24 avril 1954
L'a vu
Veut le voir
– Tournage : été 1953 (82 jours)
– Sortie en Italie : 25 février 1954
– Entrées France : 1 997 200
Tout en se présentant sous l’apparence souriante d’une comédie balnéaire en Ferraniacolor, ce beau film de Lattuada est une critique acerbe et désabusée de l’hypocrisie bourgeoise dans l’Italie des années 50.
- Martine Carol et Valeria Moriconi dans La spiaggia (Lattuada 1953)
L’argument : A la gare Centrale de Milan, une élégante jeune femme blonde, Anna Maria Mentorsi, récupère sa fille Caterina, en pension chez les religieuses, pour passer avec elle deux semaines de vacances sur la côte Ligure.
Dans le train qui les mène à la station balnéaire de Terrazi elles font la connaissance du sympathique Silvio qui les convainc, ainsi que d’autre voyageurs, de descendre à Pontorno, la petite ville dont on découvrira bientôt qu’il est le maire.
Les autres hôtels étant pleins, Anna Maria et sa fille s’installent dans le luxueux Hotel Palace. Prise pour une jeune veuve de la bonne société, elle est parfaitement acceptée jusqu’à ce qu’un client de passage révèle qu’elle vit en réalité de la prostitution, l’exposant à un ostracisme général que Silvio, qui tente de l’aider, ne parvient pas à briser.
Mais un retournement d’attitude subit s’opère lorsque le milliardaire Chiastrino, vieillard cynique courtisé par tous, lui offre son bras pour traverser la promenade qui longe la plage.
- Martine Carol dans La spiaggia (Lattuada 1953)
Notre avis : A première vue, La spiaggia (La plage, titre français La pensionnaire), avec son décor estival et ses couleurs pimpantes, en Ferraniacolor, se rattache au genre de la comédie balnéaire inoffensive et bon enfant dont le cinéma italien des années 50 a produit nombre d’exemplaires, souvent forts sympathiques d’ailleurs.
Comme la plupart de ces films, celui de Lattuada adopte une structure chorale et consiste en une suite de saynètes mettant en scène des personnages ridicules ou pittoresques et l’axe principal, l’histoire de la prostituée en villégiature avec sa fille, s’y entrelace avec d’autres récits (l’entrepreneur qui tente désespérément d’attirer l’attention du milliardaire, la jeune droguée existentialiste qui essaye de se faire prêter de l’argent, le couple suédois à la relation intellectuelle, le gamin apprenti-escroc, ...).
Mais dès la séquence d’ouverture, située dans une gare de Milan bien glauque, l’attitude peu aimable des deux religieuses retranchées dans leur uniforme et leur quant-à-soi au moment de remettre la petite fille à sa mère pour le temps des vacances dissipe d’emblée toute équivoque : le ton sera acerbe et l’humour caustique, sans aménité.
- La spiaggia (Lattuada 1953)
Car le sujet, d’après Lattuada lui-même, est l’hypocrisie et ce film où, selon lui, les putains étaient respectables et les dames respectables étaient des putains, est une attaque en règle des valeurs traditionnelles de la bourgeoisie.
Parmi les scènes les plus éloquentes on relèvera celle où l’héroïne, au moment de payer l’addition sur la terrasse de l’hôtel, sort imprudemment une liasse de billets qu’un coup de vent fait s’envoler et que ses voisins s’empressent de ramasser pour les lui rapporter, à l’exception d’une dame très bien sous tous rapports qui en glisse un discrètement dans son sac à main.
- Martine Carol et Raf Vallone dans La spiaggia (Lattuada 1953)
La morale de cette vision cynique est plusieurs fois formulée sans équivoque par le milliardaire qui fait office de deus ex machina bien peu recommandable (sa fortune reposant, de son propre aveu, sur des pratiques malhonnêtes) comme dans la scène où il donne le premier prix d’un concours de châteaux de sable à la pitoyable réalisation de la fille de l’héroïne en justifiant ce choix surprenant d’un : C’est le moins beau, mais les enfants doivent s’habituer le plus tôt possible à l’injustice !.
La mise en scène de Lattuada, précise et sans graisse, ne souligne pas de manière redondante les intentions du scénario mais déploie, avec un sens visuel affirmé, un séduisant monde d’apparences, un univers de taches de couleurs en se gardant surtout d’arrondir les angles.
Le ton général est moins à la caricature, acérée mais pas vraiment méchante, qu’à une révolte impuissante, une tristesse résignée qui débouche logiquement sur un faux happy end. Celui-ci consacre la défaite du héros positif (le maire communiste luttant contre les préjugés) et accorde à celle qu’on méprisait une revanche au goût bien amer.
- Mario Carotenuto et Clelia Matania dans La spiaggia (Lattuada 1953)
Des acteurs au métier rodé (Mario Carotenuto, Clelia Catania déchaînés en monstres d’égoïsme, horripilants produits du miracle économique déjà amorcé en 1953) et quelques non-professionnels (dont le vieil aristocrate qui interprète le rôle du milliardaire) entourent Raf Vallone, en maire mécanicien idéaliste, et Martine Carol qui, doublée en Italien par Dhia Cristiani, trouvait là, avant celui de Lola Montès, un rôle peu conforme à son emploi habituel.
La notoriété de ces deux stars a certainement contribué à la très large diffusion internationale du film, parfois sous des titres relevant du contre sens (Redenciòn de una mujer / Rédemption d’une femme !). Pourtant, cette Spiaggia, que la censure italienne a amputé de quelques plans jugés trop osés, ne cherche pas franchement à être aimable ni à conforter les idées toutes faites.
C’est une des très belles réussites d’un cinéaste dont les films trompent leur monde en masquant un regard affuté et sans complaisance sous un souci affiché de perfection formelle.
- La spiaggia (Lattuada 1953) - DVD italien
- La spiaggia (Lattuada 1953) - affiche française
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.