Bosse ou crève
Le 10 décembre 2020
Grand retour de Clint Eastwood, à la fois devant et derrière la caméra, dans un drame parfaitement écrit, à la mise en scène solide et discrète, qui brille par sa bienveillance et son humanisme.
- Réalisateur : Clint Eastwood
- Acteurs : Clint Eastwood, Michael Peña, Bradley Cooper , Taissa Farmiga, Manny Montana
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 1h56mn
- Date télé : 4 mars 2024 21:10
- Chaîne : France 3
- Titre original : The Mule
- Date de sortie : 23 janvier 2019
Résumé : À plus de quatre-vingts ans, Earl Stone est aux abois. Il est non seulement fauché et seul, mais son entreprise risque d’être saisie. Il accepte alors un boulot qui – en apparence – ne lui demande que de faire le chauffeur. Sauf que, sans le savoir, il s’est engagé à être passeur de drogue pour un cartel mexicain. Extrêmement performant, il transporte des cargaisons de plus en plus importantes. Ce qui pousse les chefs du cartel, toujours méfiants, à lui imposer un "supérieur" chargé de le surveiller. Mais ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à lui : l’agent de la DEA Colin Bates est plus qu’intrigué par cette nouvelle "mule". Entre la police, les hommes de main du cartel et les fantômes du passé menaçant de le rattraper, Earl est désormais lancé dans une vertigineuse course contre la montre...
Critique : Dans ses meilleurs films, Clint Eastwood déploie l’art délicat du mélodrame. Il se met en scène lui-même avec une certaine sécheresse, voire une économie dans sa grammaire cinématographique, mise au service de personnages souvent taciturnes, souvent isolés ou en colère avec le monde entier.
La Mule est sa seconde collaboration avec le scénariste Nick Schenk qui, après Gran Torino, s’inspire ici d’une histoire vraie, celle de Leo Sharp, vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui, à 90 ans, est devenu transporteur de drogue pour le cartel de Sinaloa dans les années 2000, à la suite de problèmes financiers.
- © crédit photo : Warner Bros. Entertainment Inc., Imperative Entertainment, LLC, and BRON Creative USA, Corp. All Rights Reserved.
Eastwood n’est plus ici ce vieux bougon au cœur de pierre dont la trajectoire en cour de film, au contact de l’autre, devient source d’émotions (Million Dollar Baby, Gran Torino). Au contraire, c’est un homme charmant, horticulteur de par sa profession, qui voit son affaire péricliter avec le déploiement d’internet et qui, pour s’en sortir, trouve par hasard cette opportunité de job de transporteur, lui qui adore avaler des kilomètres d’asphalte au volant de son pick-up.
Avec l’argent qu’il se fait, il sauve un club de vétérans. Il n’hésite pas non plus à dépanner une famille bloquée sur le bord de la route, malgré la surveillance dont il fait l’objet par un ponte du cartel. Et puis il y a une malice dans ses yeux que l’on ne connaissait presque plus chez Clint Eastwood, des petites blagues qui fusent, des sourires.
Mais si sociable que soit son personnage, le drame se tisse dans sa cellule familiale. Earl Stone (double fictionnel de Léo Sharp) n’a jamais fait que travailler, et a complètement délaissé femme et enfant, si bien qu’il n’y a plus que sa petite-fille pour garder contact avec lui, et le défendre.
Contrairement aux idées reçues, La Mule n’est donc pas un film de traque, même si l’enquête de la DEA, menée par le personnage de Bradley Cooper, tout en sobriété, apporte une tension efficace au scénario, puisque au fur et à mesure qu’il se rapproche de Stone, on commence à craindre pour ce vieux bonhomme que l’on a évidemment tout de suite pris en affection. On retrouve aussi la rigueur de Nick Schenk, dans l’évocation de l’organisation d’un cartel de drogue, fort de son expérience sur la saison 3 de Narcos.
Eastwood joue ainsi avec plusieurs couches de son cinéma, mais toujours au service d’un mélodrame sur les liens familiaux patiemment construits. Il y a l’idée qu’il n’est jamais trop tard, même à 90 ans, pour demander pardon et apprendre à connaître son prochain.
- © crédit photo : Warner Bros. Entertainment Inc., Imperative Entertainment, LLC, and BRON Creative USA, Corp. All Rights Reserved.
Au delà de l’intime, on peut y voir un état des lieux de la société américaine. Délaissant son exploration de la figure du héros américain, déclinée dans une large partie de sa filmographie, Eastwood prend le temps de faire exister à l’écran divers représentants de la classe moyenne, celle qui s’appauvrit. Les « courses » que son personnage réalise sont autant d’étapes dans le récit qui permettent, une fois évacuées, de se concentrer sur les moments de creux, où le personnage tente de réintégrer la cellule familiale et où il prend conscience des difficultés qu’éprouvent ses amis.
Jamais le réalisateur ne force le propos, jamais il n’en fait un discours lénifiant. Puisqu’il n’est ni dans le désespoir, ni dans le misérabilisme, la démarche incertaine et le sourire en coin, c’est donc au spectateur de saisir le tableau général.
Des vieillards qui se tuent à la tâche et qui peuvent du jour au lendemain être expropriés, un club de vétérans qui n’a plus les moyens d’exister, le niveau de vie dégringolant qui oriente certains à se tourner vers des activités illégales… Même le racisme institutionnel est évoqué, au détour d’une ou deux phrases envers les Mexicains mais aussi envers une famille afro-américaine, bloquée sur le bord de la route, qu’Earl Stone dépanne avec plaisir, mais sans pouvoir s’empêcher de la qualifier de « nègre(s) ».
Malgré son sujet, Eastwood observe tous ces personnages avec la même bienveillance. Il en comprend les parts d’ombre, les failles, mais n’en juge aucun, en particulier son propre personnage. Si l’auteur ne clôt pas son film en tragédie bouleversante, comme certains de ses précédents longs métrages, il referme La Mule avec une certaine mélancolie, celle du temps qui a passé et des regrets, en laissant discrètement échapper que non, même en ces temps de fantasme du « plein emploi », le travail ne fait pas une vie.
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ceciloule 3 février 2019
La mule - Clint Eastwood - critique
Entièrement d’accord avec vous. On n’est jamais dans le mélodrame, toujours dans l’implicite, tout est fait en délicatesse et en finesse. Le jeu d’acteur est fabuleux, les dénonciations de certains faits de société américains sont là, la bande-son est géniale, le suspense est au rendez-vous. Les paysages américains en toile de fond rendent le graphisme du film encore meilleur et servent de leitmotiv à ces interminables courses. J’adore (pour en savoir plus : https://pamolico.wordpress.com/2019/02/03/a-day-lily-la-mule-clint-eastwood/)
magicphd 24 mars 2019
La mule - Clint Eastwood - critique
La leçon du lys dans la vallée du Rio Grande.
Avez vous remarqué que l’actrice qui joue la fille de Clint Eastwood (belle plante blonde entre deux âges) dans « la mule » est sa vraie fille dans la vie ?
En fait, c’est donc plutôt un film testamentaire, allégorique de sa propre existence qu’il a traversée en belle homme charmeur profitant des femmes et de la vie ( fuyant le foyer des qu’une de ses femmes s’apercevait qu’il avait une autre vie, d’autres enfants (authentique !) … et oui ,il est comme ça notre homme Clint. Jouisseur mais pas méchant, juste un peu lâche et égoïste. Beau gars macho des années de guerre ayant un rapport viril aux femmes et au monde .
Il passe ainsi le relais à Bradley Cooper : beau mâle moderne lui aussi, alter égo de son temps à qui il transmet les conséquences de la vraie vie qui passe trop vite (dans vieillesse il y a vie il y a violence)…
Bref, sois viril mon fils ! mais sois aussi un humain doux et gentil . il n’y a pas plus aimable que Clint sur un plateau . il ne hurle pas « action ! » à ses acteurs mais chuchote lentement un « quand vous voulez »…
Traversons alors la vie en chantonnant confortablement : en faisant une pause de temps en temps, médisant avec humour la vérité à nos contemporains puis donnons l’exemple en étant présent à l’instant (à l’autre) tout en demeurant généreux.
Voici sa leçon -non pas simpliste- mais simple comme un objectif évident car inaccessible de toute vie humaine réussie selon lui. Plaidant sur le tard coupable d’être lui même. Fichue tête de mule.
magicphd 24 mars 2019
La mule - Clint Eastwood - critique
La leçon du lys dans la vallée du Rio Grande.
Avez vous remarqué que l’actrice qui joue la fille de Clint Eastwood (belle plante blonde entre deux âges) dans « la mule » est sa vraie fille dans la vie ?
En fait, c’est donc plutôt un film testamentaire, allégorique de sa propre existence qu’il a traversée en belle homme charmeur profitant des femmes et de la vie ( fuyant le foyer des qu’une de ses femmes s’apercevait qu’il avait une autre vie, d’autres enfants (authentique !) … et oui ,il est comme ça notre homme Clint. Jouisseur mais pas méchant, juste un peu lâche et égoïste. Beau gars macho des années de guerre ayant un rapport viril aux femmes et au monde .
Il passe ainsi le relais à Bradley Cooper : beau mâle moderne lui aussi, alter égo de son temps à qui il transmet les conséquences de la vraie vie qui passe trop vite (dans vieillesse il y a vie il y a violence)…
Bref, sois viril mon fils ! mais sois aussi un humain doux et gentil . il n’y a pas plus aimable que Clint sur un plateau . il ne hurle pas « action ! » à ses acteurs mais chuchote lentement un « quand vous voulez »…
Traversons alors la vie en chantonnant confortablement : en faisant une pause de temps en temps, médisant avec humour la vérité à nos contemporains puis donnons l’exemple en étant présent à l’instant (à l’autre) tout en demeurant généreux.
Voici sa leçon -non pas simpliste- mais simple comme un objectif évident car inaccessible de toute vie humaine réussie selon lui. Plaidant sur le tard coupable d’être lui même. Fichue tête de mule.