Le 5 décembre 2018
Le doute jusqu’au vertige : sans avoir l’air d’y toucher, ce court récit flirte avec le fantastique le plus déstabilisant
- Auteur : Emmanuel Carrère
- Editeur : Gallimard, Editions P.O.L
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Plus d'informations : Le site officiel
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Parution initiale : 1er mars 1986 (P.O.L)
Edition Folio Poche : 16 juin 2005 (Gallimard)
Résumé : Un jour, pensant faire sourire votre femme et vos amis, vous rasez la moustache que vous portiez depuis dix ans. Personne ne le remarque ou, pire, chacun feint de ne l’avoir pas remarqué, et c’est vous qui souriez jaune. Tellement jaune que, bientôt, vous ne souriez plus du tout. Vous insistez, on vous assure que vous n’avez jamais eu de moustache. Deviendriez-vous fou ? Voudrait-on vous le faire croire ? Ou quelque chose, dans l’ordre du monde, se serait-il détraqué à vos dépens ? L’histoire, en tout cas, finit forcément très mal et, d’interprétations impossibles en fuite irraisonnée, ne vous laisse aucune porte de sortie. Ou bien si, une, qu’ouvrent les dernières pages et qu’il est fortement déconseillé d’emprunter pour entrer dans le livre. Vous voici prévenu.
Notre avis : Emmanuel Carrère a toujours aimé les marges, qu’elles s’incarnent dans les personnages ou qu’elles s’épanouissent dans les situations. Beaucoup se souviennent de L’adversaire, récit inspiré par l’incroyable histoire de Jean-Claude Romand, pas mal se rappellent le cauchemar vécu par Nicolas, dans La classe de neige, pour ne citer que ces deux oeuvres, sans oublier les autres, dont la cohérence et la qualité d’écriture ont, depuis longtemps, assuré une légitimité littéraire à son auteur. En 1986, Carrère publie l’un de ses plus labyrinthiques romans, d’autant plus effrayant que son postulat, résumable en une ligne, devient une pelote inextricable dans laquelle l’imagination du lecteur se trouve piégée, les twists narratifs se succédant, sans altérer la cause initiale de ce qui advient, grâce à l’obsession du narrateur.
Pour ce dernier, finalement, il s’agit bien de savoir si le monde devient fou ou si lui-même n’a jamais coupé cette moustache, auquel cas son internement psychiatrique résoudrait le problème, réglerait la question de ce doute éminemment fantastique, au sens où le critique structuraliste Tzvetan Todorov l’entendait, lorsque la frontière entre une interprétation naturelle et une interprétation surnaturelle devient aussi fragile que la situation du protagoniste. Imaginez un seul instant la conviction éternellement contrariée d’un homme qui se heurte sans cesse à des dénégations, et son désarroi, surtout lorsque les réactions incrédules proviennent de son entourage, en premier lieu d’Agnès sa compagne, et qu’affrontant un environnement devenu hostile, la fuite soit le seul moyen de tout recommencer.
Mais recommencer quoi, finalement ? L’errance dans une ville lointaine ne fait pas disparaître ce corps qui, à Paris, affronta l’humiliation. Au bout de l’incompréhension, dans une chambre d’hôtel, l’impensable finira par se produire.
En moins de deux cents pages, Carrère parvient à condenser le suspens comme de la nitroglycérine. Jusqu’à l’explosion finale.
Parution : 16-08-2005
Folio Poche, Gallimard
182 pages, 10,7 x 1,3 x 17,5 cm
Otto Dix, Le dieu des coiffeurs © ADAGP 2008 Collection Buchheim
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