Le 12 août 2019
- BD CULTE
- Scénariste : David B>
- Dessinateur : David B
- Coloriste : Thomasine
- Collection : Aire Libre
- Genre : Fantastique, Guerre
- Editeur : Dupuis
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 23 juin 2001
Avec La lecture des ruines, David B. a obtenu le Grand prix Virgin de la BD 2002 pour un album ambitieux et visionnaire. Il creuse un peu plus profond la tranchée dans laquelle Jacques Tardi avait ancré quelques-unes de ses plus belles histoires sur la Première Guerre mondiale.
14-18. La Grande Faucheuse tourne une page majeure de la littérature. Exit Alain-Fournier. Exit Charles Péguy. Exit Guillaume Apollinaire. Dans le même temps, Tristan Tzara, André Breton, Jacques Vaché établissent un nouveau front dans le cadavre de la littérature mondiale. Attaque frontale et frappe chirurgicale en plein sur l’inconscient.
David B. s’engouffre à son tour dans cette brèche avec une faculté toute "jungienne" pour déterrer les fantômes et les cauchemars de la guerre. Avec lui resurgissent tous les grands et petits mythes des Poilus, puisant dans la fournaise de l’inconscient collectif. Prémonitions, déjà-vu, signes avant-coureurs, superstitions qui habillent la Mort d’oripeaux immérités. Les tentatives de conjuration sont pathétiques face à l’armée des ombres. Malgré cela, tous les moyens sont bons pour exorciser ce spectre protéiforme qui se cache dans les flammes, dans la boue ou dans les uniformes de l’armée ennemie.
L’apparition finale d’une déesse ( ?), deus ex machina, nous surprend à peine. Entre-temps, l’ingénieur Hellequin, moins au service de l’armée qu’à celui de l’onirisme, nous a enseigné la lecture des désastres ou comment décrypter les ruines et les gueules cassées. Hellequin est, à lui seul, un missile vaguement "Patriote" spécialisé dans le minage des réalités. S’il conçoit des armes, c’est pour extraire de la guerre les derniers reliquats de rationalité. Ses machines sont absurdes et poétiques tout comme son nom ("Arlequin de l’Enfer" en anglais). Comble du paradoxe, son visage de "croque-la-mort" contredit sa véritable mission : sauver l’humanité. Son arche ? Un char embourbé où il réunit deux espions, un de chaque camp. Un homme, une femme. Air connu.
Guerre connue, vieille comme le monde. Toutefois, les couleurs de David B. apportent un éclairage inédit aux champs de batailles. Les nuits mauves de la guerre se vivent comme dans un rêve. Les corps engloutis ou imbriqués, les monticules de squelettes, les enchevêtrements de barbelés et les torrents de boue semblent signifier la désertion du sens ou l’invasion de nouvelles puissances. Celles de l’inconscient. Les combats s’apparentent à un Totentanz frénétique où les déesses Guerre et Mort jouent une partie d’échec dans laquelle l’humain n’est que le pion. L’absurde règne en maître absolu avec ses dédales de rues, de papiers ou de tranchées. Labyrinthes où les gangs, les armées et les individus s’affrontent pour des raisons qui leur échappent.
Au final, ces ruines sont quelque part aussi belles que les dernières visions d’Apollinaire avant que l’obus terminal ne lui arrache un bout de cervelle :
« Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie »
(Méditation dans Poèmes retrouvés, Poésie/Gallimard).
96 pages - 14,50 €
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