La Gueule du loup - la critique + le test DVD

Notre avis : Disons-le tout de go, a priori, pour un documentaire sur les loups dans le Mercantour, on se prépare à un ennui poli ou un engagement assez théorique. On imagine un documentaire animalier ou un débat polémique … et on a tort. Car le cinéaste, avec une remarquable intelligence, fait de son sujet une réflexion forte, nuancée, et, in fine, très profonde.
Le film commence par des phares qui trouent la nuit ; on se dit que la lumière va être faite sur un thème que les infos reprennent ponctuellement, de manière aussi binaire qu’inutile : pour ou contre le loup. Or, on le comprend très vite, en donnant la parole à des personnalités différentes, Jérôme Ségur ne permettra pas de trancher. Même les scientifiques ne sont pas d’accord : est-il anthropophage, vient-il d’Italie, se contente-t-il de légers « prélèvements » ou décime-t-il les troupeaux ? On n’en sait rien. La grande trouvaille du film, c’est, en ne montrant jamais les loups (hors une séquence dans un parc zoologique), de suggérer que les positions de chacun reposent sur des croyances, des idéologies et non pas sur une réalité inatteignable. Un intervenant insinue même que la psychanalyse pourrait expliquer des comportements irrationnels. On pourrait d’ailleurs soutenir, avec un brin de provocation, que le loup n’existe pas : il n’est que la projection d’itinéraires personnels. Ainsi de ce défenseur qui a développé une misanthropie certaine et réfléchit à sa place dans le monde ou de l’historien qui, cherchant un compromis, se voit accusé de traîtrise par les deux camps. Le loup est multiple, objet de fantasmes plutôt que réalité objective.

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Cette idée séduisante ne peut être efficace que si elle est portée par l’humain : Jérôme Ségur, en ayant passé deux ans sur le terrain, trouve la bonne distance face à ses interlocuteurs. Il sait saisir un moment d’émotion (les larmes d’un berger) ou des péripéties judiciaires. L’humour du défenseur qui porte en médaillon un excrément de loup s’oppose à la virulence du professeur d’université qui parle de « négationnisme ». En mêlant les registres, le cinéaste enregistre un conflit profondément humain porté par des gens passionnés, tel l’ami des loup qui s’est vu abandonné par des amis. Il parvient à croquer des personnalités souvent attachantes, d’une Vivianne partagée à des éleveurs potentiellement violents.

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L’affaire est évidemment politique : le député malmené ou le droit de tuer apparaissent comme le symbole de décisions inappropriées, prises par des élus lointains et constamment désavoués. On serait d’ailleurs bien en peine de savoir quoi faire après le film, tant la réalité s’avère insaisissable. Pourtant une même croyance soutient les ennemis irréconciliables : tous s’opposent à une société consumériste, rejet qu’ils paient parfois d’un prix fort. L’élevage extensif, défendu avec passion, reste marginal et oblige à un isolement à la fois fascinant et exigeant. On comprend que cette manière de vivre signifie une existence plutôt frugale et sans grande réussite financière ; ainsi le spectateur sera-t-il partagé entre admiration et agacement, envie et répulsion. C’est la force du film que de nous introduire dans l’intimité de personnes aussi fascinantes et riches, même dans leurs bougonnements ou mutisme. Et puis, faut-il le préciser, on pourrait entonner avec Jean Ferrat : « que la montagne est belle », tant les images de paysage au soleil, sous la brume ou la neige sont magnifiques et singulièrement apaisantes, l’indifférence de la nature contrastant avec la violence des conflits.

DVD

Une édition de choix.

Les suppléments :
Nombreux et denses, les bonus justifient largement l’achat de ce DVD. Même pour ceux qui ont vu le film en salles, leur variété enrichit puissamment la simple vision. Outre la bande-annonce, un entretien véritablement passionnant avec le cinéaste précise aussi bien les conditions de tournage que les partis-pris (une seule caméra, pas d’équipe, pas de chiffres) ou son opinion nuancé sur le sujet (10 minutes). Autre morceau de choix, huit « rencontres » avec des personnes présentes dans le film, et d’autres pas. On ne détaillera pas ces entretiens, plus ou moins longs, mais toujours fascinants : de José Bové à des éleveurs italiens qui soutiennent que les loups viennent de France, du tueur officiel au président de l’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) qui dépose plainte contre notre pays, tous portent un combat avec passion, et sont parfaitement contradictoires (50 minutes).

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L’image :
La copie proposée rend compte des conditions de tournage : évidemment, on n’est pas dans un studio soigneusement éclairé, d’où une définition sans finesse excessive, néanmoins satisfaisante et méticuleusement reproduite.

Le son :
On ne perdra quasiment rien des dialogues ni des bruitages réalistes (des clochettes des moutons à la marche dans la neige) avec la seule piste 2.0, suffisamment ample et fidèle.