Gueule de bois au réveil
Le 2 janvier 2014
Cette première adaptation de la nouvelle de Selma Lagerlöf est un des chefs d’oeuvre de Sjöström et de la prodigieuse école suédoise des années 1910.
- Réalisateur : Victor Sjöström
- Acteurs : Lars Hanson, Concordia Selander, Hjalmar Selander, Greta Almroth, Karin Molander, Gösta Cederlund, Georg Blomstedt, William Larsson, Thekla Borgh, Jenny Tschernichin-Larsson, Nils Arehn, Edla Rothgardt
- Genre : Comédie dramatique, Film muet
- Nationalité : Suédois
- Durée : 1h27mn (1h14mn pour la version restaurée par la Cinémathèque suédoise)
- Titre original : Tösen från Stormyrtorpet
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– Sortie en Suède : 10 septembre 1917
– Production : AB Svenska Biografteatern
Cette première adaptation de la nouvelle de Selma Lagerlöf est un des chefs d’oeuvre de Sjöström et de la prodigieuse école suédoise des années 1910.
L’argument : Helga, la fille de la tourbière, qui travaille comme servante dans la ferme de Per Månsson, est séduite par son patron et met au monde un enfant que celui-ci refuse de reconnaître.
Devant le conseil du village réuni en tribunal il est même prèt à jurer de son innocence sur la bible mais la jeune femme l’empêche de commettre un parjure et renonce à sa plainte. Son attitude lui assure la soutien d’une partie de la communauté villageoise et Gudmund Erlandsson, le fils d’un riche propriétaire, convainc ses parents de l’engager comme servante chez eux.
Gudmund se fiance à la riche et fière Hildur Persson. Mais lorsque celle-ci, accompagnée de ses parents, rend visite à sa future belle-famille la présence d’Helga chez les Erlandson provoque la stupeur scandalisée et le départ précipité des invités.
Helga décide de quitter son poste. Elle va saluer Gudmund mais le jeune homme est en train de couper du bois et, visiblement contrarié, interrompt à peine sa tâche pour lui serrer la main.
A l’issue d’une soirée très arrosée à l’auberge du village, Gudmund, rentrant chez lui avec ses amis, participe à une rixe. Le lendemain, ne se souvenant de rien et trouvant un couteau cassé dans sa poche, il croit avoir tué un homme au cours de la bagarre.
Il jette d’abord discrètement le couteau dans un étang mais son père le repêche et le jeune homme finit par reconnaître publiquement sa faute au cours de la fête de fiançailles aussitôt interrompue.
Helga disculpe Gudmund et celui-ci finit par admettre que c’est elle qu’il aime vraiment.
Notre avis : Publiée en 1908 dans le recueil En saga om en saga och andra sagor, la nouvelle de Selma Lagerlöf Tösen från Stormyrtorpet a été souvent adaptée au cinéma. Aux productions suédoises de Sjöström (1917) et Gustaf Edgren (1947) se joignent celles réalisées en Allemagne par Detlef Sierck (Das Mädchen vom Moorhof, 1935) puis Gustav Ucicky (1958), en Turquie par Muhsin Ertuğrul (Batakli Damin Kizi, Aysel, 1935) ; en Finlande par Toivo Särkkä (Suotorpan tyttö, 1940) et au Danemark par Alice O’Fredericks (Husmandstøsen, 1952).
- Tösen från Stormyrtorpet (Victor Sjöström 1917)
Nul doute que certaines au moins des versions parlantes méritent le coup d’oeil (celle de Sierck, en tous cas, est remarquable) mais il est probable qu’aucune d’entre elles ne parvienne à égaler en authenticité et en force expressive le film tourné par Sjöström quelques années à peine après la publication de la nouvelle.
On y apprécie d’abord un souci d’exactitude documentaire qui dépasse le simple folklore et fait exister à l’écran tout un monde paysan sans le réduire à la caricature, même si le regard est parfois caustique (un alliage qu’on retrouvera dans le merveilleux Pränstänkan (1920) de Dreyer qui reconnaîtra d’ailleurs sa dette envers le film de Sjöström).
Cet univers n’est pas qu’une toile de fond et le cinéaste, secondé par une troupe d’acteurs exceptionnels, parvient à faire sentir, sans pour autant céder au déterminisme, à quel point personnages et intrigue sont indissociables d’un environnement naturel et social omniprésent.
Tous, des protagonistes au moindre second rôle, ont une présence forte et un caractère affirmé, l’opposition entre les deux jeunes femmes, l’humble Helga (Greta Almroth) et la fière Hildur (Karin Molander), aussi orgueilleuses l’une que l’autre en réalité, étant exacerbée par leur ressemblance physique.
- Karin Molander, Concordia Selander, Lars Hanson : TÖSEN FRÅN STORMYRTORPET (1917)
Mais le véritable centre d’attraction de l’ensemble est Gudmund, le jeune coq de village dont l’assurance et la bonne humeur vont être minées par l’indécision et le sentiment de culpabilité. Le charisme et l’étonnante composition, à la fois extravertie et très calculée, de Lars Hanson offrent au film quelques scènes d’anthologie : concentration cocasse sur son travail lorsque, coupant du bois frénétiquement, il trouve à peine le temps de serrer la main à la jeune femme qui vient lui faire ses adieux ; gueule de bois au réveil après la soirée de beuverie, l’hébétement cédant place peu à peu à la prise de conscience effarée ; aveux publics et crise de sanglots du jeune marié.
- Tösen från Stormyrtorpet (Victor Sjöström 1917)
Mais si le travail de direction d’acteur, cette recherche d’un jeu naturel si éloigné des stéréotypes associés (le plus souvent à tort) au cinéma de cette période, est peut-être ce qui frappe le plus à la vision de Tösen från Stormyrtorpet il faut aussi souligner à quel point la mise en scène de Sjöström est inventive , précise, articulée et totalement rétive ici au symbolisme qui alourdit parfois les autres films du cinéaste (en particulier le pesant Terje Vigen ou même l’admirable Körkarlen / La charrette fantôme).
Citons seulement une scène particulièrement éloquente : celle où Helga, servant les invités lors de la visite de pré-fiançailles, est reconnue par le père de Gudmund qui fronce d’abord le sourcil puis souffle Mais … N’est-ce pas la fille de la tourbière ? à sa femme qui s’empresse d’informer à son tour sa voisine. Après un bref gros plan en insert qui la montre alertée par les chuchotements qu’elle entend derrière elle, la caméra cadre à nouveau Helga de dos, continuant à servir comme si de rien n’était, mais comme écrasée par le poids des regards réprobateurs que pourtant nous ne pouvons que deviner, puis s’éloigner, très droite, vers le fond pour sortir de la pièce pendant qu’au premier plan l’assistance est comme pétrifiée par la gêne qui vient de s’installer.
La vivacité, la force expressive et la nouveauté de ce chef d’oeuvre de 1917 ont vaillamment résisté au poids des ans.
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