Littérature étrangère
Le 13 novembre 2002
Une magnifique leçon de mémoire donnée par le cinéaste argentin Edgardo Cozarinsky.
- Auteur : Edgardo Cozarinsky
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Argentine
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Neuf nouvelles sans illusions pour sortir du puits de l’oubli quelques vies déracinées, brisées par l’histoire tragique de l’Europe au XXe siècle. Une magnifique leçon de mémoire donnée par le cinéaste argentin Edgardo Cozarinsky.
Ce recueil s’ouvre par un discret hommage du cinéaste Cozarinsky - dont c’est le premier livre de fiction - au maître soviétique S. M. Eisenstein. En la ville d’Odessa, au pied du célèbre et monumental escalier où se rencontrent un jeune juif en partance pour les Amériques et une modiste de confession orthodoxe, passent un marin, anneau d’or à l’oreille et perroquet sur l’épaule, une nounou qui pousse un landau abritant un nourrisson grincheux... [1] Odessa, Vienne, Berlin, Budapest, Lisbonne, Buenos Aires. Neuf nouvelles pour une géographie du déracinement avec, pour fil conducteur, l’identité de l’individu, achetée, volée, usurpée, échangée comme celle de cette fiancée, dont les descendants découvriront, trois générations plus tard, qu’elle n’était pas juive. Et que, par conséquent, eux ne le sont pas non plus...
L’Histoire, grande briseuse d’avenir, est là, en arrière-fond, celle de l’entre-deux-guerres, cadre tragique plein de tonnerre et de fureur dans lequel se débattent des hommes et des femmes aux minuscules destins individuels. Ballottés, sans prise sur les événements, vivant dans une dramatique incertitude.
D’une plume compassionnelle, Edgardo Cozarinsky, petit-fils d’immigrés russes, né en Argentine, vivant à Paris, nous narre la chronique de ces oubliés, traces presque impalpables, petites étincelles au milieu du chaos, étrangers dans leur propre pays, nomades, apatrides ou exilés, à peine encore en vie, sans futur possible. Tel ce pianiste de variétés qui disparaîtra dans un naufrage, ayant choisi de retourner vers la vieille Europe au moment où tous les signaux étaient au rouge le plus violent. Telle aussi cette comtesse hongroise ruinée qui, après avoir subi la botte hitlérienne puis celle du communisme, cherche à vendre son dernier tableau de maître, pour se nourrir, tout simplement. Ou encore, dans cette galerie de presque spectres, ce professeur d’université amateur de jeunes hommes qu’il rencontre furtivement dans les toilettes de la gare centrale de Buenos Aires. Finis, au bout du rouleau, tous, mais tenant encore debout par cette sorte de miracle que peut être la bonté d’autrui, éclair de compassion, de compréhension, inattendu et salvateur.
La générosité, celle du cœur évidemment, n’est pas vaine. C’est une des leçons de ce beau livre lucide, nostalgique et prenant, qui atténue son désenchantement profond et laisse planer une lueur d’espoir sur l’avenir de l’homme.
Edgardo Cozarinsky, La fiancée d’Odessa (La novia de Odessa, traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu), Actes Sud, coll. "Le cabinet de lecture", 2002, 163 pages, 19,90 €
[1] Référence à l’une des scènes les plus célèbres de l’histoire du cinéma, celle de l’attaque des cosaques sur l’escalier qui surplombe le port d’Odessa dans le Cuirassé Potemkine (1925)
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