Le sourire de la Joconde
Le 24 février 2015
Dire l’horreur irreprésentable avec la palette du marchand de couleurs et la légèreté d’une comédie musicale : c’est le pari impossible que Morder réussit à tenir dans ce film inclassable, grave et jubilatoire, en prenant des risques esthétiques insensés et en s’appuyant sur un formidable duo d’acteurs.
- Réalisateur : Joseph Morder
- Acteurs : Françoise Michaud, Andy Gillet, Alexandra Stewart, Rosette
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Durée : 1h24mn
- Date de sortie : 25 février 2015
- Plus d'informations : http://www.epicentrefilms.com/La-Du...
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– année de production : 2013
Dire l’horreur irreprésentable avec la palette du marchand de couleurs et la légèreté d’une comédie musicale : c’est le pari impossible que Morder réussit à tenir dans ce film inclassable, grave et jubilatoire, en prenant des risques esthétiques insensés et en s’appuyant sur un formidable duo d’acteurs.
L’argument : Valentin, la trentaine, est un jeune peintre enfermé dans un monde imaginaire. Ses retrouvailles avec sa grand-mère Nina sont l’occasion d’une promenade dans un Paris fantasmé. Au cours de ces quelques jours, une vérité affleure derrière les apparences. Nina a toujours refusé de parler du passé même à son fils. Valentin, quant à lui ne parvient pas à aimer. Nina finit par accepter de lui raconter sa déportation dans les camps de concentration. Quand le jour se lève, Valentin, libéré, peut enfin commencer à mettre la couleur sur ses toiles et rentrer dans le monde réel.
Notre avis : Dans la filmographie hors norme de Joseph Morder, aussi protéiforme qu’abondante, le journal filmé tenu depuis 1967 constitue un axe central, un tronc qui se ramifie aussi bien en courts qu’en longs métrages pour le cinéma (El Cantor) ou la télévision (Romamor), en documentaires qu’en autofictions (Mémoires d’un juif tropical ; J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un).
Qualifié par le cinéaste lui-même de film hollywoodien, tant pour ses choix esthétiques qu’en raison d’un confort de production inaccoutumé, La duchesse de Varsovie s’inscrit bien dans le prolongement de cette œuvre très cohérente où l’histoire personnelle et familiale, fut elle douloureuse, est revisitée, réinventée, sous le signe d’un romanesque de pacotille revendiquée et se pare volontiers des atours de la frivolité.
- La duchesse de Morder - Joseph Morder - La vie est belle - Epicentre films
C’est donc en ouvrant la boite du marchand de couleurs, en s’inscrivant dans l’héritage de Minelli (Gigi) ou de Demy que Morder aborde ici le thème de la déportation et de la Shoah qui étaient déjà au coeur du documentaires Mes sept mères (1999).
Pour lui, comme pour Lanzman, l’évocation de l’irreprésentable ne peut passer que par le récit du rescapé qui prend ici la forme de la lecture d’un témoignage écrit puis oublié mais dont l’exhumation, si douloureuse fût-elle, est nécéssaire pour permettre à Valentin, le petit fils coupé d’une histoire familiale qu’on lui a obstinément cachée, de se libérer de la paralysante mélancolie qu’il étourdit dans des soirées en boite (le désir !), de l’indécision velléitaire de celui qui ne sait trop d’où il vient ni qui il est.
- La duchesse de Varsovie - Joseph Morder - La vie est belle - Epicentre films
Filmant en gros plan sur fond noir le visage de celle qui raconte et qui écoute (lorsque c’est lui qui prend la relève pour lire ce qu’elle a écrit), Morder donne à ce récit cathartique une puissance émotionnelle d’autant plus grande qu’il n’en force pas la dramatisation mais le laisse respirer, introduisant des pauses (lorsqu’elle s’interrompt, qu’on la voit se lever dans son regard à lui, qu’ils fument une cigarette - puis : Allez, on y retourne !)
Car il n’y a pas de hiatus véritable entre la gravité de ce passage et la légèreté affirmée de ce qui précède : des tonalités plus sombres, nocturnes, inquiétantes, s’infiltraient très vite, au gré des humeurs changeantes des personnages, dans l’univers bariolé (évoquant notamment Pissaro, Monet, Vuillard ou Dufy) de ce Paris enchanté-désenchanté (et qui a cessé d’être le centre du monde) créée par la décoratrice Chloé Cambournac et la peintre Juliette schwarz et merveilleusement animé par les éclairages changeant, météorologiques, de la photo de Benjamin Chartier.
- La duchesse de Morder - Joseph Morder - La vie est belle - Epicentre films
Car la palette de Morder est très variée et passe d’un ton de comédie pétillante, à base de joutes verbales (Ce que tu peux me contrarier !), à l’onirisme sombre (la rencontre, dans une Gare de l’Est sinistre, avec le fantôme de Gaston, le mari parti trop tôt qui rappelle à Nina que la vérité est horrible mais simple) ou joyeux (la grand mère en robe rouge vif volant dans le ciel de Paris), de l’élégance du plus parfait classissime à l’expérimentation sans filet ou à l’obscénité des très gros plans (les yeux, la bouche) lorsque les deux personnages assistent à la projection d’un pastiche de film muet impossible (un mélodrame hollywoodien ouvertement lesbien !, seul passage où interviennent d’autres actrices réelles, Françoise Michaud et Rosette).
Car le retournement incessant est ici un principe de vie, ou plutôt de survie : l’impasse sordide que Valentin fait visiter à Nina (C’est l’enfer, dit-elle) s’ouvre sur le paradis d’un jardin intérieur abritant le souvenir d’un grand amour de jeunesse ; l’impudeur extrême (du gros plan, de l’aveu intime, de la musique parfois excessivement sentimentale, et néanmoins superbe, composée par Jacques Davidovici) devient une forme suprême de pudeur ; l’artifice affiché du carton-pâte devient soudain plus vrai que vrai et les personnages dessinés se mettent inopinément à prendre vie.
- La duchesse de Varsovie - Joseph Morder - La vie est belle - Epicentre films
Au delà de la formidable et jubilatoire prise de risque esthétique, le bonheur dispensé par le film de Morder repose aussi sur deux magnifiques acteurs : Alexandra Stewart dont l’élégance qu’on a pu trouver ailleurs un peu froide devient ici l’expression bouleversante d’une légèreté conquise de haute lutte, en dépit de tout, et Andy Gillet qui réussit à faire de sa trop parfaite beauté l’aveu d’une faiblesse, d’une fragilité.
C’est aussi grâce à eux que cette Duchesse, prodige d’audace tranquille et de simplicité sophistiquée, se hisse comme sans efforts à la hauteur de ses modèles revendiqués (Ophuls, Demy, Minelli) et atteint une grâce par définition fragile mais d’autant plus renversante.
- Morder - La duchesse de Varsovie - 2014
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