La chasse (Jakten) - La critique + le test DVD

Un brillant exercice de style, impressionnant de rigueur formelle, qui parvient aussi à installer une réelle tension, à toucher juste et émouvoir. La découverte d’un cinéaste norvégien contemporain de la Nouvelle Vague.

L’argument :Bjorn et Knut, deux amis proches, convoitent tout deux Guri. La belle épouse le premier, tandis que le second part à l’étranger pour oublier. Quelques années plus tard, Knut revient, et un séjour de chasse dans la steppe norvégienne les réunit à nouveau. Les vieux démons se réveillent, le passé vient se mêler au présent, et la tension monte…

Notre avis : La Norvège est à l’honneur : alors que Oslo, 31 août, le nouveau film de Joachim Trier, remporte un beau succès critique et public, voici qu’on peut découvrir en France Jakten (La chasse) et Motforestilling (Objection) (1972), les deux long-métrages réalisés par son grand-père maternel Erik Formo Løchen (1924 -1983).
Dans Jakten, présenté à Cannes en 1959 et considéré par certains comme le meilleur film norvégien de tous les temps, Løchen, entre théâtre de l’absurde et distanciation brechtienne, applique brillamment les procédés du nouveau roman à une histoire somme toute classique de triangle amoureux débouchant sur un tragique accident qui n’en est pas tout à fait un.

Bente Børsum - Jakten

Chamboulant la chronologie, le scénario prend la forme d’une enquête au cours de laquelle les protagonistes, en pleine action, s’interrompent pour répondre aux questions d’un narrateur invisible (voix de Olafr Havrevold), essayent de faire le point sur leurs sentiments et se remémorent leur histoire en déclenchant des retours en arrière.
Le côté à la fois théorique et ludique de la démarche, souligné par l’entrainante musique jazzy de Rowland Greenberg, intrigue et amuse un moment mais fait craindre un essoufflement rapide que le film parvient cependant à esquiver en évitant de s’enfermer dans son système.
Car plus encore que par son souci d’épure formelle et la fermeté de ses parti-pris esthétiques la mise en scène de Løchen convainc par sa perception sensible des paysages (la toundra vallonnée à perte de vue) et des ambiances urbaines (les séquences se déroulant à Oslo) ainsi que par son attention au détail concret qui ne saurait se réduire totalement à sa fonction dramatique (les deux chiens de chasse ; le couple qui s’embrasse et se rend compte après coup qu’il avait posé les pieds dans une flaque d’eau ; l’automobiliste pressé de rentrer et obligé de suivre un camion transportant écoliers, paysans, marchandises et s’arrêtant à tout bout de champ).

Tor Stokke - Bente Børsum (Jakten - 1959)

Mais ce sont aussi ses remarquables interprètes, et surtout l’émouvante Bente Børsum (Guri), qui permettent à Jakten de dépasser son côté un brin trop brillant et démonstratif pour installer une réelle tension, toucher juste et émouvoir.
Ce beau film où on sent l’influence de Bresson ne permet peut-être pas à Løchen de se hisser tout à fait au niveau d’un Antonioni ou d’un Godard et sa modernité date un peu, mais il démontre que la Nouvelle Vague qui irriguait le cinéma international vers 1960 a produit, à côté des chefs d’oeuvres connus de tous, de bien jolies perles oubliées à redécouvrir.

Le DVD

Jakten (la chasse) - Erik Løchen (1959) - le DVD

Une édition DVD impeccable associe le film à quatre superbes courts-métrage du même réalisateur.
Les suppléments

Comme toujours chez Malavida (qui édite également en DVD Motforestilling (Objection), le deuxième long-métrage du cinéaste) le disque est accompagné d’un livret d’analyse (qui ne nous a pas été fourni) mais surtout il comporte un copieux programme de quatre courts-métrages documentaires (sur une trentaine) réalisés par Erik Løchen.
– Borgere av i morgen - Citoyens de demain, (1950, 15mn), de facture assez classique, est une vibrante profession de foi en l’éducation à la démocratie par le biais de l’école.
– Hver kveld kl. 20 - Tous les soirs à vingt heures, (1956, 10mn) s’intéresse à la foisonnante vie théâtrale d’Oslo.
– Quasiment muet, 15 småbruk om dagen - 15 petites fermes par jour (1967, 12mn) est une très belle méditation poétique sur la difficile adaptation des paysans au monde urbain.
– Enfin Søring nordover - Un sudiste dans le nord (1976, 15mn), traite, sur un ton très personnel et libre, de l’attrait irrésistible du Cap Nord et des aurores boréales.
Ces quatre films brefs sont des oeuvres à part entière et on ne saurait rêver meilleur complément de programme.

Image

La copie proposée est superbe et le report, irréprochable, permet d’apprécier pleinement l’impressionnant travail, en noir et blanc, du chef opérateur Tore Breda Thoresen. Les courts métrages, y compris celui en couleurs, bénéficient du même traitement et leur photo est de toute beauté.

Son

Une mono très propre, sans trace notable de souffle, met parfaitement en valeur les voix, les ambiances sonores raréfiées de la steppe et les accords jazzy de Rowland Greenberg.