La conquête de l’Homme
Le 16 septembre 2020
Derrière le sang séché, la peste bubonique, la violence exacerbée, les corps déchiquetés ou encore la banalisation du viol, se cache le portrait de femme le plus singulier de Paul Verhoeven. La Chair et le Sang ou la conquête de l’Homme.
- Réalisateur : Paul Verhoeven
- Acteurs : Jennifer Jason Leigh, Susan Tyrrell, Rutger Hauer, Tom Burlinson, Jack Thompson
- Genre : Historique, Film de guerre
- Nationalité : Espagnol, Néerlandais
- Editeur vidéo : Filmedia
- Durée : 2h07mn
- VOD : OrangeVOD
- Titre original : Flesh and Blood
- Date de sortie : 1er octobre 1985
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Résumé : En 1501, en Europe de l’Ouest, le seigneur Arnolfini utilise une bande de mercenaires dirigée par Martin pour reconquérir ses terres en leur promettant le droit de pillage. Une fois le château repris, Arnolfini trahit sa promesse en récupérant le butin et en chassant les pillards. Les mercenaires décident de se venger plus tard en attaquant le convoi d’Arnolfini, de son fils Steven et de sa promise, la belle Agnès. Agnès se trouvant dans un chariot volé par les mercenaires, elle devient leur prisonnière, subissant le viol de leur chef, Martin. Ils prennent d’assaut un château et en font leur lieu de résidence. Une étrange relation va s’ensuivre entre Agnès et Martin. Steven, féru de sciences et admirateur de Léonard de Vinci, venu libérer Agnès se retrouve également prisonnier. Le capitaine Hawkwood, l’ex-capitaine d’Arnolfini, qui mène le siège, envoie un cadavre de chien contaminé par la peste, la maladie décime les mercenaires. Arnolfini peut alors attaquer la forteresse et délivrer son fils et Agnès. Martin est le seul survivant du massacre, il regarde s’éloigner celle qu’il aimait.
Critique : Paul Verhoeven a toujours argué que les éléments cruciaux qui constituent la civilisation demeurent le sexe, la violence et la religion. La Chair et le Sang semble être la parfaite démonstration plastique et symbolique de cet esprit fécond. Et bien que cette œuvre violente et âpre, à l’atmosphère putride, soit née dans la douleur d’un cinéaste désabusé, et de son acteur de prédilection en proie aux doutes quant à la direction que prendrait sa carrière, le long métrage que nous propose le "Hollandais violent", tel qu’on le surnommait avant son émigration artistique aux Etats-Unis, apparaît aujourd’hui comme une réalisation maîtresse du cinéaste, autant que la pierre angulaire d’un modernisme jamais vu jusqu’alors, en ce qui concerne la représentation de la femme au cinéma. Une femme dénommée Agnès, en apparence vulnérable, fragile, sempiternelle victime du patriarcat, s’érigeant en martyr d’une société féodale autodestructrice, où la figure féminine semble davantage exercer une influence relative plutôt qu’une réelle autorité. Pourtant, Verhoeven a un tout autre projet : réaliser un film qui montrerait comment une princesse de haut rang, crédule au premier abord, comme un agneau blessé, condamnée dès sa naissance à une vie de servitude, arrive à sublimer son existence morne et misérable, en usant de ses atouts physiques non négligeables et de son intelligence certaine à cerner rapidement les tenants et aboutissants de son environnement, aussi instable soit-il, comme arme de dissuasion contre la gent masculine, tout en jouant habilement sur les deux tableaux. Sa beauté ravageuse est constamment l’objet des convoitises de Martin, chef d’une bande de mercenaires sans foi ni loi, et de son promis, le prince Steven, féru d’art et de sciences, venu libérer Agnès des griffes de Martin.
La sexualité, autant que l’acte sexuel en lui-même, a depuis longtemps fasciné Paul Verhoeven, et, de surcroît, a influencé sa carrière de réalisateur de façon exponentielle. La Chair et Le Sang édifie cette thématique de manière à choquer, révolter le spectateur, autant qu’à le questionner sur le consentement et le caractère trouble et insidieux de celui-ci, dans la diégèse du film. On pourrait croire, a tort, que le traitement accordé au personnage d’Agnès est purement abject, voire inacceptable, mais c’est sans compter sur la virtuosité implacable de Paul Verhoeven. On touche ici du doigt le cœur du film, le point névralgique d’une écriture de personnage savamment calculée de bout en bout, car ce qui pourrait s’avérer comme relevant de la pornographie se dévoile au grand jour, en tant qu’acte politique, voire contestataire. Échappant de peu à la censure, Verhoeven nous tisse la métamorphose d’une femme découvrant sa propre sexualité et son rapport au corps, tout en démontrant sa capacité à s’élever en tant qu’être de sentiment, non content de choquer le puritanisme occidental pour notre plus grand plaisir.
Ainsi, le sexe comme outil de combat rapproché se mue peu à peu en atout sociétal, indispensable pour la survie et la sauvegarde de la chair, au prix du sang. D’ailleurs, il y a une séquence particulièrement oppressante qui illustre parfaitement le propos à la fois éminent et universel de son auteur : il s’agit d’une scène de viol, bien que l’identité de la victime soit ambigue. En effet, parmi les nombreuses scènes de violence sexuelle filmés dans le cinéma de Verhoeven, celle de La Chair et le sang est particulièrement stimulante à analyser. Alors qu’Agnès est violée par Martin et ses comparses, elle parvient avec une témérité admirable à renverser la situation et à prendre la position du dominant, le bourreau laissant ainsi l’assemblée stupéfaite du curieux spectacle qui se joue sous les yeux des spectateurs. Plus de trente ans après les faits, on parvient à retrouver cette même ambiguïté salvatrice dans un autre chef-d’œuvre de Verhoeven, Elle, un portrait de femme où les traits d’Isabelle Huppert se conjuguent sans grand mal au visage froid, provocant et imperturbable de Jennifer Jason Leigh. Paul Verhoeven ne serait-il pas le cinéaste de la femme par excellence ?
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