Se7en - 1 ?
Le 12 avril 2020
Alors qu’en 1999 commençait à peine en Corée du Sud le renouveau qualifié depuis de "nouvelle vague", La 6ème victime témoignait déjà de la volonté du Pays du matin frais de fonder un cinéma tout à la fois particulier et novateur : un film à (re)voir pour remonter aux sources du polar sud-coréen.
- Réalisateur : Chang Youn-hyun
- Acteurs : Yu Jung-sang , Han Suk-gyu, Shim Eun-ha, Chang Hang-sun
- Nationalité : Sud-coréen
- Durée : 1h58mn
- Titre original : 텔미썸딩 - Tell Me Something
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 14 mai 2002
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Résumé : Séoul durant l’été 1999 : un tueur dissémine dans la ville des sacs-poubelle noirs contenant des corps disséqués. Chargés de l’enquête, l’inspecteur Cho (Han Suk-gyu) et son adjoint, le détective Oh (Chang Hang-sun), tentent de reconstituer les cadavres, dont les membres ont été intervertis, et entrent en contact avec l’unique famille de l’une de ces victimes : une conservatrice de musée du nom de Chae Su-yeon (Shim Eun-ha) ; or il s’avère bientôt que cette jeune femme a entretenu une relation avec chacun des hommes qui ont été assassinés. La sentant menacée, l’inspecteur Cho s’engage à assurer sa protection. Mais plus l’enquête avance, plus les pistes se brouillent et plus le meurtrier se révèle insaisissable…
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Notre avis : À l’époque de sa sortie, La 6ème victime constituait la première véritable incursion du cinéma sud-coréen dans le serial killer thriller. Ce genre n’en était cependant plus à ses débuts depuis longtemps, et le réalisateur du film, Chung Youn-hyun, ne cachait pas s’être inspiré de ses illustres prédécesseurs et avoir habilement placé son long-métrage à la croisée de multiples influences, puisant sa matière tout autant dans le polar noir que dans les gialli de Dario Argento, avec leurs assassins sans visage. Il s’agissait pour le metteur en scène, non pas de se livrer à un honteux plagiat, mais bien plutôt de s’inscrire, pour mieux la subvertir, dans une tradition qui fit les belles heures du cinéma occidental : car, en faisant mine de respecter les conventions et les codes imposés par ses devanciers, on ne les brise que plus aisément.
De fait, beaucoup ont reproché à La 6ème victime son air de déjà-vu, pour ne pas dire son conventionnalisme, et force est de reconnaître que le réalisateur a réuni tous les éléments qui ont fait le succès de ce type de thrillers : la réalité filmée de manière crue, une atmosphère crépusculaire, une certaine dose de voyeurisme, des crimes à répétition, des faux-semblants et des non-dits. Certaines séquences ne semblent d’ailleurs être que des variations de scènes empruntées par Chang Youn-hyun aux plus grandes réussites du genre, et tout le film finirait presque par ressembler à une succession de clichés à peine renouvelés. D’aucuns se sont donc empressés de n’y voir qu’un savant amalgame réalisé par un passionné, que son enthousiasme aurait empêché de prendre le recul nécessaire, à qui l’admiration aurait retiré tout sens critique et, partant, toute créativité : à vouloir rendre un hommage trop fidèle à ses maîtres, prêchait-on, on ne parvient bien souvent qu’à singer la profonde originalité des œuvres que l’on prend pour modèles.
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N’oublions pas qu’il a longtemps été de bon ton d’adresser au nouveau cinéma sud-coréen le reproche de ne pas s’être constitué une véritable identité artistique et d’avoir préféré se cantonner à d’habiles synthèses, plutôt que de se risquer à d’audacieuses expérimentations, le meilleur exemple de cette tendance restant encore The Ring Virus, pâle copie du film quasi homonyme d’Hideo Nakata, qui assura à son réalisateur, Kim Dong-bin, tout aussi bien le succès auprès du grand public que l’opprobre des cinéphiles. Et c’est pourquoi d’aucuns ont pris La 6ème victime pour un objet purement commercial, réunissant des valeurs éminemment bankables - un serial killer, Han Suk-gyu, la chanson The Crawl de Placebo - au mépris le plus total du spectateur. Or Chang Youn-hyun dément avoir entrepris une opération de marketing, déclarant avoir bien au contraire voulu réaliser un film qui constituerait pour lui un défi et qu’il aimerait voir en tant que spectateur. S’il n’est pas obligatoire de le croire sur parole, force est cependant de constater qu’il paraît, dans ses différentes déclarations, bien plus déçu que séduit par le genre qu’il aborde.
Et s’il s’empare dans son film de tant de lieux communs, c’est davantage avec rage que respect. Il s’ingénie ainsi à déconstruire le matériau qu’il réemploie, multipliant les écarts et prenant trop souvent le contrepied de ses modèles pour ne pas vouloir créer un style qui lui soit personnel. Ainsi, contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, sa conception du naturalisme n’admet aucune concession : sa caméra scalpel s’attarde sur les corps découpés, filme avec une précision d’entomologiste les scènes de dissection. Et quand l’assassin fait parvenir une cassette à l’inspecteur, le spectateur peut assister au cérémonial du meurtre dans ses moindres détails. L’horreur surgit même jusque dans le quotidien le plus domestique, lorsqu’un enfant déchire l’un des sacs-poubelle, quand un camion fait littéralement exploser l’un des « colis » du meurtrier. Et durant tout le long-métrage, la mort et le sang s’insinuent dans la réalité la plus anodine, les cacahouètes de l’inspecteur Oh côtoyant les tables d’opération de l’assassin. Le moins donc que l’on puisse dire est que La 6ème victime est solidement ancré dans le réel, ne s’autorisant à s’en éloigner que lors de quelques envolées musicales.
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Par conséquent, quoi d’étonnant si les personnages que Chang Youn-hyun met en scène sont profondément humains ? Tous souffrent de tant de défauts, tous sont entourés d’une telle part de mystère qu’aucun ne paraît en définitive véritablement sympathique au spectateur. Loin d’être extralucides, les inspecteurs piétinent, tournent en rond, se laissent manipuler par leurs suspects, n’ont aucune des intuitions prémonitoires tant appréciées des amateurs du genre. Pas non plus de meurtrier surnaturel, qui échappe miraculeusement aux enquêteurs ou dissémine intentionnellement des preuves, afin de jouer avec la police : la psychologie des protagonistes et, bien sûr, celle du serial killer, sont envisagées avec réalisme et sens des nuances.
Chang Youn-hyun a, en outre, apporté un soin particulier à ses personnages secondaires, signe qu’il n’a pas renoncé à ses premières amours ni à la volonté de conférer à son cinéma une dimension psychologique : son principal objectif semble en effet de décrire la difficulté des rapports humains, ce sentiment de solitude qu’il pense universellement partagé. Le cinéaste confie ainsi avoir tenté de retranscrire l’incapacité qu’ont aujourd’hui les gens à communiquer, et qui en entraîne certains à commettre l’irréparable. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est autour du sentiment amoureux que se construit son intrigue : en nous montrant, tandis que les anciens amants de Chae Su-yeon sont démembrés les uns après les autres, l’inspecteur Cho tombant sous le charme de la jeune femme, le réalisateur reforme le couple romantique qu’incarnaient Han Suk-gyu et Shim Eun-ha dans Christmas in August, en s’ingéniant toutefois, afin d’introduire le doute dans l’esprit du spectateur, à diriger les acteurs de façon qu’ils distillent dans leur interprétation une inquiétante étrangeté. Car, au fil des découvertes et des révélations, tous les personnages du film deviennent plus ou moins suspects, jusqu’à l’inspecteur Cho lui-même, un policier en disgrâce dont le zèle à l’égard de la jeune femme laisse faire au spectateur les hypothèses les plus inquiétantes.
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Le véritable intérêt de l’intrigue est cependant dans le mystère de son dénouement. En opérant le choix de ne proposer, tout au long du film, que le seul point de vue de Cho, un enquêteur qui échoue à résoudre l’enquête qu’il est chargé de mener, Chang Youn-hyun ne révèle à son public ni le mobile du meurtrier, ni les circonstances de ses crimes : puisqu’il a donné accès à tous les indices et à toutes les pièces à conviction, il est possible au spectateur/inspecteur de faire lui-même la lumière sur les faits qui ont été soumis à sa sagacité.
Car, comme le fera Memories of Murder quatre ans plus tard, La 6ème victime refuse la facilité de la plupart des serial killer thriller, qui flattent l’ego de leurs spectateurs en leur laissant croire qu’ils avaient deviné ce que le dénouement du film a clairement dévoilé : et à l’opposé du Se7en de David Fincher, dans lequel le tueur allait jusqu’à analyser dans les moindres détails la logique de ses agissements, le réalisateur prend le parti de laisser son spectateur dans l’incertitude, ce qui lui permet d’éviter des invraisemblances auxquelles nous avait habitué le genre. Et peu importe s’il faut, pour l’inciter à chercher, faire intervenir, dans la dernière scène, sous les allures d’une coïncidence, une manière de deus ex machina certes destiné à mettre l’inspecteur sur le chemin d’une possible vérité, mais aussi et surtout à offrir au réalisateur la possibilité de révéler son véritable dessein : faire de La 6ème victime un anti-Se7en, un thriller d’un nouveau genre dans lequel, une fois n’est pas coutume au cinéma, mais comme si souvent dans la réalité, l’enquête n’est finalement pas élucidée.
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