Le culte Jodorowsky
Le 5 juillet 2007
Un coffret de qualité permettant de se plonger dans l’œuvre, longtemps invisible (et donc mythique), d’un grand cinéaste subversif.
- Réalisateur : Alejandro Jodorowsky
- Acteurs : Alejandro Jodorowsky, Horacio Salinas, David Silva
- Genre : Aventures, Western, Expérimental
- Nationalité : Chilien, Mexicain
- Editeur vidéo : Wild Side Video
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Un coffret de qualité permettant de se plonger dans l’œuvre, longtemps invisible (et donc mythique), d’un grand cinéaste subversif.
Fando et Lis : Le périple de deux jeunes gens à la recherche de la cité mythique de Tar, où tous leurs vœux seront exaucés. Mais sur le chemin, ils ne rencontreront que corruption et folie...
El Topo : Hors-la-loi, El Topo défie pour l’amour d’une femme les quatre Maîtres du Désert. Les ayant vaincus, sa conscience s’élève jusqu’à ce que sa femme le trahisse. Sa nouvelle vie d’homme saint commence alors, et El Topo s’engage dans la libération d’une communauté de parias.
La montagne sacrée : Un gonzo en string se hisse à l’intérieur d’une gigantesque et étrange tour. C’est le début pour lui d’une initiation aux mystères religieux de notre monde, où une montagne sacrée abrite le secret de la vie éternelle.
Fando et Lis (1968)
Réalisé en 1968, il s’agit du premier long-métrage d’Alejandro Jodorowsky, membre fondateur du mouvement Panique. Sous cette appellation se dissimulent les créations de trois illuminés notoires (Jodorowsky, Arrabal, Topor) bien décidés à en découdre avec les conventions de l’époque. Dotés d’un imaginaire baroque et décapant, ces artistes ont pour point commun de s’être frottés à tous les supports de création (théâtre, cinéma, littérature, peinture, dessin) afin d’y imprimer leur patte, entre surréalisme décadent et hallucination mystique.
Adapté d’une pièce d’Arrabal, Fando et Lis raconte les tribulations d’un couple peu ordinaire, le naïf Fando et Lis l’estropiée, à la recherche de la mythique citée de Tar. Une quête initiatique (c’est presque toujours le cas dans les films de Jodorowsky) aux allures de fable de fin du monde. Les cendres de la société industrielle, terrains vagues et cimetières de voitures, procurent un environnement étonnement cinégénique où la fibre subversive du cinéaste peut s’exprimer pleinement. Rempli d’idées tordues et d’images marquantes, le film remplit parfaitement son contrat et se déguste comme une expérience hallucinatoire d’une totale liberté de ton. Les obsessions de Jodorowsky, son goût pour les allégories et les références religieuses, y sont déjà présentes et Fando et Lis porte en lui les ingrédients qui feront l’incroyable réussite artistique des œuvres à venir (El Topo, La montagne sacrée et Santa Sangre, films presque sans équivalents dans l’histoire du cinéma). La pièce d’Arrabal semble avoir servi de ligne directrice, Jodorowsky se contentant d’improviser librement autour de cette trame narrative plutôt vague. Le résultat, forcément hétérogène, se découpe en une série de rencontres plus ou moins captivantes, parfois même assez verbeuses. Une expérience radicale devant beaucoup au théâtre d’avant-garde de l’époque. Un théâtre de la cruauté et de l’excès.
El Topo (1970)
Réalisé après Fando y Lis, El Topo est un croisement unique entre le western spaghetti et le surréalisme à la sauce Panique avec beaucoup de délires psychédéliques propices à séduire la génération flower power. On y voit Jodorowsky père et fils qui traversent des épreuves dans le but d’assouvir une vengeance et de concrétiser une quête mystique. Proche des récits picaresques, cette trame aux images brutes repose sur une poésie accidentelle, approximative et abstraite, sciemment déroutante, souvent sublime, qui constitue la marque de fabrique du cinéaste (voir La montagne sacrée). Alors que Jodorowsky était boudé par la presse américaine avec son précédent long métrage, El Topo a initié la mouvance des midnight movies, films singulièrement singuliers qui étaient diffusés lors des séances de minuit, et a incidemment permis l’aura culte du Rocky Horror Picture Show et la découverte de cinéastes comme David Lynch et John Waters avec respectivement Eraserhead et Pink flamingos. Total respect.
La montagne sacrée (1973)
Il faut plus qu’un string ficelle, les cheveux longs et une barbe de trois jours pour prétendre être Jésus. Et Horacio Salinas, voleur vagabond new age, a beau se balader ainsi dans les rues sud-américaines, il n’a rien d’un prophète portant au mieux sa croix devant des troupeaux de touristes ricains qui filment la scène pour son pittoresque. Pas d’images d’Epinal ici mais davantage des icônes, des symboles dont use Alejandro Jodorowsky avec la sagacité d’un féru de psychanalyse que sa biographie trahit. Le réalisateur, avant de passer devant et derrière la caméra, a étudié la psychologie et la philosophie, donnant à cette Montagne sacrée une portée qui dépasse le bricolage kitsch.
Car si cette ressortie remet en mémoire les seventies et le flower power, les babas barbus cultivant une vague ressemblance christique pour annoncer un monde meilleur, le film échappe au passage assassin du temps qui dézingue les plus belles utopies pour les laisser exsangues. La montagne n’accouche donc pas d’une souris ce qui vingt-trois ans après sa sortie en salle est du domaine du miracle. Cadrage, montage et réalisation, tout relève d’un sens aigu du cinéma et le film, financé à l’époque par John Lennon, a gardé son pouvoir perturbateur, un peu comme si Jodorowsky était directement branché sur notre psyché pétrie, qu’on le veuille ou non, de symboles judéo-chrétiens.
En se réservant le rôle de l’alchimiste, Jodorowsky, en maître d’œuvre, transmute des signaux psychiques en une expérience sous acide cinématographique. Le va-nu-pieds christique, les croix, la tour immense s’élançant vers le ciel (Babel ? Une version rougeoyante du tombeau de La Mecque ?) et tant d’autres brassent les mythes dans un dialogue interreligieux. Un grand bain de spiritualité et de mystère donc. D’une branche à l’autre de la grande famille des religions, la montagne sacrée reste un symbole prégnant. Alors, lorsque l’alchimiste Jodorowsky entraîne dans son sillage les riches et les puissants sur l’île du Lotus, au somment d’une montagne où sept sages gardent jalousement le secret de l’immortalité, forcément le film n’a rien d’un trip au Club Med des allumés du spirituel. Ou d’une promenade de santé.
Des madones en prière dans la sacristie d’une église se révèlent, dans la lumière crue du jour, des putes monnayant leurs charmes. Un signe de la main, et un vieux pédophile amène à lui la plus jeune, dix ans à tout casser, pour lui mettre dans la paume son œil de verre. Avec en prime un plan sur la cavité oculaire vide. Après tout, Dieu nous est apparu dans la saleté du monde, non ?
Le DVD
Les suppléments
L’univers de Jodorowsky est d’une exceptionnelle richesse. Heureusement , ce coffret DVD nous offre de nombreuses clés de lecture afin de mieux décrypter son œuvre. Les commentaires audio du cinéaste, présents sur les trois films, sont une source d’information inépuisable. En plus d’évoquer les conditions de tournage des films, souvent acrobatiques, Jodorowsky y explique la signification des différents symboles présents dans chaque film ainsi que les intentions (plus ou moins visibles à l’écran) derrière telle ou telle scène. Autre bonus de taille, le documentaire d’1h28, La constellation Jodorowsky qui, au travers d’interviews et de (quelques) extraits de ses films, propose au spectateur de mieux cerner le personnage et sa carrière. Détail appréciable, le documentaire revient assez longuement sur la préparation de Dune, projet avorté ayant été repris par la suite par David Lynch. Le tout culmine sur une étonnante séance de thérapie de groupe, longue de plus de quinze minutes, où le réalisateur du documentaire tente d’exorciser ses démons intérieurs ! On regrettera seulement quelques bizarreries comme l’absence de sous-titres français lors des rares interventions en anglais. On peut aussi souligner la présence de quelques modules plus courts, comme celui consacré au tarot où, en sept minutes, Jodorowsky explique sa passion pour ce jeu et la signification de ses principales figures. Au rayon des curiosités, on peut citer le court-métrage La cravate, particulièrement influencé par le mime. Enfin, le DVD propose 6 minutes de scènes coupées commentées de La montagne sacrée. Etrangement, les scènes ne sont pas visibles sans le commentaire du réalisateur.
Un quatrième disque est entièrement consacré au documentaire Midnight movies, sorti en salles il y a quelques temps et dont on peut retrouver une critique ICI. Pour faire court, disons que si les néophytes apprécieront, les autres risquent de rester sur leur faim devant de documentaire qui choisit de décrire la carrière de quelques films, dont El Topo, plutôt que de se livrer à une analyse plus poussée du phénomène et de ses répercussions sur le cinéma américain.
Image & son
Commençons par la bonne nouvelle. El Topo et La montagne sacrée sont d’une qualité technique irréprochable. Une surprise inespérée pour ces films longtemps demeurés invisibles. Un petit bonus raconte le travail de restauration qui a été effectué autour de La montagne sacrée. Il suffit d’y voir les éléments d’origine, d’une qualité exécrable, pour se rendre compte de la totale réussite de l’opération. Les pistes originales mono (seul El Topo propose un doublage français en stéréo) sont pour leur part extrêmement propres. Il y a quelques années, imaginer posséder ces deux films dans des DVD d’aussi bonne qualité avait tout d’un fantasme (apparemment) irréalisable. La mauvaise nouvelle, c’est que Fando et Lis n’a pas bénéficié du même traitement. La copie est en mauvais état : plutôt floue, avec beaucoup de rayures. Le son, lui, est assez étouffé. Le résultat, s’il n’a absolument rien de comparable avec celui des deux autres films du coffret, reste toutefois estimable et remplit parfaitement son objectif : donner à découvrir le film dans des conditions satisfaisantes, à défaut d’être optimales.
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