Le 25 avril 2017
À travers un suspense prenant, Hitchcock s’attaque à la vie secrète des braves gens d’une petite ville.
- Réalisateur : Alfred Hitchcock
- Acteurs : Joseph Cotten, Teresa Wright, Macdonald Carey , Henry Travers , Patricia Collinge
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Swashbuckler Films
- Durée : 1h48mn
- Reprise: 9 août 2017
- Titre original : Shadow of a Doubt
- Date de sortie : 26 septembre 1945
- Plus d'informations : Les 25 polars cultes d’Alfred Hitchcock
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– Année de production : 1943
Résumé : Oncle Charlie et sa nièce sont très attachés l’un a l’autre. Enfin, jusqu’à un certain point, car Charlie n’apprécie vraiment pas que sa nièce puisse le soupçonner d’être l’affreux assassin que recherche la police.
Critique : Réputé film préféré de son auteur, L’ombre d’un doute s’ouvre sur les images de couples dansant en habits de gala, image énigmatique pendant un moment ; mais cette image, sur laquelle le générique se déroule, est programmatique, comme souvent les débuts chez Hitchcock : ces danseurs harmonieux évoluent en effet sur une valse, La veuve joyeuse de Lehar, musique délicate et gracieuse s’il en est, mais l’orchestre est constamment interrompu ou recouvert par un autre, ce qui provoque une forte dissonance. Tout y est, déjà : l’équilibre fragile, l’intrusion de la discordance, et, évidemment, les veuves…
L’équilibre d’abord : le cinéaste prend soin de filmer une petite ville, dont les habitants semblent tous se connaître, une ville dans laquelle le policier, chargé seulement de la circulation, sourit largement. Santa Rosa est le prototype de la bourgade américaine, saine et, pourrait-on dire, aseptisée. Harmonie encore que cette famille, elle aussi représentative : le père attentif travaille dans une banque, la mère est au foyer et les trois enfants se chamaillent gentiment. De forts liens semblent les unir. Mais cette description, Hitchcock prend un malin plaisir à la détruire pièce à pièce : d’abord de manière anodine, avec l’ennui de Charlie, la fille aînée qui espère un « miracle ». Puis au fur et à mesure, la critique de cette petite vie s’intensifie : la ville devient le lieu des remontrances (le policier, la bibliothécaire), un lieu dans lequel on ne peut échapper aux gens qu’on fuit, un lieu dans lequel la serveuse a « fait toutes les boîtes » et s’engage dans une existence désespérante. Ce sont au fond les faux-semblants qui se dévoilent : la mère avoue son mal-être dans une tirade poignante (« on s’oublie, on n’est plus que la femme de son mari »), elle qui paraît tellement ennuyeuse (voir la scène du gâteau à photographier). Le monde n’est peut-être pas toujours une « porcherie », comme le dit l’oncle, il est en tout cas d’une platitude éprouvante. Et si Charlie trouve un mari, ce sera un policier « sain », l’Américain type, lui aussi terriblement fade, pour qui « le monde a besoin d’être guidé ». Autrement dit, la jeune héroïne se prépare un destin semblable à celui de sa mère, vide et vain. Le moment de bonheur qu’elle a cru vivre avec l’arrivée de son oncle est un leurre, et le happy end ne dissipe pas l’impression d’un malaise.
- Copyright Swashbuckler Films
Mais bien sûr, c’est surtout l’irruption de l’oncle qui va bouleverser ce fragile équilibre initial. Le génial Joseph Cotten lui prête sa sobriété et son élégance, jouant de son charme avec une ambiguïté réjouissante. Il est d’abord présenté allongé sur son lit, cigare aux lèvres, entouré de billets puis servi par une concierge affable. Là encore, nombre d’éléments sont des indices (les billets) ou des motifs qui se déploieront par la suite : Charlie sera servi plusieurs fois et la fumée du cigare reviendra elle aussi, soit la même, soit celle plus épaisse et noire du train, soit celle plus diffuse du bar. Le montage le joint ensuite à sa nièce : un plan sur la rue, un sur la fenêtre, un enfin sur elle allongée, c’est à dire en parfaite similitude avec la découverte de l’oncle. Une fois de plus, ce motif de similitude sera renforcé par le dialogue (« les jumeaux », la télépathie) et de nombreux plans les associant. Et, mais c’est évident, le fait qu’ils aient le même surnom ajoute à cette relation. Le scénario accumule d’ailleurs les duos : Charlie et son oncle, puis Charlie et Graham, le frère et la sœur plus jeunes, le père et Herbie, les deux policiers … comme il souligne de nombreux échos : le train à la fumée noire du début devient un piège, la porte du garage qui coince également, pour ne citer que deux exemples. L’exhaustivité serait laborieuse tant les reprises et parallèles s’ajoutent, de la bague au journal. C’est au fond, de manière très classique, un scénario construit pour laisser le moins de place possible à l’insignifiant. Et la mise en scène est à l’unisson, qui joue de motifs à partir de lieux récurrents comme les escaliers, et surtout l’escalier extérieur.
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Dès l’arrivée de l’oncle dans la petite ville, un nuage noir envahit la gare ; c’est bien le Mal qui s’introduit, sous les dehors débonnaires d’un adulte généreux. Mais un mal séduisant, loin du falot policier ; un être cynique (« le monde est une blague »), amoral (voir sa tirade sur les veuves) que Hitchcock prend un malin plaisir à noyer dans l’ombre ou à faire surgir de n’importe où, observateur omniprésent. Déconstruire ce personnage idéal, le préféré, le choyé, se fait par petites touches énigmatiques : ce sont le journal jeté ou les initiales dans la bague qui jettent le soupçon. Mais le mal prend ensuite de l’ampleur, dans des menaces de plus en plus précises puis des tentatives de meurtre. Là encore, la construction du film est admirable : le crescendo implacable produit un suspense sans temps morts, d’une redoutable efficacité.
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À regarder aujourd’hui L’ombre d’un doute, on est frappé par son caractère matriciel, tant Hitchcock « annonce » son œuvre à venir : s’il reprend l’ambiguïté de Soupçons, il évoque surtout, plus ou moins superficiellement Sueurs froides avec le plan du pont, La mort aux trousses et sa plongée sur Cary Grant : le travelling sur la bague ressemble à celui sur la clé dans Les enchaînés, pour ne rien dire du repas, comparable à celui de La loi du silence. Cette liste incomplète donne à ce « film préféré » un statut singulier (on a beaucoup parlé de « premier film américain ») et une aura indiscutable.
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Ne mégotons pas : classique dans sa forme, intelligent par sa mise en scène, efficace en diable, L’ombre d’un doute mérite sa réputation. Mais à notre sens, il est surtout précieux en ce qu’il déstabilise l’american way of life : voici donc une charmante bourgade qui, vue de près, se révèle oppressante ; une famille unie qui semble vivre un conformisme ennuyeux à mourir ; voici surtout une société qui ne cesse de parler de mort et de meurtres. De la serveuse qui tuerait pour une émeraude aux deux amis qui s’assassinent virtuellement en passant par l’envolée digne de Dostoïevski sur l’inutilité des veuves, le tableau proposé est d’une noirceur et d’un pessimisme constants. Ce sont les soubassements d’un monde optimiste que le cinéaste sape avec ardeur, ce monde triomphant qui cache des secrets troubles, cette façade bienheureuse que, comme d’autres à peu près à la même époque (on pense au Tourneur de La féline), Hitchcock sait trompeuse. Le réalisateur se montre, comme bien souvent, d’une finesse et d’une profondeurs remarquables. On pourrait d’ailleurs tirer d’autres fils, trouver d’autres réseaux (les plans débullés, ou les ombres projetées, par exemple, pour en rester à l’esthétique) sans jamais épuiser la force de ce film majeur, dont chaque vision offre à la fois un nouveau plaisir et de nouvelles découvertes.
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