L’homme triple – Wide Vercnocke – la chronique BD

Critique :Premier livre traduit en langue française de Wide Vercnocke, L’homme triple propose une introspection au graphisme saisissant. L’album s’ouvre sur le visage jaune du grand-père mourant, seul souvenir de celui qui hante la mémoire familiale. Par un adroit jeu du découpage, le visage du grand-père devient celui de l’auteur, témoignage d’une ressemblance physique entre les deux protagonistes. C’est cette ressemblance qui constitue le point de départ de la quête du dessinateur, qui se représente à plusieurs reprise devant son miroir ou chez le coiffeur, comme pour exorciser ce qui apparaît comme une tare. L’autre trouvaille graphique de l’album, qui légitime son titre, est la formation – au sens littéral – du spectre du grand-père à partir du corps de Wide Vercnocke, témoignage de la filiation qui hante le dessinateur.

La figure du grand-père se transforme progressivement pour devenir celle du dessinateur Wide Vercnocke

Wide Vercnocke / çà et là pour la publication française

À travers son album, Wide Vercnocke pose des questions philosophiques : hérite-on des erreurs de ses aïeuls comme on hérite de leurs traits ? Porte-on une partie de la responsabilité de leurs actions ? Comment comprendre les actions de quelqu’un à qui on ressemble, mais dont les choix sont si éloignés des nôtres ? À ces interrogations, le dessinateur apporte cependant peu de réponses, soit par modestie, soit parce qu’il n’y en a pas vraiment. À cet égard, l’album peut susciter un sentiment de déception, mais la lecture nous fait comprendre qu’il s’agit davantage d’un essai que d’une démonstration. L’homme triple nous renseigne tout de même sur Ferdinand Vercnocke (1906-1989), célèbre poète qui a défendu la cause flamande et qui, comme de nombreux nationalistes flamingant, s’est laissé séduire par le régime nazi durant l’occupation de la Belgique par l’Allemagne nazie. Il a contribué à la collaboration littéraire, au point d’être emprisonné à la libération et être déchu pendant 20 ans de ses droits civiques.

Wide Vercnocke / çà et là pour la publication française

La figure spectrale du grand-père se détache progressivement du dessinateur dans cette planche saisissante, fondée sur un dessin au trait et des couleurs en aplats.

Album d’une grande qualité graphique, L’homme triple transmet à ses lecteurs les questions fondamentales du dessinateur, sans apporter de réponse définitive. S’il laisse derrière lui des points d’interrogation, l’album a la vertu de tendre un miroir à son lecteur : est-on nous-même responsable des actions de nos aïeux ? Porte-on, au moins sur le plan physique, leur mémoire, fut-elle honteuse ?