Pseudopolar lyrique en Lozère
Le 1er octobre 2003
Sous le vernis de "l’intrigue", un joli petit palimpseste : de la grâce, de l’humour, de la fragilité. Et une ode au granit, à la lauze, aux mélèzes, aux monts de Margeride, ancien pays de loups.


- Auteur : Eric Holder
- Editeur : Flammarion
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française

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Attention ! Ne pas confondre : Chirac est ici une ville (département Lozère, pays de Gévaudan, vallée de la Colagne, latitude 44.53° N, longitude 3.27° E) et nous parlons d’Histoire, avec H capitale, celle qui chamboule tout sur son passage, même quand elle débarque avec un cran de retard (car Chirac, faut trouver et les routes qui y mènent font pas mal de lacets). C’est d’ailleurs elle, l’Histoire, qui fait venir Ari, jeune médiéviste alternativement audacieux/réservé, sous le fumeux prétexte d’une plaquette municipale. Bref, c’est par l’Histoire que l’histoire arrive. Mais quelle histoire au fait ?
Oh rien, non, trois fois rien, un squelette narratif : une rumeur de trésor marin très longtemps enterrée (presque aussi longtemps que le trésor, en fait) et qui - plop ! - tout d’un coup, émerge. Quoi ? Un trésor marin ? Dans les hautes terres d’Auvergne ? Mais chut... On n’en saura pas plus, le muet a juré, d’ailleurs pour mieux se taire il s’est coupé la langue. N’empêche, quelque chose a dû filtrer. Sinon, comment expliquer l’irruption, dans ce pays perdu, minéral et boisé, de ces drôles d’oiseaux au passé plus que louche : Bastide Florian et Bambi, vrais/faux jumeaux de la Côte ; l’omnipotent producteur télé Stéfani, Monte-Cristo de passage sur le Causse ; sa femme Julia, en plein "été indien" ; le "commissaire" Leone, flic en mission obscure, au sourire pire qu’un loup, oui, un mauvais sourire d’Homme ; et le muet enfin, et le muet bien sûr, qui hante les forêts comme un guerrier indien, un Mohican aphone, beatnik, rouleur de joints.
Un scénar de polar ? Oui, mais polar à pâte fine où les bonds de l’intrigue jouent le rôle des anchois : on peut s’en amuser, les gober en pique-assiette ou bien les remiser sur un côté du plat. Holder s’en fout un peu : il suit vaguement des pistes mais divague en chemin. Son truc à lui, c’est l’école buissonnière, l’aquarelle du vide, l’esquisse des moments flous, passagers, incertains : le passage d’une fille à vélo ("une créature restituée d’après Paulette, chantée par Montand"), le souffle du vent sur des "cheveux d’ange", des rêves "traversés par des biches dans un rayon de lune", des visions de chamane, des rencontres fragiles... et les paysages ambivalents de la Margeride, vulnérables et terribles, faits de mousses et de lauzes, de granit et de sources, masculins et féminins. Un des rares coins de France où on peut avoir l’impression de revenir quelques années en arrière, avant que l’Homme - H capitale, toujours - ne devienne "envieux, replié sur lui-même, distrait, dangereux".
Eric Holder, L’histoire de Chirac, Flammarion, 2003, 171 pages, 15 €