Critique : Voilà une pièce qui ne devrait avoir aucun mal à connaître un heureux destin grâce à sa mise en scène alerte, son regard acéré sur un libéralisme décomplexé et surtout la vivacité de ses comédiens qui, avec une énergie époustouflante, passent d’un personnage à un autre en quelques secondes.
Dans un monde où l’argent est roi, pour être considéré, mieux vaut être riche. C’est en tous cas ce qu’a retenu Jean Dupont, un homme rêveur et naïf, fâché depuis de nombreuses années avec son fils, quitté tout récemment par sa femme et généralement accablé par un système qui lapide en place publique tous ceux qui sont incapables de s’élever socialement. Et un jour, il gagne au loto. Une aubaine qui devrait modifier sa vie. Mais peut-être pas exactement comme il l’avait espéré. Car si l’argent ne fait pas le bonheur, il attire les amis. Finalement, n’oblige t-il pas à devenir quelqu’un d’autre ? Comment s’emparer d’un destin hors normes quand on n’y a pas été préparé ? Bonheur et convoitise sont-ils compatibles ?

© Studio Hébertot / Le Théâtre à Moustaches. Tous droits réservés.

Autant de questions auxquelles Romain Juillard, à la fois auteur, metteur en scène et comédien, tente (ou pas) de répondre. Il s’amuse et nous amuse des comportements, des joies, des peurs, des excès de ce personnage central pris au piège d’un monde dont il a rêvé mais dont il ne maîtrise pas les règles.
Faisant le choix d’une scénographie dépouillée (quatre chaises que les artistes bougent au gré des scènes), alternant situations poignantes et narrations burlesques, la mise en scène nous emporte, sur un rythme d’enfer, dans un tourbillon tragi-comique.

© Studio Hébertot / Le Théâtre à Moustaches. Tous droits réservés.

À coups de gestuelles et de mimiques suggestives, les comédiens (deux hommes et deux femmes), à la fois désopilants, absurdes, féroces, arrogants ou touchants, transforment avec un plaisir communicatif quelques slogans publicitaires abêtissants en ritournelles guillerettes et raillent avec une délectation évidente le cynisme et la bêtise de nos élites, quand ils ne se complaisent pas à parodier les chaînes d’infos continues. Mais bien sûr, c’est vers Arnaud Schmitt, véritable colonne vertébrale de cette pièce grinçante et pertinente, que se tournent tous les regards. La foi théâtrale chevillée au corps, il modèle son corps autant que son jeu pour endosser à l’exacte mesure le costume de son personnage qu’il habille d’une humanité si juste que chacun d’entre nous pourra s’y reconnaître.
Une pièce qui sort des sentiers battus par sa finesse de ton et son engagement. On rit beaucoup, on renâcle un peu, on s’émeut parfois, on s’interroge souvent. Une œuvre singulière qui ne laissera personne indifférent !