Ecrire la violence
Le 18 mars 2021
Le journaliste recueille le témoignage de l’évasion de ce combattant, retiré de toute obligation militaire pour lui rendre un brin d’humanité. Ce faisant, il pose la réflexion de la manière d’écrire cette violence et enquête, pour livrer tous les prismes de cette histoire et refuser l’oubli. Ce livre constitue une grande leçon de journalisme et d’engagement.
- Auteur : John Gibler
- Collection : Les réveilleurs de la nuit
- Editeur : Ici-bas
- Genre : Enquête
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Anna Touati et Simon Prime
- Titre original : Torn from the World: A Guerrilla's Escape from a Secret Prison in Mexico
- Date de sortie : 29 janvier 2021
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Ce livre n’est pas la simple histoire d’une évasion. C’est une tranche de l’Histoire mexicaine contemporaine qui nous est livrée. Andrés Tzompaxtle, guerillero indigène, parvient à échapper à la torture de l’armée mexicaine, en pleine révolte des Chiapas. John Gibler interroge la retranscription du récit et la réhabilitation de la dignité des peuples en lutte.
Critique : John Gibler nous prévient d’entrée : la ligne directrice de son ouvrage sera l’honnêteté. Ecouter, retranscrire et enquêter. Raconter l’histoire de ce combattant est un acte d’engagement : il s’agit d’humaniser les conflits armés. Peu de contexte historique détaillé dans cet ouvrage, l’auteur se concentre sur le récit et la façon de rendre compte des faits. Son idée n’est pas de livrer un témoignage brut et linéaire, plutôt de retranscrire la violence et la déshumanisation qu’elle engendre pour mieux la dénoncer.
Les premiers chapitres racontent la détention jusqu’à l’évasion de ce combattant nahuatl, engagé contre les conséquences du traité de l’ALENA en 1994, qui a pour conséquence d’exproprier les populations indigènes au profit de grands propriétaires latifundiaires. La révolte s’organise alors autour des mouvements zapatistes, révolutionnaires et armés. L’armée mexicaine arrête et torture les combattants, multipliant les nombreuses disparitions inexpliquées dans le pays. Une évasion demeure extrêmement rare et entraîne une vie de cavale et de clandestinité. Le témoignage recueilli dans cet ouvrage est donc extrêmement précieux et saisissant d’effroi. Lire les détails de cette détention s’avère rude et pesant. Pourtant, le journaliste s’interroge sur la distance à avoir avec ces descriptions, leur véracité, la capacité de souvenir de celui qui peut avoir subi de tels actes barbares et même sur l’impact du récit. Cette capacité remarquable à prendre le temps de s’interroger sur ces questions essentielles, lorsqu’on livre une histoire au monde, donne toutes ses lettres de noblesse au journalisme.
Le témoignage est retranscrit à la deuxième personne du singulier, parce que l’auteur s’adresse à cette voix dans la tête qui nous guide quand est seul contre tous, recroquevillé à l’intérieur de son esprit pour continuer à penser, malgré la souffrance et la peur. Ce procédé remarquable d’écriture renforce l’intensité de la parole livrée, comme une adresse contre l’oubli justement. Puis arrive l’évasion, mais qui ne fait pas disparaître la solitude. Même si la solidarité peut opérer, la clandestinité ne délivre pas de cet enfermement. Seule la parole qui raconte à celui qui l’écoute pourra, peut-être, rendre la dignité à celui qui en est privé et, à travers lui, tous ceux qui se battent contre les injustices.
Bien sûr, la démarche est militante, elle n’est cependant pas de parti pris. Donner la parole aux victimes qui peuvent elles-mêmes utiliser la violence n’est pas un engagement à défendre un camp plutôt qu’un autre, mais bien à s’interroger sur tout système qui organise la déshumanisation au nom d’une cause. John Gibler interroge la volonté d’écrire, en quoi le livre reste important, sans pour autant lui attribuer une supériorité sur la parole. Il nous livre un grand ouvrage d’écoute et de réflexions., lorsqu’il écrit, par exemple :
« Un livre peut alimenter, à mon sens, une conversation profonde, agréable, posée. Une conversation qui traverse le temps et soit capable de questionner les frontières de la pensée propre à certains lieux et à certaines époques. Voilà une des promesses qu’offre le livre en tant qu’instrument de liberté et d’empathie ».
Préface de Joseph Andras
Illustrations de Yoel Jimenez
288 pages - 23,00 €
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