Le 20 juillet 2019
Ce n’est pas Harpagon qui déteint sur Louis de Funès, mais Louis de Funès qui déteint sur Harpagon. Dommage pour Molière.


- Réalisateurs : Jean Girault - Louis de Funès
- Acteurs : Bernard Menez, Michel Galabru, Louis de Funès, Henri Génès, Claude Gensac, Frank David, Max Montavon, Guy Grosso, Michel Modo
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Durée : 2h
- Date télé : 5 septembre 2021 21:05
- Chaîne : C8
- Date de sortie : 5 mars 1980

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Notre avis : Finalement, Louis de Funès aura pendant des années disséminé le personnage d’Harpagon à travers une quantité d’avatars comiques, le plus célèbre étant don Salluste, dans La Folie des grandeurs : cupide, égoïste, il évoquait déjà immanquablement le célèbre personnage inventé par Molière. Après avoir refusé à plusieurs reprises un rôle qui semblait fait pour lui, voilà qu’au crépuscule de sa carrière, l’acteur accepte enfin de jouer Harpagon. Hélas, s’il reste fidèle au texte de Jean-Baptiste Poquelin, le film, co-réalisé par Girault et Louis de Funès lui-même, est une véritable déception, parce que le comédien tire la couverture à lui, tellement anxieux par rapport à son rôle que son outrance est paradoxalement l’effet d’une inhibition. La star s’attaque cette fois à un personnage plus fort que lui, qu’on aurait tort de réduire à une typologie, celle de l’avare. Pour comprendre Harpagon, il faut évidemment souligner un ressort sentimental, qui participe autant que la ladrerie de son humeur atrabilaire : en effet, le personnage principal convoite la femme que son fils Cléante aime. Or, réduire ce héros théâtral à ce que des anthologies littéraires profilent, jusqu’au célèbre monologue métonymique, c’est croire que le seul protagoniste justifierait l’existence d’une pièce où d’autres ne joueraient que les utilités. Et le mauvais réalisateur qu’est Jean Girault n’est pas secondé par le mauvais lecteur qu’a été Louis de Funès, qui ne voit pas en Harpagon l’incarnation d’une fatalité existentielle, parce que le tragique n’est jamais loin chez Molière (qu’on se souvienne de l’extraordinaire pièce George Dandin).
Alors, évidemment, à cette aune, le long métrage devient la version clownesque d’une pièce infiniment plus grave qu’elle n’y paraît, dans l’évocation d’une folie hautement contaminante. Les comédiens qui donnent la réplique à la vedette, pour qui le film est fait, puisqu’on lui a tellement dit qu’il pouvait le jouer, font partie de la galaxie des Gendarmes : Galabru, Gensac, Grosso et Modo. On a simplement habillé leurs personnages à la mode du Grand Siècle, mais leur jeu n’est qu’une translation de ce qu’ils ont l’habitude de faire quand ils sont dirigés par Girault, afin que tout demeure en famille, dans l’ambiance qui rassurait Louis de Funès et faisait mijoter un grand nombre de ses films sous le couvercle de la plus affligeante médiocrité. C’est encore le problème ici : on se demande bien ce qu’apporte une réalisation aussi indigente, voire lourdingue, au texte de Molière. Un exemple suffira : était-il nécessaire qu’au moment où Harpagon se croit "enterré", ce dernier s’allonge dans une fosse et qu’on dramatise la scène par un regard caméra ?
En vérité, Girault et son interprète principal, terriblement intimidés par le texte, paraissent aussi maladroits que des admirateurs qui ne savent pas quoi dire à celui qu’ils croient honorer. Moins d’allégeance les aurait peut-être sauvés. Mais surtout, on se prend à imaginer ce qu’un réalisateur autrement plus talentueux aurait pu faire d’un tel acteur, investi dans le rôle de ses rêves. Le fantasme relève quasiment de l’uchronie.