Blues à Cape Cod
Le 8 avril 2003
Philippe Besson laisse s’envoler son imaginaire pour nous entraîner dans la vérité contrastée d’une femme figurant sur un tableau d’Edward Hopper.


- Auteur : Philippe Besson
- Editeur : Julliard
- Genre : Roman & fiction

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Un bar. Un soir. Philippe Besson laisse s’envoler son imaginaire pour nous entraîner, entre chien et loup, dans la vérité contrastée d’une femme en robe rouge figurant sur un tableau d’Edward Hopper.
"Donc, au début, elle sourit." Première phrase de L’arrière-saison, harmonieuse et authentique, poétique, qui vous offre ce petit miracle : l’accès de plain-pied dans l’histoire. Elle sourit donc, au début, Louise, en robe rouge, belle, sûre d’elle, attendant son amant dans un bar où elle a ses habitudes en échangeant quelques mots avec le serveur. Elle sourit puis elle ne sourit plus. La clochette de la porte grelotte, son passé fait irruption dans la lumière déclinante de cette fin d’après-midi, s’abat sur elle.
Dans le huis-clos d’un café déserté de Cape Cod, se retrouvent une femme et l’homme qui l’a quittée voici cinq ans. Un revenant. Stephen.
Admirable plongée dans l’esprit de cette femme aux certitudes qui se craquèlent. Mots échangés, anodins, se transformant en bombes à fragmentation. Lézardes, fissures, blessures vite bouchées avec des emplâtres de fortune. Louise qui envie ceux qui savent conserver "une apparence de détachement dans les trous d’air" mais dont le fil méandreux des pensées s’englue dans le reproche et la mauvaise foi rentrés, camouflés, jamais exprimés. Maladresse, fébrilité, doute, amertume. Procès d’intention, établissement de barrières défensives : Stephen n’est qu’un manipulateur égoïste. Tout comme son amant qui prétend qu’il ne peut pas quitter sa femme. Qu’elle quittera, c’est décidé.
Mais les arrière-pensées de Louise seront balayées par la franchise inattendue de Stephen. Ainsi donc il parle, cet homme. Il se confie. A mesure que la nuit tombe, que les mots se font plus denses, que les vraies paroles sont prononcées, Louise épluche ses strates protectrices, se met à plat, à nu, s’accepte en son for intérieur. Et accepte l’évidence : si l’on ne peut faire table rase du passé, on peut tout au moins tenter de le réapprivoiser. Ou, autre évidence venue à l’esprit de Stephen en observant Louise picorer dans son assiette : c’est bonheur de retrouver certaines choses qu’on ignorait avoir perdues. Choses infimes et précieuses. Petits cailloux blancs qui font que la vie prend un tournant d’une saveur imprévue.
Car la vie est imprévisible, n’est-ce pas ? Semblable au temps changeant de Cape Cod dans ces arrière-saisons "qui ont parfois quelque chose de déchirant", où nous entraîne Philippe Besson qui confirme dans ce troisième roman [1] son magnifique talent de capteur d’émotions.
Philippe Besson, L’arrière-saison, Julliard, 2002, 191 pages, 16,60 €
Pour en savoir plus sur Edward Hopper et son célèbre tableau Les rôdeurs de la nuit
[1] Déjà parus du même auteur et chez le même éditeur, En l’absence des hommes et Son frère, tous deux en 2001