Four Seasons to live and reborn
Le 19 juin 2014
Un Clint très personnel et à l’étonnante légèreté. Une formidable ode à la musique doublée d’une belle étude de l’envers du rêve américain.
- Réalisateur : Clint Eastwood
- Acteurs : Christopher Walken, Jeff DePaoli, Freya Tingley, John Lloyd Young, Vincent Piazza, Steve Schirripa, Johnny Cannizzaro, Michael Lomenda, Lacey Hannan, Jeremy Luke, Erich Bergen
- Genre : Biopic, Musical
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h14mn
- Date de sortie : 18 juin 2014
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Résumé : Quatre garçons du New Jersey, issus d’un milieu modeste, montent le groupe "The Four Seasons" qui deviendra mythique dans les années 60. Leurs épreuves et leurs triomphes sont ponctués par les tubes emblématiques de toute une génération qui sont repris aujourd’hui par les fans de la comédie musicale…
Critique : Trois ans après sa fresque sur le fondateur du FBI John Edgar Hoover, objet formellement sublime mais pétri d’un académisme indigeste voire grandiloquent, Clint change de voie(x) et étonne avec ce film d’une belle légèreté qui souffle un vent nouveau sur une carrière qui semblait être arrivée au point mort. Bien plus qu’un simple biopic, Jersey Boys, adapté de la comédie musicale éponyme dont le succès à Broadway n’est plus à faire, agit comme un retour aux sources. Eastwood, mélomane accompli et amoureux fou de tous les héritiers du jazz, lâche la bride et se laisse emporter par le beat, et nous avec.
- © Warner France
Il fut un temps où les Four Seasons étaient aussi connus que la chaîne d’hôtel de luxe du même nom. Du style, de la maîtrise, de la classe, une voix de tête déroutante et sans égale et une envie irrépressible de s’en sortir en s’abandonnant à leur art : autant d’ingrédients qui ont propulsé ces quatre autres garçons dans le vent au sommet de la gloire. Si Eastwood se focalise peu sur l’accession au trône et la transformation des quatre jeunes gens en icônes populaires sacralisées, c’est pour mieux, en creux, nous conter une toute autre histoire, plus personnelle, celle d’un groupe de potes à l’amitié solide qui tente de sortir de la rue par tous les moyens sans pour autant en oublier leurs racines italo-américaines. Ce qui intéresse Eastwood, c’est les liens qui unissent ces frères de scènes si dissemblables et pourtant connectés par la seule chose qui ait réellement de l’importance : la même passion pour la musique et les planches. Comme dans les films de gangsters de Martin Scorsese, auxquels le réalisateur ne cesse de faire des clins d’œil, Eastwood, faisant directement s’adresser ses personnages -en alternance de manière à changer de point de vue- au spectateur, nous fait immédiatement pénétrer dans l’intimité de ces petites gouapes qui résistent à l’appel de la rue grâce à leur talent naturel pour la musique. Une manière de rappeler qu’il est possible de s’en sortir, à condition d’avoir du talent pour quelque chose et de vraiment en vouloir. Un mythe du self made man américain qu’Eastwood ne cesse d’ailleurs de relativiser par la suite. L’utilisation de Christopher Walken, « The King of New-York » en mafieux émotif et protecteur finit de séduire et on se laisse embarquer aux côtés de ces jeunes à la maladresse si attachante, dans un univers sixties rétro parfaitement assumé par maître Eastwood. Le charme opère, malgré encore un certain formalisme, et on se délecte de dialogues décalés cousus mains et pétris d’une bonne dose d’ironie. Malgré ses airs de biopic aérien au charme suranné qui semble survoler les principales étapes de la vie du groupe de la formation à la séparation et son extraordinaire BO reprenant les principaux tubes de The Four Seasons (Can’t Take My Eyes Over You, Rag Doll, Sherry, Big Girls Don’t Cry, Bye Bye Baby), Jersey Boys n’est pas Mamma Mia§ ! (loin s’en faut) et offre une véritable complexité une fois dégagé du vernis nécessaire au packaging de tout show musical digne de ce nom.
- © Warner France
Les sons claquent, mais Eastwood n’a pas pour autant la folie des grandeurs. Il filme ses « non stars » (aucun acteur connu hormis Walken n’a été retenu afin de coller au maximum avec la vérité des personnages) avec une pudeur bienvenue qui se mue souvent en tendresse pour des moments d’intense communion avec le spectateur. John Lloyd Young, qui jouait déjà le rôle de Frankie Valli, la voix d’or du groupe, dans le « musical », crève l’écran, accompagné de jeunes acteurs tout aussi formidables. On sent là le professionnalisme sans pour autant que le jeu ne se fige et que l’intensité dramatique ne retombe. Chapeau. Présentée comme une histoire à quatre voix, Jersey Boys se présente comme une comédie douce amère pleine de nostalgie pour une époque révolue que le réalisateur se plaît à faire revivre. Incompréhensions, frustrations, non-dits, regrets : l’amitié est une chose complexe, difficile à entretenir, qui passe par différentes phases. Mais à la dislocation du groupe lors d’une mémorable scène ou tout le monde règle ses comptes succède l’image des quatre irréductibles grisonnants en plein Hall of Fame, comme s’il était possible de tout réparer avec un morceau de musique. Ce thème, celui de la rédemption, semble cher à Eastwood, qui, après s’être mis en scène en retraité aigri et esseulé apprenant sur lui-même au contact des autres (Million Dollar Baby, Gran Torino), prend le postulat inverse en insistant sur la force d’un groupe dont les liens indéfectibles semblent tant bien que mal résister au passage du temps. « Un pour tous et tous pour un ».
Le réalisateur touche à l’essence même de ses personnages avec une grande simplicité en évitant toute forme de schématisme. La beauté du film réside justement dans les failles de ces anti-héros qui contribuent à désacraliser le culte des idoles et à chercher l’humain entre joies et souffrances. La chute finit par faire vraiment mal, mais quelque chose de vivace et d’intact, une flamme propre à cette fresque humaine, semble persister jusqu’au générique final, bel hommage aux comédies musicales des années 50-60. Voilà un Eastwood impeccablement troussé et au rythme parfaitement calibré qui met du baume au cœur sans pour autant tomber dans les affres du feel good movie. Un grand Clint, passionné et passionnant.
- © Warner France
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