Le 23 septembre 2004
Et si écrire n’était qu’une psychanalyse déguisée ? Rencontre avec un écrivain trop rare, devenu incontournable dans le paysage littéraire français.
Jean-Paul Dubois fait une rentrée très remarquée en publiant Une vie française, roman retraçant la vie de Paul Blick sur cinquante années, du début de la cinquième République à nos jours. Entretien avec un écrivain trop rare, devenu incontournable dans le paysage littéraire français.
Vous avez écrit une saga familiale, exercice littéraire prisé aux Etats-Unis mais encore très rare en France. Comment est née cette idée ?
Ce n’est pas né d’une manière construite. C’est un peu bizarre mais c’est venu à partir de la dernière phrase. C’est elle qui a donné la suite. L’idée de la fragilité, de ces filaments qui nous relient aux autres à travers les petites histoires d’une famille... Et ce n’est pas vraiment un saga, mais plutôt une interaction entre la société, le monde, et tout ce qui nous modifie.
Est-ce en raison de ce travail que cinq ans se sont écoulés depuis la publication de votre dernier roman ?
Absolument pas, non. J’ai fait tout autre chose, qui n’a rien à voir avec les livres. J’ai travaillé un peu pour le cinéma. Mais tout ça, c’est le cours du hasard. L’idée de fabrication d’un livre dépend des envies et des désirs.
Quelles sont les difficultés qui se sont posées à vous ? Le contexte historique et sociologique a-t-il été facile à restituer ? Avez-vous effectué un travail de recherche ?
Aucune difficulté. Je n’ai effectué aucun travail de recherche, sauf pour les dates précises des présidences. Le reste, c’est des trucs de jeunesse qui sont présents, c’est une mémoire d’enfant que j’ai toujours gardée. Tout est remonté tout seul, les sentiments, les sensations, les odeurs... Au fond, il n’y a pas de grande différence avec une psychanalyse. Chaque jour représente une séance supplémentaire !
On retrouve dans Une vie française tous les thèmes et les obsessions qui vous sont chers. Il y a d’abord Marthe Rochas, qui incarne le fantasme de la femme mûre. Pourquoi cette constante obsession ?
Ça vient certainement de l’enfance. C’est des trucs personnels, j’ai du mal à imaginer une sexualité autre qu’avec une personne telle qu’elle est décrite dans le livre. C’est quelqu’un qui vous absorbe, qui fait oublier. Ça dépasse l’initiation. Dans la mesure où le sexe est un oubli de soi-même, la femme mûre a quelque chose de rassurant par rapport à l’enthousiasme benêt des femmes jeunes. Je préfère la souplesse d’âme à la souplesse de peau...
Vous mettez très souvent en scène des hommes exerçant des métiers artistiques mariés à des femmes carriéristes et terre à terre. Les femmes sont-elles plus carnassières et opportunistes que les hommes ?
C’est aussi un fantasme. Mon rêve est d’avoir une vie d’homme au foyer. Dans une relation de couple, de ne pas être celui sur lequel repose un certain nombre de choses. Je préfère être le dépanneur, le bricoleur, faire les courses, aller chercher les enfants à l’école, et ne pas avoir de contact avec le monde du travail ou du salariat. Mes personnages sont très actifs mais pas dans ce monde-là.
D’ailleurs, vos couples semblent toujours incapables de surmonter cet antagonisme. Est-ce le moyen facile et extrême, pour un romancier, de voir s’opposer deux visions du monde ?
Sans doute ! Le schéma est simple, c’est toujours un type de gauche avec une femme de droite ! La question est de savoir si on peut faire cohabiter ces deux conceptions de la vie.
Vos narrateurs, de manière générale, sont dépassés par les questions d’argent...
Mes personnages ne sont ni riches ni dans le besoin. Ils mettent une distance vis-à-vis de l’argent qui est, pour eux, un simple outil d’usage. Ils ne font pas de profits, aucun placement. C’est un outil qui leur sert à se véhiculer dans le monde, rien d’autre.
Les rapports de Paul avec ses enfants ne sont pas non plus d’une complicité exemplaire. C’est finalement le plus grand échec de sa vie d’avoir raté cette relation ?
C’est certainement un des plus gros échecs de son existence. Le problème quand on a des enfants, c’est qu’on se demande tout le temps quels échecs on va bien pouvoir éviter de commettre. La légèreté de Paul est un poids énorme pour ses enfants. Adhérer à une société de parents d’élèves est inconcevable pour lui alors que c’est le rêve de ses enfants... Chaque jour qui passe les éloigne et les distancie un peu plus.
Vous n’avez jamais porté les dentistes dans votre cœur. Pourquoi cette haine viscérale et permanente du dentiste ?
Peut-être faut-il là aussi remonter à l’enfance ! C’est surtout pour moi l’image du vieillissement. L’un de mes personnages, dans un roman plus ancien, avait l’habitude de passer sa langue dans sa bouche, sur chacune de ses dents, et il associait les trous et les manques à la perte et au temps qui passe. Le dentiste, c’est l’homme qui arrache les dents et qui arrache du temps. Il marque les séquelles du vieillissement. C’est peut-être une autre manière de parler de la mort...
En général, l’ensemble de la critique salue chacun de vos ouvrages et votre lectorat, très fidèle, attend toujours impatiemment la sortie de vos romans. Comment vivez-vous cette unanimité ?
C’est quelque chose qui fait plaisir mais de manière abstraite. Je n’écris que pour des gens proches, des absents. Tous les livres se font sur des pertes. Au départ, c’est très hypocrite de dire qu’on écrit pour des lecteurs. Non... On écrit toujours pour des gens qui nous ont appartenu, si je puis dire. Et évidemment, c’est toujours très agréable que des gens se retrouvent dans ces histoires... On écrit pour des fantômes qui ont un passé et le plus étonnant, c’est que ça peut coïncider avec l’histoire ou les émotions de quelqu’un d’autre. Les critiques, c’est encore une autre abstraction. Je le prends comme un compliment sur mon travail, et c’est intimidant...
Pour le style et les influences, on vous compare très souvent à Philippe Djian. Ça vous agace ? Ça vous flatte ?
C’est rare, on ne m’en parle pas tant que ça. C’est difficile de faire ce type de parallèle. Djian me paraît beaucoup plus dur, son monde plus brutal... Plus sérieux aussi, plus adulte... L’écrivain qui m’aura le plus appris et le plus fait réfléchir à la manière d’écrire une histoire c’est indiscutablement John Updike.
Pour quels écrivains français avez-vous de l’estime ?
Le plus émouvant pour moi est et sera toujours Emmanuel Bove. C’est très loin de tout ce qu’on peut lire aujourd’hui. C’est une sorte de Carver français... En ce qui concerne les écrivains plus jeunes, je ne connais pas bien ce qui existe. Mais je tombe parfois sur des choses extraordinaires.
Vous travaillez pour le Nouvel Observateur. Quelle différence faites-vous entre l’écriture journalistique et l’écriture de fiction ?
Aucune. Le travail est pratiquement le même que pour l’écriture de fiction. C’est parfois plus difficile car il y a des contraintes de lieux, de personnes, les contraintes de la réalité... C’est très difficile de parler d’un type du Michigan en dix feuillets !...
Une partie de ces articles a d’ailleurs été publiée. Est-ce un choix personnel ou une proposition de votre éditeur ?
C’est l’Olivier qui a eu l’idée. Le premier a bien marché, et un deuxième a été publié. C’est flatteur là aussi mais ça ne me serait pas venu à l’idée. Et surtout, je ne voyais pas de cohérence dans tous ces textes. Mais au moment de la sélection, on s’aperçoit qu’il y a toujours cinq ou six thèmes qui vous habitent, et que ce sont toujours les mêmes...
Vous avez écrit plusieurs articles à chaud après le 11 septembre. Comment comprenez-vous l’évolution de ce pays depuis l’élection de Georges Bush ?
Ça n’a pas changé. Bush n’est que l’administrateur provisoire d’un pays régi par l’économie et le profit. Lui est le gérant actuel, un gérant stupide, malhabile, qui ne remet pas en cause le fonctionnement du pays. Mais les Etats-Unis ont toujours été impérialistes vis-à-vis du monde, et même à l’intérieur de leurs propres frontières. Il n’y a qu’à voir leur politique de santé. C’est vraiment du libéralisme à tout crin. Ceux qui vont venir après Bush n’auront pas une vision plus humaniste. Ce pays est d’une violence sans bornes. Ma fascination pour les Etats-Unis est morbide.
Est-ce que faire la promotion de votre roman vous ennuie ? Considérez-vous que cela fasse partie de votre travail ?
Ça fait partie de mon travail. Mais c’est très désagréable pour quelqu’un comme moi de parler de soi. Ça me donne un sentiment de honte, c’est embarrassant.
Vous venez de recevoir le prix FNAC et vous êtes en lice pour le Goncourt et le Médicis. Quel est votre regard sur le cirque de la course aux prix ?
Que j’y sois ou pas, c’est pareil. Ça ne change absolument rien dans ma vie. Un prix permet de vivre un peu mieux et d’avoir la faiblesse de croire que votre travail a plu. Ça n’a pas de sens. On y est ou pas, c’est inexplicable... Quand vous l’avez, c’est un truc qui doit être agréable car ça vous donne la garantie de vivre deux ou trois années en ne foutant rien. Ça permet de s’abstraire du quotidien. Mais je n’y pense jamais, ce n’est ni le but ni le moteur de mon travail. En fait, c’est ni plus ni moins comparable au loto !
Propos recueillis le 8 septembre 2004
Photo © Romain Saada/Opale
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