Vers sa destinée
Le 5 novembre 2015
L’un des premiers films d’Akira Kurosawa après guerre. Une oeuvre forte et engagée remastérisée par Wild Side qui n’a rien perdu de sa puissance dramatique. Ganbare !
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Denjiro Okochi, Takashi Shimura, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Haruo Tanaka, Chieko Nakakita, Eiko Miyoshi
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h50mn
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Sortie DVD et Blu-ray : 28 octobre 2015
« Au revers de la liberté étincelante, il y a des sacrifices à faire et des responsabilités à prendre ». Au sortir de la guerre, dans un Japon dévasté en proie aux grandes mutations de son histoire, Kurosawa livre une fresque politico-historique sensible et lyrique doublée d’un merveilleux portrait de femme.
Notre avis : Comme souvent chez Kurosawa, Je ne regrette rien de ma jeunesse est empli d’une forme de nostalgie toute particulière où le temps semble suspendu. Le livre s’ouvre, et l’histoire commence comme une brise légère planant sur la colline surplombant Kyoto. Une jeune Scarlett japonaise entourée de ses prétendants, une nature à l’herbe immaculée, la jeunesse chantant la liberté. Puis arrive la mort, celle annoncée de tant d’autres à venir, venant troubler l’éden. Le vent cesse de souffler, la lyre s’arrête de jouer. Le fascisme en creux s’éveille et vient troubler la quiétude de ce petit groupe d’étudiants standardisés enfermés dans leur tour d’ivoire. C’est le temps du changement, des combats pour la paix alors que le Japon, ogre armé d’une ambition expansionniste débordante glisse doucement vers la guerre. Simple dans sa structure, avec son découpage chronologique, le film embrasse une vaste période du début des années 30 au lendemain de la défaite de 1945.
Il y a chez Kurosawa cette volonté de se souvenir et de comprendre, ce devoir de mémoire nécessaire à la reconstruction. Loin d’être une simple leçon d’histoire, Je ne regrette rien de ma jeunesse, basé sur des événements réels, traverse cette période trouble de l’histoire du Japon en lui donnant une chair, celle de personnages évoluant en eaux troubles à la rencontre de leur destin. Kurosawa ne juge pas : il narre. Prenant comme support de base le classique triangle amoureux, le réalisateur installe une ambiance romanesque où la question du choix est primordiale. L’amour passionnel que Yukie éprouve pour Noge, archétype du jeune homme passionné allant au bout de ses convictions, opposé à l’affection raisonnée qu’elle éprouve pour Itokawa, promis à un brillant avenir au sein du régime, n’est qu’un moyen détourné de donner du sens à la grande Histoire. Noge, en marge du système, a pour trait caractéristique son idéalisme et sa grandeur d’âme. Il était l’ennemi d’hier, devenu héros au sortir de la guerre, preuve d’un évident changement des mentalités. Pour autant, Noge n’est pas du tout héroïsé par un Kurosawa qui ne cherche pas à récréer un Japon qui aurait fait front commun pour lutter contre le régime et œuvrer pour éviter la guerre. Il fait de son personnage, par l’intermédiaire du regard de Yukie, le porte-parole d’un message universel destiné aux générations futures. Sorte de Christ rédempteur, Noge, homme de l’ombre, est plutôt à regarder comme incarnation d’un concept irradiant tout sur son passage. Cependant, il ne peut qu’inspirer et guider ceux qui cherchent à s’accomplir. C’est le cas de Yukie, parfaite figure transitionnelle entre la femme japonaise version « tradi » et la femme moderne aux accents féministes, qui, mue par son amour pour Noge, ne cesse d’évoluer jusqu’à mener sa propre lutte.
Le courage face à l’adversité et à la bêtise humaine, celui de refuser le conformisme quoiqu’il en coûte, constitue le cœur vivant de Je ne regrette rien de ma jeunesse et explique son intemporalité. Mais tout cela est impossible sans éducation, thème récurrent dans l’œuvre du cinéaste, terreau fertile dans lequel peuvent germer les idées. Ce n’est pas un hasard si le film se clôt dans l’enceinte même de l’université où tout a commencé. La promesse d’espoir autrefois étouffée dans l’œuf est renouvelée, les rancœurs et l’amertume laissent place à l’envie d’aller de l’avant et les futurs étudiants, apprenant des erreurs du passé, peuvent résolument se tourner vers l’avenir. Ombre et lumière s’opposent sans cesse alors qu’un certain symbolisme ne cesse d’irriguer le film. On retiendra particulièrement une magnifique scène où Yukie, en pleine crise de conscience, décide de composer un arrangement floral exprimant ses vrais sentiments : trois pétales perdus au milieu du bac, restes meurtris d’un tout qui a perdu son sens. Le désespoir de la famille de Noge devant les rizières saccagées rappelle la souffrance de tout un peuple devant les ravages de la guerre et s’oppose au visage rayonnant de Yukie partant travailler la terre.
Car ce pays, si déraciné soit-il, a une terre riche et féconde qui ne demande qu’à nourrir son peuple condamné si longtemps à la misère et au rationnement. Dans un société dévoyée que Kurosawa s’emploie à décrire dans nombre de ses films, ce retour à la terre, à une certaine tradition, gage d’une identité commune, semble fondamental. « Nous aurons toujours Tara », disait Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent. Armée d’une simple pioche, Yukie s’épuise dans la boue pour faire revivre cette terre qu’elle a fait sienne. La pluie déferle, détrempant les corps tragiques magnifiés par la caméra du maître. Leur détresse et leur joie se font notre. Yukie voulait voir « ce que vivre veut dire ». Au terme de son parcours initiatique marqué par les épreuves de son temps, elle peut enfin choisir ne ne plus subir, mieux, de devenir celle par qui la vie jaillit. Ainsi le film ouvre sur d’autres horizons et d’autres combats, en particulier celui, universel, de la condition des femmes ouvrières. On ne saurait trop conseiller de revoir Riz amer.
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