Les tribulations de Daniel Danite
Le 26 mai 2012
Sous couvert d’impertinence et de second degré parodique, Dante Desarthe livre une fiction expérimentale qui interroge la place délicate occupée par le septième art dans un monde en crise
- Réalisateur : Dante Desarthe
- Acteurs : Dante Desarthe , Valérie Niddam, Marie Dompnier
- Genre : Comédie
- Durée : 1h38mn
- Date de sortie : 30 mai 2012
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Résumé : Comme chaque année au festival de Cannes, Daniel Danite, cinéaste, cherche un moyen de sauver le septième art, en danger perpétuel, selon lui. Son idée du moment :que chaque cinéaste se choisisse un frère. Ça ferait deux fois moins de films, ils seraient deux fois meilleurs. D’ailleurs les frères Lumière ne sont-ils pas à l’origine de tout ? Un « ami » producteur, pour se débarrasser de lui, lui suggère d’aller plus loin. Des Taviani aux Farrely, des Dardenne aux Coen, il y en a, des frères. Des triplés cinéastes, en revanche... Illumination. Daniel a trouvé sa voie. Pour se démarquer, il doit devenir le troisième frère Coen. Il quitte femme et enfants et décide de tout faire pour joindre Ethan et Joel Coen, et les convaincre de l’adopter...
Critique : Daniel Danite, imperturbable héros de Je me fais rare, n’a peur de rien, et surtout pas du ridicule. Non content de planter femme et enfants pour mener à bien un projet cinématographique dont la crédibilité est plus que douteuse, le voilà qui s’invite chez les uns et les autres pour le défendre corps et âme, trouver des financements et surtout, une équipe, avec au fond de lui la certitude de pouvoir remédier à la « crise » que traverse le cinéma français. Le projet en question ? Une docu-fiction fantasmée à la recherche d’un impossible lien fraternel entre Danite et les frères Coen. La méthode ? Se filmer soi-même, dans la liberté la plus totale, à la recherche desdits frères.
Sauf que l’ami Danite ressemble plus à un ersatz de Chaplin qu’aux metteurs en scène qu’il admire : là est toute la contradiction ; et c’est même cette tension entre la totale confiance affichée par D.D. et la très faible probabilité de voir son projet aboutir qui confère à Je fais feu de tout bois sa belle impertinence formelle. En effet, dans cette œuvre singulièrement provocatrice, Desarthe fait fi de tout code : l’intrigue prend souvent la tangente ; le personnage principal est une tête à claques ; les seconds rôles, à peine attachants, sont pour la plupart constitués de jeunes précaires désireux de travailler dans le milieu du cinéma. Tout cela fait un film drôle, singulièrement distancié par rapport au sujet qu’il adopte, mais dont la principale faiblesse réside dans la porosité qu’il laisse apparaître entre Danite et Desarthe lui-même... pas toujours pour le meilleur.
En effet, en décrédibilisant le projet de Danite, Desarthe a parfois l’art de se tirer une balle dans le pied et de mettre à mal l’essence-même de son projet, flirtant avec l’autofiction de manière un peu balourde et ne permettant pas à son personnage de s’exprimer dans toute la splendeur de son ridicule moliéresque. Alors qu’il aurait pu être une comédie acerbe sur le milieu du cinoche, le film prend alors les allures d’une « grosse blague » qui veut se faire aussi gros que le bœuf qu’elle prend pour objet, au risque d’exploser et de se confondre en une succession de grotesques mimiques et saynètes un peu longues.
Pourtant, l’ensemble séduit de façon immanquable. D’abord, parce que l’irrévérence affichée par Desarthe à l’égard des grands maîtres dépoussière nos regards de cinéphiles et va à revers d’une certaine tendance du cinéma (français entre autres) : la nostalgie. Sa modernité totalement assumée rafraîchit les yeux et les oreilles. Avec ses poses de dandy grotesque et pédant, Desarthe parvient à composer un personnage singulier dont le narcissisme est tempéré par l’apparition de personnages secondaires qui viennent remettre les pendules à l’heure du vraisemblable – mention spéciale au personnage de la monteuse, incarnée par une Valérie Niddam excellente en acolyte blasée par son compère.
Avec trois fois rien et surtout lui-même, Desarthe se paie le culot d’un film franc, intriguant, don-quichottesque, à la fois empreint de désespoir et plein d’optimisme, interrogeant à nouveaux frais la sempiternelle question du « pourquoi filmer ? », et lui apportant des réponses parfois dignes d’un Woody Allen… tout en démontrant que la mort de l’art n’est pas, à la réflexion, une si mauvaise chose.
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