Critique : La plume est légère, vive, comme un fleuret préparant son attaque. Dans ce court document, il s’agit de retracer cet épisode désuet que fut le duel entre Jaurès, figure fondatrice du socialisme et Déroulède, figure de l’antisémitisme français, partisan fondateur de la droite nationaliste, alors exilé après un coup d’État raté. Les commentaires sont enjoués, le style précis et le rythme cadencé, comme le train qui transporte le récit.

Le suspense ne tient pas à l’issue de ce duel, dont l’Histoire de France sait déjà qu’aucun des deux ne mourra ce jour-là. Néanmoins, comment en est-on arrivé à un épisode aussi chevaleresque ? L’honneur des deux hommes méritait-il une telle mise en scène, avec de tels risques ? Ce que parvient à décrire Potier, ce sont avant tout ces deux visions de la France qui s’opposent, celle d’avant la loi de 1905 sur la laïcité, l’instabilité de la Troisième République où les députés peuvent renverser un gouvernement provisoire. Les deux hommes se combattront par les idées jusqu’à leur fin, la même année. Jaurès, avant d’être assassiné, dénoncera dans son journal L’Humanité la volonté va-t-en-guerre de Déroulède en 1914, alors en faveur d’un conflit rapide un esprit de revanche contre les Allemands.

L’auteur s’intéresse davantage à Jean Jaurès, ses raisons l’ayant poussé au combat, son parcours et ses réflexions qui naissent au cours de ce voyage. Traverser la France en train permet une durée plus longue de la réflexion, les échanges avec ses témoins et une photographie de ce temps-là, qui résonne avec notre début de siècle.

L’intérêt de ce livre est également lié aux péripéties de ce voyage, à la persévérance de voir aboutir ce duel, quels qu’en soient les obstacles. Pratique alors en désuétude, qui peut paraître grotesque, le duel dépasse l’honneur des protagonistes, il en va de la défense de deux idéaux qui s’opposent. L’auteur le comprend en maintenant un ton solennel tout au long du récit, avec des phrases courtes, percutantes, des réflexions personnelles et une précision dans les détails. Certains faits sont imaginés dans l’intérêt quasi romanesque du récit, servant toujours à exposer une valeur fondamentale de Jaurès.

L’hommage n’est pas feint, l’invitation à regarder cet épisode comme éclairant pour notre époque non plus. Alors que la guerre se trouve aux portes de l’Europe, que les idées nationalistes s’installent de plus en plus dans les démocraties, ce texte, porté par la fondation Jean-Jaurès, appelle à « combattre de face, en pleine lumière ». Une vision que partage son protagoniste, évoqué ici sans lourdeur, avec la vivacité d’une aventure à partager.