Le 22 décembre 2024
- Réalisateur : Romas Zabarauskas
- Festival : Festival Chéries-chéris
Au Festival Chéries-Chéris, nous avons pu rencontrer le cinéaste lituanien Romas Zabarauskas, venu présenter son film Te Revoir.
Deux hommes lituaniens, anciens amants perdus de vue depuis plusieurs décennies, se retrouvent, le temps d’une soirée, à New York. Ensemble, ils évoquent le temps qui passe, leurs choix de vie et le monde qui les entoure... Avec cette histoire en apparence simple, Romas Zabarauskas réalise un huis clos sensible, qui délaisse les artifices pour mettre en scène le dialogue entre ses personnages.
Au-delà des retrouvailles de deux hommes que vous mettez en scène, Te Revoir s’inscrit aussi dans un contexte géopolitique très précise : la guerre en Ukraine.
Oui, c’était assez choquant d’observer ce qui s’est passé depuis la Lituanie. Dans ce pays, on connaît la terreur dont est capable la Russie mieux que les pays occidentaux, mais on a quand même été choqué de voir cet événement passé redevenir très actuel. Cela m’a poussé à me poser des questions sur les choix individuels que l’on fait dans notre vie, comment celle-ci est influencée par les circonstances – sociales, historiques, politiques – qui nous conditionnent.
Par ailleurs, j’accorde beaucoup d’importance aux dialogues dans mon cinéma et j’ai voulu pousser cela au maximum, en faisant un film tournant uniquement autour d’un dialogue. Je l’ai d’ailleurs écrit de cette façon : j’ai invité mes trois coscénaristes et j’ai eu avec eux de longues conversations qui ont nourri les dialogues de Te Revoir. C’était un exercice collectif… sans l’être vraiment puisqu’il ne se sont pas rencontrés pendant l’écriture, c’est moi qui dialoguais avec eux séparément.
On comprend ainsi que, pour la génération d’hommes que vous montrez, les souvenirs de l’Union soviétique sont encore très frais, vivaces…
C’est quelque chose dont ils n’ont pas encore pu panser les plaies. Je crois que Te Revoir montre bien la perspective propre à la région d’où je viens. Quand je parlais de la « terreur russe », ce n’est pas uniquement celle de l’Union soviétique, puisque c’était déjà le cas du temps des tsars ! Cette tradition de la terreur, c’est encore quelque chose que la société russe doit résoudre, en lien avec son histoire.
L’identité – qu’elle soit nationale, religieuse, politique, ou sexuelle – est l’un des sujets phares du film. Le personnage de Dima refuse précisément qu’on lui colle des étiquettes.
Si l’on prend le personnage de Dima, effectivement, s’il se définit assez clairement comme un homme bisexuel et n’a pas peur de leur dire, il refuse de se laisser définir par une identité ethnique ou sexuelle. Mais on peut aussi dire cela de l’autre personnage, celui de Costas.
L’élection de Donald Trump est assez intéressante à cet égard : il a réussi a agréger différents groupes de personnes qui ont peu à voir entre elles, même démocrates pour certaines. C’est la preuve qu’on ne peut pas réduire quelqu’un à son identité sexuelle ou ethnique, à ses valeurs. Il faut donc penser au-delà de l’identité.
Autre aspect intéressant du film : les personnages ne s’expriment pas dans leur langue natale, mais en anglais, qui leur sert ici de lingua franca. Pourquoi avoir fait ce choix ?
L’une des raisons principales est que j’ai d’emblée voulu faire un film américain – donc où les personnages s’exprimeraient en anglais. Pour moi, c’était presque d’un fantasme, qui me permettait de reproduire tout ce que j’aime dans le cinéma américain : tourner en studio, dans un style hollywoodien et avec des références classiques comme Douglas Sirk ou Alfred Hitchcock.
Pour l’usage de la langue, on le justifie d’une certaine façon dans le film, mais ce n’est pas très réaliste car les acteurs s’expriment sans aucun accent ! Pour des raisons que j’évoquais précédemment, je ne voulais pour autant pas tourner le film en langue russe.
Une fois le film écrit sur mesure pour deux personnages, il restait à trouver les acteurs à la hauteur de votre texte. Comment s’est passé le processus de casting ? Avez-vous beaucoup répété le texte en amont ?
J’ai passé tout l’été 2022 à New York, pour trouver mes collaborateurs sur le film – y compris les acteurs. Mon directeur de casting, Richard Jordan, a mis en ligne des annonces et c’est comme ça que j’ai rencontré Bruce Ross, qui habite New York, et à qui j’ai fait passer plusieurs essais. Pour Jamie Day, cela a pris un peu plus de temps, mais lorsque nous avons fait passer des auditions aux deux acteurs ensemble, j’ai su que j’avais trouvé Dima et Kostas.
Concernant les répétitions, nous avons d’abord tourné tous les extérieurs en une journée à New York, avant de tourner le reste du long-métrage en studio, en Lituanie ; tournage qui a commencé par une semaine de répétitions. L’une des scènes pour laquelle nous avons le plus répété était celle du bortsch. Les deux acteurs étant mauvais en cuisine, il fallait qu’on puisse leur apprendre à le faire pour que ce soit crédible dans le film !
Quand on tourne intégralement en studio, en lieu clos, est-ce une contrainte supplémentaire, pour savoir où l’on placera la caméra comme dans la façon de diriger les acteurs ?
Comme je le disais, c’est quelque chose que j’avais toujours voulu expérimenter, notamment parce que c’est plus facile de contrôler la lumière, ou de construire les décors tels qu’on les envisage vraiment. Donc je ne parlerais pas de contrainte – au contraire, même, parce qu’on peut vraiment créer un univers comme on le souhaite.
Était-ce d’autant plus important que chaque pièce de l’appartement joue un rôle dans le film, qu’il s’agisse de la cuisine dont vous parliez, ou encore de la bibliothèque ?
Oui, voilà : c’est une seule grande pièce dont on explore les différents coins. Je me suis inspiré de certaines sitcoms américaines, comme Will & Grace, pour trouver ce dynamisme au sein de l’espace.
On pense aussi à My Dinner with André de Louis Malle.
Oui, bien sûr ! C’est un très bon exemple de film où vous n’avez que deux personnes qui parlent, et qui n’est jamais ennuyeux pour autant, qui reste toujours vivant et vivace. C’était l’une de mes influences. My Dinner with André est encore plus simple en termes de mise en scène, et je voulais pour ma part aller un peu plus loin.
Quels sont vos projets actuels ?
Te Revoir était le deuxième volet d’une trilogie consacré aux couples qui se font et se défont dans des circonstances politiques difficiles. Le premier était Tomber pour Ali, et le troisième sera The Activist. Un film sur un jeune homme qui cherche le meurtrier de son ami activiste. J’espère qu’il sera projeté au festival l’an prochain !
Propos recueillis par Robin Berthelot
Galerie photos
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