Le 26 mars 2024
- Réalisateur : Pablo Berger
S’il n’est pas rare de sortir d’une séance de cinéma avec des questions plein la tête, il est plus rare d’avoir l’opportunité de les poser au réalisateur concerné. C’est désormais chose faite concernant Mon ami robot, aventure animée, bigarrée et poétique signée Pablo Berger. Rencontré au Festival du cinéma espagnol de Nantes, celui-ci a bien voulu nous livrer les clés de son dernier film...
Comment avez-vous découvert la bande dessinée de Sara Varon ? Vous avez souhaité l’adapter d’emblée ?
J’ai découvert le livre en 2010, car je collectionne les romans graphiques sans dialogues, et j’ai adoré. C’est devenu l’un de mes livres de chevet, et je l’ai gardé dans ma collection. Huit ans sont passés, durant lesquels j’ai tourné Blancanieves puis Blancanieves, puis s’est posée la question : que faire pour mon prochain film ? J’ai relu le livre devant un café, et j’étais vraiment bouleversé – plus encore que la première fois – une fois que je l’avais terminé. J’étais ému aux larmes en lisant la fin, et c’est à partir de cette fin que je me suis dit qu’il y avait une histoire méritant d’être racontée.
Si cette fin m’a tant bouleversé, c’est qu’au cours de ces huit années, j’ai beaucoup changé : j’ai perdu de vue mon meilleur ami, j’ai perdu ma mère et plusieurs être chers. En lisant cette histoire, je me suis comme substitué à ces personnages, cela résonnait avec ce que j’avais vécu – et cela pouvait résonner avec ce que vivraient les spectateurs.
Vous aviez réalisé trois films en live action. Quels étaient les défis pour vous en passant au cinéma d’animation ? Cela ne vous faisait pas peur ?
J’avais peur, certes, car je m’aventurais vers un monde nouveau, mais ce n’était pas une peur qui me paralysait ; au contraire, elle me donnait des ailes ! D’autant que je me suis rapidement rendu compte que les cinémas en prises de vue réelles et d’animation ont beaucoup en commun. En prises de vue réelles, on travaille avec le directeur de la photo, celles et ceux qui sont en charge du maquillage, des costumes, de la coiffure… En animation, on ne travaille qu’avec une seule équipe : les animateurs, les dessinateurs. La différence est fondamentale, mais la façon de communiquer est exactement la même.
Par ailleurs, pour mes films « live action », j’ai eu la chance de travailler avec les meilleurs acteurs espagnols, et je voulais capitaliser sur cette expérience dans mon passage à l’animation. J’avais besoin pour cela d’une aide précieuse, qui fut donc celle du grand dessinateur et directeur artistique Benoît Feroumont. Mon but était d’obtenir de grandes interprétations animées, c’est-à-dire des personnages sincères, réels et émouvants.
Une qualité primordiale pour un directeur artistique en animation est la patience. Faire un film d’animation nécessite plus de deux ans ; moi, quand je tourne avec des acteurs bien réels, ça prend deux mois… Pour autant, j’ai fait quatre longs-métrages en vingt-cinq ans, donc je crois que je sais aussi être patient !
Votre Blancanieves était déjà un film muet, qui rendait hommage au cinéma espagnol des années 1920. Dans Mon ami robot, les références sont plutôt à chercher du côté de Buster Keaton ou Pierre Étaix.
Blancanieves et Mon ami robot sont très différents mais sont pour autant comme deux sœurs. Le premier est un pur film muet – c’est une véritable lettre d’amour à ce cinéma –, tandis que le second constitue pour moi du cinéma sans dialogues, plutôt que muet. Le design sonore de Mon ami robot a d’ailleurs été très compliqué puisque chaque personnage a un son qui lui est propre : il rit, crie, et fait passer par ce biais un grand nombre d’émotions et sensations… À cela s’ajoutent les bruits de la ville de New York.
Buster Keaton, Charlie Chaplin, Pierre Étaix, Jacques Tati étaient pour moi des références, car eux-mêmes pratiquaient ce genre de cinéma. Dans Playtime par exemple, il y a une ambiance sonore très riche qui donne une identité. Pareil dans Yoyo : toute la première partie ne contient presque pas de texte mais tous les sons donnent une sensation de vie très palpable ! Pour Chaplin, ma référence était Les lumières de la ville (1931) : le cinéma parlant existait déjà, mais lui a préféré faire un film sonore.
Ici, « les lumières de la ville » sont celles de New York. Pourquoi avoir choisi cette cité ?
Dans le livre de Sara Varon, il est simplement dit qu’il s’agit d’une grande ville américaine… J’ai mis l’accent sur New York, à tel point qu’elle constitue le troisième protagoniste de l’histoire, après le chien et le robot.
J’ai vécu dix ans dans cette ville, c’était pour moi l’occasion de lui déclarer ma flamme. J’ai visité New York pour la première fois dans les années 1970, j’y suis retourné ponctuellement au cours de la décennie 1980, avant d’y vivre de 1990 à 1999. En réfléchissant à la période à laquelle situer Mon ami robot, j’ai rapidement opté pour les années 1980 – décennie qui me paraissait plus intéressante, plus cool que celle qui suit ! New York était alors une ville très différente d’aujourd’hui : plus bouillonnante, plus sale, plus dangereuse. Paradoxale, aussi : beaucoup de gens y vivaient dans la rue, mais c’était le centre du monde. Les artistes étaient très influencés par cette ambiance si particulière.
Tous mes longs-métrages, finalement, sont des films d’époque. Ce qui m’intéresse, quand le spectateur achète son billet, c’est de lui faire faire un voyage vers un autre lieu et un autre temps. Mon ami robot est donc l’occasion de faire un voyage vers ce New York qui n’existe plus, et de ressentir ce que j’ai ressenti à l’époque.
Vous mentionniez l’importance du son. En l’absence de paroles, la musique elle-même devient d’autant plus importante. Comment s’est fait la sélection des morceaux, particulièrement September d’Earth, Wind and Fire, qui sert de leitmotiv ?
Enfant, je voulais devenir musicien, avant de m’orienter vers le cinéma… La musique joue donc un rôle crucial dans chacun de mes films, et je travaille depuis mon premier avec la superviseure musicale Yuko Harami. Elle m’a fait de nombreuses propositions, car je voulais retranscrire l’ambiance musicale du New York de cette époque : musique latina, hip hop, punk rock, musique de rue, new wave… September est un peu la cerise sur le gâteau, le morceau était là dès la première version du scénario ; l’histoire se déroulant de septembre à septembre, le choix paraissait évident.
En plus de ces morceaux que nous avons réutilisés, il nous fallait une bande-son tout aussi intense ; j’ai fait appel à Alfonso de Vilallonga, avec qui je travaillais pour la troisième fois. Quand on pense à New York, c’est du jazz qu’on entend, et là je voulais donc un quartet avec piano, une mélodie sensible et émouvante. Notre référence en la matière, c’était les musiques composées par Vince Guaraldi pour les dessins animés Snoopy.
Un grand merci à notre interprète Victoria Saez.
Galerie photos
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