Le 22 septembre 2021
- Réalisateur : Patrick Imbert
- : Wild Bunch Distribution
- Date de sortie : 22 septembre 2021
- Festival : Festival de Cannes 2021
L’équipe du brillant Le Sommet des dieux a accepté de nous présenter son film, présenté à Cannes, et en salles le 22 septembre prochain. Les producteurs, Jean-Charles Ostorero (JCO), Didier Brunner (DiB), Damien Brunner (DaB), puis le réalisateur du film Patrick Imbert (PI) et son compositeur Amine Bouhafa (AB) – article connexe-, n’ont pas été avares au cours d’une conversation menée à Cannes, en juillet dernier. La veille, le film était présenté au festival.
Le Sommet des dieux est adapté de l’œuvre de Jiro Taniguchi et de Baku Yumemakura.
Première partie – Interview avec l’équipe de production
Avoir-Alire : Vous présentez le film dans un contexte particulier. Celui du Festival de Cannes, dans la section officielle « Cinéma de la plage » (séances gratuites et ouvertes à tous, le soir et en plein air). Quel effet cela vous a fait, et que cela représente pour vous ?
JCO : C’est un projet sur lequel nous avons travaillé très, très longtemps. Ses origines remontent à 2012-2013, avec les premières approches du manga. Je l’ai lu, puis nous nous sommes rencontrés avec Didier et Damien. J’ai une société de production, qui ne possède cependant pas de studio. Donc on travaille avec des studios différents à chaque fois, et il se trouve que Didier connaissait très bien l’œuvre de Taniguchi, et avait très envie de faire le film ! Le résultat est magnifique, car les équipes sont extraordinaires. Patrick (Imbert, réalisateur), n’en parlons pas… il a su tirer la quintessence de l’œuvre originale, faire ressortir l’esprit de Taniguchi. Jiro Taniguchi avait pu voir les premières ébauches avant son décès (2019), il aimait déjà beaucoup. Cela a été une grande émotion lorsqu’on a appris son décès. Le film a été très imprégné de cette disparition, de cet esprit, qui a continué de nous guider jusqu’à… hier soir !
Avoir-Alire : Son décès a-t-il changé les choses ? Ou s’agissait-il d’un esprit vraiment général ?
DiB : On aurait pu craindre que cela bouleverse les relations avec les ayants droit. Finalement, cela n’a pas changé grand-chose, sinon que nous avions avec Taniguchi un interlocuteur précieux. Il pouvait vérifier que nous ne partions pas dans une direction qui le heurtait. Car une adaptation est toujours une trahison.
Avoir-Alire : : C’en est même le principe, n’est-ce pas ?
JCO : Oui ! Mais lui-même était très respectueux des artistes. Dès lors qu’il avait confié son œuvre à un autre artiste, la confiance était totale. On a toujours maintenu d’excellentes relations avec son agent, Corinne Quentin. Et puis il n’était pas seul ! C’était un duo, il y a également Baku Yumemakura, qui lui est vivant, et pour longtemps on l’espère. Lui a écrit le roman, à l’origine de cette histoire.
DaB : 1 500 pages !
DiB : Donc il y avait déjà eu l’adaptation de Jiro Taniguchi vers la BD.
DaB : Les 1 500 pages deviennent alors 5 tomes pour le manga.
Avoir-Alire : Pour revenir sur Jiro Taniguchi : il a été un interlocuteur tout le long de la production ?
JCO : Pas tout à fait. Mais on l’a rencontré à plusieurs reprises, on lui transmettait des éléments via son agent régulièrement. Il était très satisfait de la direction que cela prenait. Je crois qu’il a été très sensible au fait qu’on l’adapte en cinéma d’animation. Il avait déjà été adapté en prises de vue réelles avec Quartier lointain et Le Gourmet solitaire en série télévisé aussi. Mais rien en animé.
DiB : Car au Japon, l’animation est un art noble. Le manga remonte à ces arts graphiques narratifs venus du Japon au XVIIe et XVIIIe siècles, où l’on faisait déjà des récits dessinés de la sorte. Le cinéma d’animation japonais est un cinéma très vivant, très créatif, très puissant. Pour Jiro Taniguchi, c’était très important qu’au moins une de ses œuvres soit réalisée en animation.
Avoir-Alire : On arrive à une spécificité du film : il n’est pas japonais. C’est l’adaptation française d’une œuvre japonaise. Pensez-vous qu’on aurait fait le film différemment au Japon, et comment ?
JCO : Vraisemblablement. On est européens. On n’a pas leur manière de travailler.
DaB : Ils n’auraient définitivement pas fait le même film. Graphiquement, cela aurait été assez différent, déjà.
- © Le Sommet des Dieux – 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma
DiB : Je pense qu’on est pile dans la sensibilité de Jiro Taniguchi, dont l’œuvre a toujours fait le pont entre la culture manga japonaise et la culture ligne claire européenne. Il le revendiquait ! Le succès qu’il a en France s’appuie sur ces racines culturelles européennes, principalement franco-belges. Ce qui fait qu’au Japon, il n’a pas la gloire populaire qu’il a ici. En France, il est plus connu qu’au Japon !
JCO : Sur le duo, c’est bien Baku Yumemakura le plus connu là-bas. C’est l’inverse ici.
DiB : Si je ne me trompe pas, les chiffres de ventes de Taniguchi sont supérieurs en France qu’au Japon. On doit avoir 400 à 450 000 livres vendus en France.
JCO : C’est-à-dire qu’au Japon, au départ, il est sorti sous forme de feuilleton, donc cela reste difficilement comparable.
DiB : Ce qui prouve une tradition de l’animation au Japon.
Avoir-Alire : Donc vous adaptez le manga, le roman, les deux ?
JCO : Le roman, on ne l’a jamais lu ! C’est simple, il n’a jamais été traduit du japonais.
DiB : Et je vous avoue que le japonais, j’ai un peu de mal…
JCO : On a essayé quinze jours mais on a arrêté ! On a donc le roman, puis l’adaptation manga. Nous avons donc adapté, clairement, le manga.
DiB : Et nous l’avons vraiment adapté. L’histoire qu’on raconte n’est qu’un segment du manga, pas la totalité.
DaB : Cela a amené une très longue réflexion sur l’adaptation. On a mis quatre ans à trouver le bon scénario, et les bons scénaristes.
JCO : Ce n’est pas étonnant. Une œuvre comme celle-là, vous pouvez très bien en faire Tintin au Tibet, Le Grand bleu, ou Apocalypse Now !
DiB : Apocalypse now, il ne faut pas exagérer !
JCO : Il est reclus dans son monde depuis 8 ans pour son affaire… Quand même ! On peut tirer vers ça.
DiB : Celui qui a donné la tonalité au projet, c’est aussi Erri De Luca (romancier italien ayant travaillé à la base du scénario, ndlr).
JCO : Oui, avec une approche philosophico-mystique.
DiB : Très marquée par un aspect conceptuel tout de même.
Avoir-Alire : En fin de compte, pourquoi choisir d’aborder le sujet de la montagne à travers l’œuvre de Taniguchi ? On aurait pu le faire sans cette base, non ?
JCO : Je suis l’initiateur du projet. J’adore la montagne, je lis des histoires de montagne depuis que je sais lire. Cette histoire-là, l’histoire de Mallory (premier homme au sommet de l’Everest, élément déclencheur de l’histoire du Sommet des dieux, ndlr) je l’avais lue plusieurs fois. Gamin, j’étais très influencé par Frison-Roche, Walter Bonatti et autres. Mais c’est la première fois que je lisais une œuvre aussi forte et complète sur la montagne, et surtout en dessins. Quand je l’ai terminé, mon métier a repris le dessus. C’est le producteur d’animation qui a repris le dessus sur le gosse amateur de lectures. Il fallait le faire. On ne peut pas laisser passer l’occasion. Mais bien sûr, c’est là que les ennuis commencent. J’ai appris dans la foulée que les auteurs japonais, qui ne parlaient pas un mot de français, avaient les droits. Premier coup de chance : les droits étaient au bureau du Copyright français à Tokyo, dirigé par Corinne Quentin, une Française.
Avoir-Alire : Donc vous avez établi le contact comme ça ?
JCO : Exactement. Pendant plusieurs mois, je me suis affairé à négocier les droits. Il y avait de la concurrence… Quand j’ai pu signer, que tout était d’équerre, j’ai rencontré Didier, qui connaissait très bien l’œuvre de Taniguchi. Il avait très envie de monter à bord… Comme j’étais plutôt un initiateur de projet, pas un fabricant, avec toute la noblesse que le terme implique, surtout en animation, ils ont pris en charge le projet, avec Folivari et leur studio Fost. Ensuite, j’étais plus sur le scénario.
DiB : Le film faisait partie, pour Folivari et ma carrière depuis 30 ans, d’une recherche qui m’obsède sur l’animation : ce média s’adresse à tous les publics. Sur un projet comme celui-ci, elle apporte quelque chose de formidable : une dimension mentale, philosophique. Elle apporte une implication émotionnelle forte, et en même temps une distance par rapport au sujet. On peut alors se demander : pourquoi aller si loin, si haut ? Pourquoi flirter ainsi avec la mort ?
DaB : C’est clairement le mythe de Sysyphe. Un mélange entre le mythe de Sisyphe et La Longue route de Moitessier. La montagne et la mer, c’est relativement comparable.
DiB : On peut aussi penser à Sylvain Tesson, par exemple La Panthère des neiges. Je trouve que l’animation, comme la littérature, peut nous emmener très loin. Là, on a du Into the Wild (roman de Jon Krakauer, 1996 puis film de Sean Penn, 2007) pour l’animation.
Avoir-Alire : (ironiquement) Vous en avez parlé à Sean Penn, il est content ?
DaB : Oui, il est content, on signe son prochain film (rires.)
Avoir-Alire : L’animation permet de tout représenter, avec notamment des visions cauchemardesques dans votre film. C’est impossible à faire en prises de vue réelles ?
Collectif : Si !
DiB : Mais l’impact est différent. Les scènes fantasmatiques sont reçues différemment. L’effet de réalité est immédiat avec la prise de vue réelle. En animation, on est happé par la scène, mais en même temps on garde une part de libre arbitre donnée au spectateur, une distance.
DaB : C’est ce que procure la BD, la littérature aussi par rapport à la pellicule. On peut aller beaucoup plus loin.
DiB : Le choix du réalisateur nous a guidés dans cette direction aussi. Patrick est un très grand animateur. On l’avait fait travailler sur Le Grand méchant renard et autres contes, avec Benjamin Renner.
DaB : Il était chef animateur sur Ernest et Célestine (Stéphane Aubier, Vincent Patar et Benjamin Renner, 2012) aussi.
DiB : On était convaincus qu’il était la bonne personne. Il ne s’agissait pas de faire bouger les personnages. Il a dessiné des acteurs, et pas des personnages. On voulait un vrai cinéaste, qui sache diriger des acteurs. Et en animation, diriger des acteurs, c’est diriger des animateurs et avoir un vrai sens de l’acting.
DaB : Cela a été un exercice difficile tout le film, fait pour moitié en confinement tout de même. L’animation entière a été faite en confinement. Les visios de Patrick avec les équipes servaient à mimer les personnages, faire l’acting ! C’est d’ailleurs une des grandes forces du film : le poids et les gestes. Cette loi de la pesanteur a été grandement travaillée en amont par Patrick, avec des conseils, mais aussi l’utilisation de matériel de montagne, pour comprendre comment cela marchait.
DiB : Un travail a été fait avec Jean-Charles sur ce point : l’aspect gestuel, technique des alpinistes. C’était essentiel.
DaB : Dans le film on le remarque, c’est admirable. Les nœuds, le sens des mousquetons, tout est « vrai ».
DiB : Jean-Charles nous a harcelés là-dessus !
JCO Un peu. J’avais la chance d’avoir un ami qui rentrait de l’Everest. Il était summiter, c’est-à-dire qu’il a atteint le sommet. Il est revenu quelques mois avant qu’on commence le film. Donc dès qu’il est rentré, il nous a tout raconté.
DaB : Presque flippant !
JCO : Il avait encore quelques engelures, et il était complètement imprégné de l’expérience.
DiB : On a passé une soirée formidable.
JCO : Mais il n’était pas toujours disponible. Mais au club alpin français, à 500 mètres du studio, Patrick a trouvé quelqu’un qui a pu travailler sur comment on plie une corde, comment on gère un mousqueton, etc. Cela me fait plaisir, car je sais que les spécialistes de la montagne remarqueront tout cela immédiatement. Tiens, quand il met son mousqueton, il retourne après avant de passer sa corde. C’est un geste que connaissent tous les grimpeurs. Ils y seront sensibles. Ce film est très attendu dans le milieu des amateurs de montagne, des amateurs de littérature de montagne.
- © Le Sommet des Dieux – 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma
DiB : Mais il s’adresse évidemment à un public plus large !
DaB : Hier à la projection, il y avait beaucoup d’enfants, à partir de 6 ans ! Certains passages font un peu peur, mais c’est bien passé. Les enfants n’étaient pas effrayés. En tout cas, à partir de 13-14 ans ils iront ! Il y a bien sûr plusieurs niveaux de compréhension du film. Il y a une porte d’accès familiale, bien sûr. Et une porte d’accès beaucoup plus philosophique, sur l’exploit, sur comment repousser ses limites, pourquoi le faire. C’est la fameuse question à laquelle Mallory avait répondu à journaliste : « Pourquoi l’Everest ? - Parce qu’il est là. » Cela veut tout dire.
JCO : En 1923, il a dit cela après deux échecs les années précédentes.
DiB : Mallory, c’est la réplique d’Abu (personnage principal du film, ndlr). Ils ont les mêmes motivations, les mêmes obsessions, le même destin.
JCO : C’est encore plus vrai dans le manga, avec de nombreux parallèles entre leurs vies.
DiB : Il y a un film qui me rappelle la même poésie, c’est Kirikou et la sorcière (Michel Ocelot, 1998). Je suis toujours immergé dans ce film…
Avoir-Alire : C’est aussi de l’animation.
JCO : C’est Didier qui l’a produit, Kirikou ! Le film qui a lancé l’animation française. Comme pour Le Sommet des dieux, j’ai beau le revoir, même si j’en vois tous les défauts, comment on aurait fait avec plus d’argent. Là on avait 9,5 millions. Sur Kirikou, 3,5. C’est large mais pas si confortable ! Les contraintes sont importantes dans l’art.
Avoir-Alire : Sans limite de budget, vous n’auriez pas forcément fait un meilleur film ?
DaB : On se dit toujours cela, mais bon… Quand il y a de l’argent, il y a du confort. La réflexion était de faire un film très ambitieux avec un budget confortable, mais qui avait ses limites. Avec moins de 10 millions d’euros, on a dû réfléchir, s’organiser. D’autant que les calendriers de livraison ont été beaucoup perturbé, par exemple avec la Covid.
DiB : Les décors, par exemple, on a mis un an et demi pour les avoir finis. Mais on a eu des partenaires choisis. On a eu un studio luxembourgeois, 352, une petite équipe à Valence, Les Astronautes, qui a fait tout le compositing du film, remarquable, avec un compositeur magnifique aussi. L’équipe a fusionné. Le dialogue a été très créatif entre tout le monde.
Avoir-Alire : Concernant le statut de l’animation...
DiB : Je vais vous dire un truc sur le statut de l’animation. On a bataillé pour que le film soit en sélection à Cannes. On l’a obtenu. Mais on est en sélection sur un strapontin. Certes en sélection officielle, hors compétition, sur le cinéma de la plage. On est très contents d’avoir pu le montrer à un public pas seulement festivalier. Et en même temps, les conditions de projection sont tout de même bien moins qualitatives que si on avait été dans la grande salle du Palais !
DaB : Pour un film très post-produit, très travaillé.
Avoir-Alire : C’est l’éternelle question aux César aussi. On a le « meilleur film » d’un côté, et le « meilleur film d’animation » de l’autre…
DaB : Cela évolue tout de même !
DiB : Cela évolue… doucement ! On est toujours un peu humiliés.
DaB : C’est le combat qu’on mène à l’Académie des César.
JCO : En tout cas, ce qui était fantastique au Cinéma de la plage, c’était de pouvoir observer des mouettes au-dessus de l’Everest ! Personne ne l’avait jamais vu.
DaB : Pour conclure, la représentativité de l’animation est un sujet sur lequel on veille. Les gens du cinéma pensent que l’animation c’est fait pour les enfants. Nous, on veut réhabiliter l’idée que l’animation c’est du cinéma.
DiB : C’est Michel Ocelot qui dit : « Je ne fais pas de films pour les enfants, je fais des films avec des enfants ».
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