Le 4 août 2021
- Date de sortie : 4 août 2021
- Festival : Festival de Cannes 2021
Anne-Sophie Versnaeyen, compositrice de musiques de films, était à Cannes pour la projection d’OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire. Elle revient sur sa collaboration avec Nicolas Bedos et nous explique en quoi le travail sur la comédie pure est particulièrement exigeant.
- Christophe Brachet © MANDARIN PRODUCTION - GAUMONT - M6 FILMS - SCOPE PICTURES
aVoir-aLire : Vous présentez OSS 117 en dernière séance du Festival de Cannes. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Cela fait extrêmement plaisir, surtout que c’est un film qui a été fait en confinement ! Le jour où on a commencé à vraiment travailler sur des choses précises avec Nicolas (Bedos, réalisateur, ndlr), pour un premier jet du film, c’était le 16 mars 2020. Le jour de l’annonce du premier confinement, à un ou deux jours près. Donc tout le travail, comme les enregistrements, ont été faits en confinement. Il n’y a pas eu vraiment d’événement festif autour du film, alors que parfois sur des gros films, on est content de partager tous ensemble. Donc c’est très plaisant de pouvoir partager le film maintenant, ce qu’on n’a presque pas pu faire avant… Dans ce contexte de Cannes, en plus !
aVoir-aLire : Vous avez un premier souvenir du Festival de Cannes ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Oui, parce qu’en 2019 La Belle époque (Nicolas Bedos, 2019) avait fait l’ouverture du Festival !
aVoir-aLire : Vous avez fait l’ouverture, vous faites la clôture, vous aurez tout fait ! Vous commencez à être habituée.
Anne-Sophie Versnaeyen : (Rires) Habituée, je ne sais pas ! Mais je pense que chaque année c’est différent. Dans dix ans, peut-être !
aVoir-aLire : C’est en tous cas votre deuxième collaboration avec Nicolas Bedos. Comment travaillez-vous avec lui ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Avec Nicolas, on s’était rencontrés sur Monsieur et Madame Adelman (2016), son tout premier film, sur lequel j’étais intervenue pour des arrangements. On s’était très bien compris, c’est important. Ensuite, avant La Belle époque, il présentait la cérémonie des Molière. Il avait cette idée de faire un peu à l’américaine, avec de la musique. Malheureusement, sur place on n’avait pas le budget pour avoir des instrumentistes, mais en enregistrant, on a réussi à faire notre collaboration. Ensuite, il m’a proposé La Belle époque.
aVoir-aLire : Ce n’était pas votre premier long-métrage ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Non, mon premier long était Requiem pour une tueuse (Jérôme Lemaire, 2010). Puis j’ai travaillé sur A mon âge je me cache encore pour fumer (Rayhana, 2017), Chambord (Laurent Charbonnier, 2019) et Mon cousin (Jan Kounen, 2020). Mais Mon cousin, je crois que c’était après La Belle époque. Chaque film a ses propres besoins en musique, mais on avait déjà une connaissance avec Nicolas. Quand on fait la rencontre de quelqu’un, on découvre l’humain, comment on fonctionne, comment on échange. C’est très important en musique, car on doit parfois communiquer sur un langage qu’on ne partage pas forcément, il faut trouver les mots. Parler musique, parfois ce n’est pas évident. Avec OSS, c’était déjà installé. Donc, cela a été assez fluide. Je savais interpréter ce qu’il me disait. Par exemple, pour La Belle époque, il me disait qu’il ne voulait pas de cordes. Mais je décryptais ce que cela signifiait. Par exemple « je ne veux pas de cordes », cela voulait dire « je ne veux pas de grand thème mélo de cordes ». Par contre, des cordes plus discrètes, sur un mode de jeu qui s’appelle de staccato (imite), on en a eu. Donc on a un langage commun quand on travaille ensemble. En tout cas, ce langage assez propre à chaque collaboration compositeur-réalisateur. L’interprétation des non-dits, de ce que veut l’autre, c’est assez précieux. Une fois que cela est fait, cela s’affine encore par la suite. Cela nous a beaucoup aidés de déjà nous connaître pour OSS. Car au premier confinement, c’était assez strict, on ne pouvait rien faire. Heureusement, on avait déjà cette fluidité. Cela aura très compliqué de se découvrir dans ces conditions. Car se voir, cela aide, surtout en musique où l’on peut jouer, illustrer ce qu’on dit.
aVoir-aLire : Donc vous avez échangé intégralement à distance ? Vous faisiez écouter puis continuiez à travailler sur ces bases ?
Anne-Sophie Versnaeyen : En musique de films, on fait tout le temps des maquettes. Elles sont très réalistes, s’approchent énormément de ce qu’on aura dans le film. Avec les samples qu’on utilise, c’est assez bluffant. Parfois même, quand on enregistre, certains peuvent avoir des réactions de surprise. Comme je joue de l’alto (instrument à cordes frottées, ndlr), j’enregistre beaucoup moi-même les cordes. Je le fais aussi pour des guitares. Cela aide beaucoup aux maquettes, et donc à échanger. On peut donc faire des retours sur cette base. On peut dire : « ce thème monte trop haut », etc. L’avantage quand on se voit, c’est quand même de pouvoir travailler en direct. On peut se dire « tiens, ce solo de saxophone, je n’aime pas trop la conduite du thème », et puis on le joue et on change directement. On peut le construire.
Tous les instruments au monde existent aussi en sample, donc « en faux », sur clavier. On peut donc en jouer, et faire écouter avant même que cela soit enregistré. Parfois, c’est dur, car certaines techniques de jeu ne peuvent pas être reproduites. Donc à ce stade, on n’a pas encore l’interprétation et l’incarnation de la musique par le musicien. C’est toujours mieux quand c’est enregistré, car certains modes de jeu ne sont pas réalisables en maquette. Je pense à des effets sur des cordes par exemple. Donc parfois, il faut avoir la confiance du réalisateur, lui dire qu’on ne peut pas avoir le résultat précis avant qu’il soit joué.
aVoir-aLire : C’est facile pour un réalisateur de faire confiance ainsi ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Non. Pour personne. Même pour un musicien, cela peut être dur de se projeter. Tout dépend de la manière de réaliser les choses. Regardez : parfois des chansons existent. Puis on a des reprises et ce sont celles-là qui marquent, qui nous portent.
- Christophe Brachet © MANDARIN PRODUCTION - GAUMONT - M6 FILMS - SCOPE PICTURES
aVoir-aLire : Pour la méthode de travail, vous commencez à travailler à partir du scénario, ou une fois le film monté ? Entre les deux ?
Anne-Sophie Versnaeyen : J’ai l’impression que cela peut dépendre du film. J’aime de plus en plus faire des propositions sur scénario. Je trouve cela intéressant. Il faut simplement ne pas être trop attaché aux musiques proposées sur scénario, car tout peut être « jeté », et cela n’a rien à voir avec la qualité. Ce sont aussi l’image, le montage, le rythme du film qui vont dicter les choses. Mais en tant que compositeur on peut être attaché à ses propositions !
Par exemple, sur La Belle époque, on a eu beaucoup de propositions sur scénario, elles allaient bien avec le style du film. Sur OSS, la comédie fait qu’on a une précision au millimètre. Donc on a accordé une importance primordiale au rythme avec Nicolas et Annie Dancher (au montage avec Florent Vassault). C’est incroyable de voir comment la musique peut mettre en valeur ou faire tomber à l’eau la moindre réplique. C’était flagrant sur un film comme OSS.
aVoir-aLire : Plus que sur La Belle époque, qui est moins dans la comédie ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Oui ! C’est moins comédie.
aVoir-aLire : Donc sur OSS, vous avez travaillé avec le scénario, puis jusqu’au montage final vous avez continué de proposer des morceaux ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Oui, sauf pour la chanson du générique, un peu à la James Bond. Elle a été faite un peu à la manière d’un clip. On l’a composée ensemble avec Nicolas. Elle a été faite au début. C’est le seul moment où l’image s’est calée sur le son. Pour le reste, c’était plutôt l’inverse.
aVoir-aLire : Même si on garde le scénariste Jean-François Halin, on change d’équipe par rapport aux deux premiers. On avait Michel Hazanavicius à la réalisation, et son compositeur fétiche Ludovic Bource à la musique. Comment voyez-vous le travail de ce dernier, et avez-vous décidé de toute reconstruire, ou de repartir de cette composition ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Il y a tout de même une rupture, due au changement d’équipe, c’est certain. Et puis il s’est écoulé beaucoup de temps ! Il n’y avait du tout l’idée de renier les premiers, ou de les effacer. A un moment, OSS siffle dans sa chambre un des thèmes des premiers, et à la fin le thème d’OSS apparaît. Donc on voulait faire un clin d’œil. Mais on voulait garder l’ADN sans recopier. On ne voulait pas reprendre les thèmes et simplement les changer un peu, ou les orchestrer de manière différente. On l’a plutôt abordé comme quelque chose de nouveau.
A un moment, OSS dit « OSS restera toujours OSS ». C’est bien ça ! L’idée n’était pas d’évincer le travail précédent.
aVoir-aLire : Est-ce que vous sauriez identifier ce qui fait l’ADN d’OSS au niveau musical ?
Anne-Sophie Versnaeyen : (Réfléchit longuement). Au niveau instrument, on a toujours l’esprit big band, avec le saxophone et la base rythmique, guitare-basse-batterie. Au niveau instrumentation on est assez proche des autres finalement. On a ce côté hybride entre un orchestre classique, et ces couleurs guitare-basse-batterie, big band. Donc l’ADN, c’est peut-être ce mélange ?
aVoir-aLire : La spécificité d’OSS est aussi qu’il évolue dans les années 80. Cela vous a influencé musicalement ? Vous essayez de faire ressortir cette époque ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Peut-être au début, avec le générique, et l’utilisation du synthé. Ensuite, ce qui est sûr c’est que ce n’est pas une musique qu’on ferait aujourd’hui. Je n’utilise pas des sons « actuels ». Quand il y a une scène avec une belle femme, on a ces grandes lignes de violons, presque kitsch.
aVoir-aLire : Pour parodier les vieux James Bond ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Oui, c’est ça ! On veut être dans la veine de ces compositions.
aVoir-aLire : Justement, est-ce que vous avez eu des influences particulières, en dehors des James Bond ?
Anne-Sophie Versnaeyen : James Bond est vraiment la principale. Il y a des clins d’œil. Par exemple, à un moment je fais un morceau à cinq temps, et le cinq temps fait référence à ces films d’espionnage. On a aussi un côté aventure !
aVoir-aLire : On peut penser aux Philippe de Broca avec Belmondo, comme Le Magnifique (1973) non ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Oui, exactement. On a ce côté qui colle parfaitement au personnage d’OSS, toujours en costard.
aVoir-aLire : Nous sommes à Cannes, et il n’existe pas de récompense pour la musique. Comment l’expliquez-vous ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Les festivals ont des spécificités, et je pense que la musique n’est pas une spécificité de Cannes. Cannes, c’est plutôt centré sur les réalisateurs/acteurs. On a des festivals en France très centrés sur la relation entre la musique et l’image, comme Sœurs Jumelles qui vient de se créer. La Baule aussi. Je crois qu’il y a régulièrement des demandes.
aVoir-aLire : On posait récemment la même question à Pierre-Marie Dru, superviseur musical de Annette (Leos Carax). Il serait favorable à un prix.
Anne-Sophie Versnaeyen : D’ici quelques années, il y aura peut-être un prix ! La musique aurait sa place pour un prix, oui. C’est toujours bluffant de voir comment une musique peut porter un film, lui donner une personnalité. Ou le plomber !
aVoir-aLire : Justement, cela vous est-il arrivé d’essayer un morceau sur une scène et de vous dire que ça ne collait pas ?
Anne-Sophie Versnaeyen : Oui ! Il suffit que ça arrive en même temps que la réplique, juste un peu trop tôt… Cela peut plomber la scène car ça annonce la blague. Trop tard, on ne comprend plus la musique. L’importance du dialogue est primordiale, et il faut un timing parfait.
aVoir-aLire : Pour finir, j’aimerais vous demander les compositions qui vous ont particulièrement marquée.
Anne-Sophie Versnaeyen : Je suis très inspirée par les compositeurs de musique, depuis très tôt. Je faisais de l’orchestre avec des BO de John Williams. Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993), Star Wars (George Lucas, 1977), Indiana Jones (Steven Spielberg, 1981)… En plus ces musiques existent hors film. Plus tard, j’ai beaucoup aimé le travail de Jóhann Jóhannsson, qui est malheureusement décédé. Sa collaboration avec Denis Villeneuve, un cinéaste que j’adore, était parfaite je trouve. Il a dû inspirer beaucoup de compositeurs. Contrairement à John Williams, si vous écoutez hors contexte, vous pourriez vous dire « oui, bon, voilà ». Alors que dans le film, c’est la claque. C’est magique de voir comment la musique peut prendre son sens dans le film. C’est pour cela que je n’aime pas trop parler des musiques de films sans les avoir vus. Je trouve que c’est important de voir le film.
Donc pour OSS, on peut toujours écouter la BO hors-contexte, surtout la chanson du générique. Mais ce serait dommage sans l’avoir vu !
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