Retour sur la carrière du réalisateur de Charlie’s Country
Le 29 décembre 2014
À l’occasion sa venue à Toulouse, Rolf de Heer nous a accordé un long entretien au cours duquel il a évoqué sa carrière, l’une des plus passionnantes du cinéma australien.
- Réalisateur : Rolf de Heer
- Nationalité : Australien
- Festival : Festival de Cannes 2014
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À l’occasion sa venue à Toulouse, Rolf de Heer nous a accordé un long entretien au cours duquel il a évoqué sa carrière, l’une des plus passionnantes du cinéma australien.
D’origine néerlandaise, Rolf de Heer est devenu en l’espace de trois décennies un des réalisateurs les plus passionnants du continent australien. Avec pas moins de quatorze longs métrages derrière lui, cet activiste du cinéma à petit budget s’est souvent attaqué à des sujets difficiles, tout en se renouvelant sans cesse. Du thriller (Alexandra’s Project) au film de science-fiction dans l’outback (Incident at Raven’s Gate), en passant par le cinéma muet (Dr Plonk), le western banlieusard (The King is dead !) ou le film engagé sur la cause aborigène (Charlie’s country, son dernier), Rolf de Heer a touché à tout. Le 2 décembre 2014, nous avons profité de sa venue à Toulouse pour nous entretenir longuement sur sa carrière.
Avoir-Alire : Tout d’abord, j’aurais voulu savoir quelle est ta relation à l’Australie. Te sens-tu totalement australien aujourd’hui ?
Rolf de Heer : Je me sens complètement australien. Je comprends que dans mon éducation, mon enfance, il y a eu du néerlandais, mais je ne comprends plus la langue, bien que je l’ai pratiquée jusqu’à huit ans. J’aime le bush australien, le désert. Je me sens très australien.
Ton premier long métrage est sorti il y a trente ans. C’était Sur les ailes du tigre en 1984. Savais-tu déjà à l’époque que tu souhaitais devenir cinéaste et pratiquer cette activité pour le restant de tes jours ?
À l’époque, je pensais que j’allais faire carrière et c’était mon intention pour les trois films qui ont suivi, jusqu’à ce que je change d’avis sur le fait de faire carrière dans le cinéma. Ce fut mon premier film et le budget était assez petit. C’était un film pour enfants et ce fut une première étape dans la construction d’une carrière. Ce n’est pas que je n’aime pas le film. En fait, je l’apprécie. Mais c’est vraiment à ce moment-là que j’ai compris que je pouvais réellement diriger un film.
Depuis tes débuts, tu as été attiré par le cinéma de genre, que ce soit la science-fiction ou les films pour enfants par exemple...
Je ne pense pas en termes de genre. D’autres personnes se chargent de classifier les choses et peut-être que ce film correspondait à un public jeune mais pour moi cela ne constitue pas un genre. Car cela peut être une comédie comme cela peut être tout à fait autre chose. Je ne pense pas au genre quand je fais des films. Peut-être qu’il y a très longtemps, cela a été le cas, mais cela ne l’est plus depuis longtemps. Et je n’ai pas peur de mélanger ce que les autres classifient dans des catégories. Le transgenre on pourrait dire.
Dans ton second long métrage, Incident at Raven’s Gate, on trouve déjà ce qui fera la caractéristique de ton cinéma, c’est cette attention particulière portée sur les sons et les lumières, qui dans ce film suggère une atmosphère menaçante. En tant que cinéaste habitué à travailler sur des films à petit budget, est-ce que cet aspect, le son et l’éclairage, est essentiel ?
Maxime, je crois que tu as vraiment compris de quoi il s’agit. Raven’s Gate est le film avec lequel j’ai découvert le son. J’y ai compris ce que le son pouvait faire et ce qu’il ne faisait pas normalement et que je pouvais lui faire faire. Ce fut mon premier film avec une bande-son en full dolby. Le mixage a été très long et j’ai travaillé avec des gens très intéressants. J’avais appris un petit peu avec Sur les ailes du tigre car je ne connaissais absolument rien au son. Le monteur son qui était venu quelques semaines m’a appris quelques rudiments. Mais sur Raven’s Gate, j’ai eu la capacité et le budget d’apprendre et comprendre beaucoup plus. J’ai beaucoup pensé en termes de son. Même chose pour les éclairages. Car cela permet de créer des ambiances et des choses que l’on ne voit pas, tout comme le son.
Stylistiquement c’est aussi très impressionnant. Il y a tous ces top shots filmés du haut des grues, ces caméras qui tournent autour des personnages, ces angles originaux, etc. Est-ce que pour toi ce film a été un vrai terrain d’expérimentation ?
J’ai en fait eu plus d’équipement que ce à quoi je m’attendais. Pour des raisons étranges. J’ai eu plus de facilités. Mais je n’avais pas le contrôle sur de nombreux aspects du film. Cela aussi n’était pas prévu. Le film nous a été pris sur le plan financier. C’est devenu un film sur lequel je pouvais faire ce que je voulais. J’ai pu du coup expérimenter d’une certaine façon. Et j’avais tout cet équipement, dont la grue, et ce sujet qui encourageait une telle approche. Car on pouvait avoir un point de vue extraterrestre. Ce fut une grande libération de pouvoir faire ce film de cette manière.
Il faut aussi dire que tu ne te contentes pas de diriger tes films, tu les écris aussi, et parfois même tu les produits.
À présent, oui. Je fais les trois choses à la fois. Les trois premiers films que j’ai faits se caractérisent par des conflits avec les producteurs. C’est pour cela qu’après Dingo, je me suis dit qu’il fallait que cela change. Soit j’arrêtais de faire des films soit je changeais ma façon de faire. Pour moi, l’écriture aujourd’hui correspond à 50 % de la réalisation. Et si je pouvais seulement écrire, je serais plus heureux encore.
Pour en revenir à la musique, dans Incident at Raven’s Gate, on a aussi des types de musique qui sont associés aux personnages, l’un écoute de l’opéra, l’autre du rock, etc. Avec Dingo aussi, tu associes un son à un personnage. Est-ce que tu écoutes beaucoup de musique quand tu travailles sur un film ?
Pas sur les tournages. J’écoute de la musique dans la vie. Quand je travaille, je n’en écoute jamais.
Même quand tu écris ?
En particulier quand j’écris, je n’en écoute pas. Mon cerveau n’arriverait pas à gérer. Le seul moment où j’écoute de la musique en permanence c’est quand je fais le storyboard. Je dessine moi même mes storyboards, comme sur Raven’s Gate où la plupart du film a été storyboardé. Je ne suis pas très bon dessinateur. Les storyboards peuvent être très compliqués. Ils sont importants pour découvrir ce que je pouvais faire avec les plans. Je me suis construit un petit modèle du plateau. Je le regardais et je voyais ce que je pouvais faire avec. Et j’ai appris le storyboarding avec la musique. Une musique toujours très spécifique. Il y a des musiques qui ne fonctionnent pas avec le storyboarding.
Quelque chose de plus général quant à ton cinéma, mais sais-tu d’où te vient ton attirance pour les exclus, les marginaux, les personnes isolées ?
Non, je ne sais pas. Je pense qu’il y a quelque chose de dramatique là dedans, cela permet d’explorer singulièrement une source d’humanité. Je pense que c’est aussi comme cela que se sentent la plupart des gens. Ils sont dans leur propre tête. Tu es venu ici avec le train, tu as dû être souvent à l’intérieur de ta tête. En ce sens, tu es isolé. Je pense que nous nous sentons souvent isolés. Ce que font beaucoup de gens, ils recherchent à ne pas être comme cela. Mais il y a aussi d’autres raisons. Quand on travaille avec des petits budgets, tu as tendance à travailler avec un petit nombre de personnes. Mais tous mes films ne sont pas comme cela. 10 canoës ne parle pas d’une personne isolée. Et il y a d’autres exemples, mais oui, cela revient dans plusieurs d’entre eux.
Et ton attirance pour l’outback, est-ce dû à la beauté intrinsèque de ces paysages ?
J’aime l’outback pour ses défis, en tant qu’être humain, j’aime sa solitude, c’est un espace où je peux mettre mes pensées en ordre, je m’y émerveille, je ressens une vraie empathie avec sa nature. J’aime y aller, vivre dans un endroit isolé.
Quelles sont les difficultés majeures quand on filme dans l’outback ?
Il y a toujours des problèmes à filmer dans l’outback. Ils sont en général d’un ordre logistique ou lié au budget. Cela dépend où tu filmes dans l’outback. Mais on apprend à y faire face.
Et à présent tu es rôdé.
Oui, et je sais comment en tirer avantage et je sais que dans certains endroits, il est trop difficile de filmer.
Je vais juste m’arrêter sur un plan que je trouve extraordinaire au début de Dingo, avec cet avion qui passe au dessus de la tête du petit garçon. On y trouve une vraie qualité irréelle. Te sens-tu plus appartenir à un cinéma de l’irréel ou au contraire un cinéma réaliste, voire anthropologique ?
Je ne pense pas à ces choses et je n’y pense pas de cette façon. Je ne me vois pas comme un réalisateur de telle sorte. Je sais juste que je travaille plus avec des petits budgets. Personnellement je m’engage sur des projets et j’essaie de mettre de côté les autres influences cinématographiques et de m’adapter au projet sans en faire ce que je voudrais qu’il soit. Je pense au film comme ce qu’il devrait être, donc mon approche pour chaque film est différente. Je ne pense pas de la sorte.
Cette histoire de Dingo était-elle liée au fait que tu voulais faire un film avec Miles Davis ?
Pas du tout. Ce n’était pas mon idée ni mon scénario. C’est le seul film que j’ai fait sur lequel je n’ai absolument rien à voir avec le scénario. C’était un ami à moi, qui était écrivain, il avait beaucoup d’idées. Mais il ne savait pas sur laquelle travailler. Il avait une idée qui est devenue Dingo. Il a mis huit ans à l’écrire. Des options ont été prises et d’autres réalisateurs auraient dû le faire. Puis il me l’a passé pour que je le dirige et j’ai dit non parce que j’ai su que ce serait un problème car c’était son rêve. Au final, nous avons beaucoup parlé et j’ai accepté de le faire. Miles Davis n’est arrivé que très tard après plusieurs années de développement et de recherche de financement. Au départ, cela aurait dû être Sammy Davis Jr car il était un bon trompettiste quand il était jeune. Il voulait vraiment le faire et il allait le faire mais mystérieusement il est décédé peu de temps après avant que le tournage commence. Et la personne qui avait négocié Sammy Davis Jr pour nous a proposé Miles Davis. C’est comme cela que ça s’est passé.
Apparemment tu avais prévu de faire un film en Louisiane avec Miles Davis après Dingo ?
Oui, avec Miles nous nous sommes très bien entendus. C’était apparemment inhabituel d’après son manager. Il s’est senti si bien sur ce tournage, que pendant la postproduction – j’étais allé aux États-Unis quelques fois – nous avons parlé d’un nouveau projet, mais il est décédé peu de temps après.
J’ai été frappé par le nombre de ressemblances entre Dingo et Bad Boy Bubby. Nous avons deux personnages qui se sentent seuls et qui sont prisonniers d’un environnement et grâce à la musique ils arrivent à échapper à ce sentiment d’aliénation.
C’est intéressant car c’est la première fois que l’on me dit cela ! J’ai commencé à travailler sur le scénario de Bad Boy Bubby sûrement avant que Marc ait commencé à travailler sur le scénario de Dingo. Ce devait être onze ans avant que nous ne tournions le film. C’était une genèse totalement différente et c’était déjà bien avancé avant que je ne me retrouve impliqué dans Dingo. Bad Boy Bubby était destiné à être un film à très petit budget fait durant les week-ends et je pouvais du coup en faire ce que je voulais. Donc j’avais mis tous mes morceaux de musique préférés dedans et quand nous l’avons terminé, j’ai parlé avec le compositeur et il m’a dit qu’on pouvait faire mieux que cela. J’ai été d’accord avec lui. Donc son origine est si différente et cela parle de choses tellement différentes aussi. Mais cette comparaison est intéressante. On ne m’en avait jamais parlé avant.
Oui, ce sont des films très différents. Bad Boy Bubby est une expérience bien plus extrême à regarder. Et étrangement ce fut un de tes plus grands succès ?
Oui. Après Dingo, j’ai changé ma façon de penser. Ce fut un film très difficile à faire. J’en suis ressorti ruiné pour tout un tas de raisons compliquées. Et j’avais perdu mon amitié avec Marc Rosenberg, l’écrivain. Le film était bien mais à cause de l’avidité, il n’est allé nulle part. Les gens en voulaient plus parce qu’il allait avoir de très bons retours mais ils voulaient plus encore. Au résultat, il n’y eut rien. Je ne voulais plus de cela. Mais je souhaitais continuer en faisant à présent des films qui m’intéressent, qui me plaisent. Je ne voulais plus d’équipe de dix-sept mais douze cela suffit. Bad Boy Bubby a été le premier film que j’ai fait de cette façon et ce fut un grand succès.
Ce qui me fascine, c’est que dans les trente ou quarante premières minutes, tu arrives à créer de la tension et du suspense en ne filmant que dans une seule pièce, ce que tu allais faire aussi dans Alexandra’s Project.
Est-ce que tu as remarqué que la taille de la pièce s’agrandit ?
J’en ai parfois l’impression.
Quand Pop frappe à la porte et entre dans sa vie, son univers s’agrandit et à ce moment là son monde double de volume. Les gens ne le remarquent pas forcément.
Je ne savais pas mais c’est vrai que dans les premières séquences avec sa mère, on sent une réelle claustrophobie. Et tu as aussi travaillé avec plusieurs directeurs de la photographie ?
Du fait que c’était destiné à être tourné les week-ends sur une période d’au moins deux ans, je savais bien que je ne pourrais pas avoir le même directeur de la photo disponible tous les week-ends. Le scénario était structuré de telle manière que quand il sort de l’endroit où il a été enfermé, cela pourrait ressembler à n’importe quoi car pour lui ce serait la première fois qu’il le voit. Donc chaque lieu a été tourné en compagnie de directeurs de la photo différents. C’était le plan d’origine.
Et cela fonctionne bien ! J’ai aussi appris que tu avais utilisé un système sonore qui était disposé dans les cheveux ou la perruque du personnage.
Il y avait un microphone de chaque côté. L’idée m’est venue durant le mixage de Raven’s Gate. Cela faisait déjà quelques années que j’avais travaillé sur le scénario et les idées de Bad Boy Bubby. Nous avons eu de longues discussions sur la stéréo car je me suis rendu compte que des choses qui allaient être selon moi en stéréo ne l’étaient pas. Pourquoi doit-on la falsifier ? Pourquoi n’y a-t-il pas de véritable stéréo ? L’idée du son binaural est arrivée et je pensais tourner tout le film de cette manière, en mettant un casque binaural sur la caméra. Mais cela n’allait pas, il fallait que ce soit de la perspective du personnage. L’enregistreur son était au mixage sur Raven’s Gate et Dingo. On avait beaucoup travaillé ensemble. Nous avons toujours une bonne relation et nous continuons à travailler ensemble. Et nous nous sommes lancés dans de nombreuses aventures sonores ensemble. Puis nous avons trouvé quelqu’un pour contrôler tout cela, c’était quelqu’un qui avait travaillé pour une agence d’espionnage. Il pouvait rendre ces choses plus petites et les faire fonctionner. C’était difficile à faire et il a travaillé avec nous tout au long du film. Mais le mixage était fantastique, n’avait rien à voir avec tout ce que nous avions fait auparavant. Même le tournage a été différent car normalement on essaie le son puis on l’arrête. Comme si on ferme une fenêtre, ou comme si on sort quelque chose du frigo et on le referme ensuite. Les micros étaient placés si spécifiquement, cela a ajouté plein de sons. Si tu as la chance de voir le dvd avec la piste binaurale avec un casque, ce n’est comparable à rien d’autre de ce que tu auras entendu. Tu vas regarder derrière toi pour voir ce qui se passe.
C’est un film qui m’avait déjà terrifié la première fois que je l’ai vu et qui est devenu culte. Un ami me disait qu’il avait même fondé un groupe après l’avoir vu.
Oui, c’est dingue le culte autour de Bad Boy Bubby. En Nouvelle-Zélande, des gens se sont fait tatouer des scènes du film. Et une fois, alors qu’il était en Allemagne, Syd Brisbane qui joue un des jeunes dans la voiture qui insultent Bubby, s’est retrouvé dans une boîte de nuit et alors qu’il urinait aux toilettes, un videur black lui a ressorti le dialogue tel quel. Il a été pour le moins décontenancé !
Et ensuite tu allais continuer à travailler sur la question du langage, de l’absence de langage ou les problèmes de communication avec le film suivant, La chambre tranquille.
Ce ne fut pas le film suivant. Il y a eu d’abord Epsilon.
Oui, qui est d’ailleurs, comme Incident at Raven’s Gate, une sorte de film de science fiction dans l’outback.
Ce n’est pas vraiment de la science-fiction, non ? C’est plus un discours sur l’humanité. Il y avait juste besoin d’une méthodologie pour en arriver là. Oui, c’est une sorte de science-fiction mais pas vraiment.
On passe d’un espace à l’autre avec cette belle extraterrestre comme guide. Et c’est très politique et écologique.
Oui, c’est un film que j’ai aimé faire. Ce fut intéressant car tout comme Dingo, il a aussi complètement disparu. Mais mon souvenir est bon. Je n’oublierais jamais l’année que nous avons passée à le faire. Il y a beaucoup d’axes dans ce film. Il y a eu plus de cent quinze jours de tournage. Alors que la moyenne est d’environ trente-cinq ou trente. Les dix premières minutes ont pris soixante-quatre jours de tournage.
Les scènes avec la vieille dame qui raconte ?
Ce n’est pas la version. C’est une seconde version faite par Miramax. C’est une histoire très compliquée. Miramax ont acheté le film pour une très grosse somme d’argent. Puis ils ont voulu tout changer et l’ont laissé sur une étagère, puis ne l’ont jamais sorti. C’est de l’histoire de distribution et c’est une très mauvaise histoire. Cette version est bien moins bonne que la première.
Donc cette vieille dame qui raconte n’apparaît pas ?
Pas du tout.
Ce doit être très différent !
Ça l’est. Ce que Miramax ont réalisé c’est que la chose qui les a attirée vers ce film c’était son aspect direct. Mais cela ne fonctionne pas vraiment auprès d’un large public qui n’aime pas être pointé du doigt quand ils sont assis à regarder un film. Rajouter cette vieille dame c’était comme si ce que l’on reçoit est déjà filtré par une autre réalité. Tandis que quand elle n’est pas là, le film s’adresse plus directement au spectateur. Il y a beaucoup de choses qui ont été enlevées, le final est très différent aussi. Miramax ne croyait pas qu’elle allait prendre l’arme et le tuer. En revanche ce fut une expérience intéressante avec Miramax, mais le film est mort. Mais aussi parce que le film est profondément déficient. Je pensais à l’époque que je pouvais changer le monde avec un film et on ne peut pas.
Donc il est mieux de trouver la première version du film si l’on peut.
En Australie, la compagnie qui a les droits sur les six premiers films que j’ai faits l’a sorti avec les deux versions.
Comme tu l’as dit, tu prends du plaisir dans l’écriture et bien entendu tous tes films racontent des histoires, est-ce que tu as grandi dans un environnement où on racontait beaucoup d’histoires ?
Pas particulièrement. J’ai beaucoup lu enfant, en particulier après que je sois arrivé en Australie et que j’apprenne l’anglais. J’allais un peu voir les films mais j’étais surtout plongé dans la lecture. C’est de là que ça vient.
La chambre tranquille, tu as dit que c’était une de tes expériences les plus extrêmes car dans ce film tout avait été mis en scène et écrit.
Ce que j’ai fait c’est que j’ai écrit le scénario. Nous avions un petit budget. Le quota de pellicule que nous avions était très bas, et nous avions une jeune fille qui jouait un rôle. J’ai fini par storyboarder tout le film. Et je crois que c’est le seul film que j’ai complètement storyboardé. Pour les autres, j’avais storyboardé des parties, pour d’autres pas du tout. Et nous l’avons filmé presque exactement comme c’était sur le storyboard. En ce sens, ce fut mon film qui a été fait de la façon la plus rigide. C’était en partie dû au budget. Et parce que nous avions un enfant acteur qui était plutôt passif, avec beaucoup de scènes où l’enfant est dans le lit, etc. Donc c’est de là que ça vient.
Je suppose que tu as eu beaucoup de projets qui ont été abandonnés, qu’est ce qui fait qu’un film devienne selon toi un film et qu’est-ce qui fait qu’un film n’aboutit pas ?
J’ai un mot pour ça, c’est la poésie. Quand certains facteurs s’alignent et que la combinaison de tout cela se révèle parfaite, cela veut dire que ça va marcher. Comme pour 10 canoës en Australie. Faire un film avec des aborigènes, David Gulpilil et sa tribu dans leur propre langue sur des événements qui sont survenus avant l’arrivée des Blancs et le tourner sur la terre de cette communauté, cela fut pour moi de la poésie. Car ces éléments mis ensemble représentent quelque chose de si fort que, même si le film n’est pas ouvertement commercial car il y a cette langue aborigène, les gens reconnaissent aussi qu’il y a de la poésie là dedans. Avec Bubby, ce fut le scénario plus que tout le reste. Il avait parlé si fortement aux gens qui l’avaient lu. Les gens l’aimaient ou le détestaient mais il y avait juste besoin de quelques personnes pour l’aimer. Avec Epsilon, c’était les séquences de contrôle du mouvement et l’idée de faire un film dramatique qui aurait tout cela à l’intérieur. Le tournage a été si long car nous n’étions aussi qu’une équipe de six, et il n’y avait que deux acteurs.
En parlant d’aimer ou de détester tes films, je me souviens de la projection de Dance me to my Song où des gens ont adoré et d’autres ont quitté la salle, choqués. Est-ce que tu aimes aussi provoquer les gens ? Les faire se retourner sur eux mêmes et les mettre face à des choses perturbantes ?
Cela vient naturellement pour moi. Je ne trouve pas que cela soit intéressant de choquer juste pour choquer.
Plus dans le sens de créer des émotions vives chez le spectateur.
Émotion est un terme que je préfère. Quand je vois un film qui ne m’émeut pas, je peux dire c’est un bon film mais il ne m’a rien procuré. Je ne ressens aucun attachement émotionnel à ce qu’il y a dedans. Je vais l’oublier très rapidement. Pour moi, faire ressentir des émotions au spectateur est une bonne chose. Car je ressens des choses, je pense que d’autres vont les ressentir. Le sujet de Dance me to my Song et le fait que quand j’ai réalisé que cela ne serait pas authentique si nous avions une actrice pour jouer le rôle mais Heather Rose elle même qui avait écrit la première esquisse avec Fred Stahl qui avait aussi travaillé sur Bad Boy Bubby. Une histoire incroyable. Dès que tu as ce matériel avec une personne réelle pour jouer le rôle, tu vas provoquer ce genre de réactions émotionnelles. Il ne faut pas flancher, ne pas corriger l’histoire, car c’est Hollywood qui ferait ça. C’est valide, mais pour moi, ce serait mal car le film serait perdu. Il faut garder les choses réelles, authentiques et engageantes émotionnellement.
En parlant de Hollywood, apparemment ils t’ont approché dans les années 1990...
Oui à la fin des années 1980 et début des années 1990. Après que j’ai fait Bad Boy Bubby, ils ont complètement arrêté.
Ils ont eu peur.
Ils ont appris que la façon dont j’aimais faire les choses n’était pas la même que la leur.
Dance me to my Song a aussi été un de tes plus grands succès ?
En fait, La chambre tranquille a été mon plus grand succès financièrement, avec Bad Boy Bubby. Mais Dance me to my Song a aussi été d’une certaine façon un succès. C’est un film qui continue à vivre alors qu’il a été fait il y a seize ans. Je reçois encore des e-mails quant à ce film, des requêtes de la part d’institutions. Dans ce sens, oui.
Puis il y a eu l’adaptation d’un roman, Le vieux qui lisait des romans d’amour. Adapter un auteur « classique » comme Luis Sepulveda, c’était la première fois que tu faisais cela ?
J’avais écrit deux adaptations par le passé mais pas pour moi. Ce fut la première fois que je faisais cela pour moi même.
Ressent-on une certaine pression quand on fait cela ?
Pas du tout. On m’avait offert un scénario, c’était déjà la quatrième réécriture. Je l’ai lu très rapidement. J’ai dit OK, mais ces choses n’arrivent jamais. Je me suis dit qu’il y avait peut-être un film là dedans mais je ne savais pas où. J’ai lu les dix premières pages du livre et je me suis dit aussi qu’il y avait un film à faire. Au final, il s’est fait. Je me suis retrouvé dans un vol pour la France pour assister à un atelier sur l’écriture de scénario. J’ai relu ce scénario dans l’avion de Sydney. Je me suis dit c’est terrible, je ne peux pas faire ce film, ça ne va pas fonctionner. Je ne savais pas ce qui m’avait pris. J’espérais que l’avion allait avoir un problème de moteur et que nous allions être obligés d’atterrir quelque part pour que je reparte à Sydney. Mais je ne pouvais pas. J’ai alors lu le livre, et je me suis dit que c’était une œuvre magnifique. Mon mantra a été d’essayer de capturer l’esprit du livre. Cela avait pris dix ans aux autres à travailler sur cette adaptation qui ne fonctionnait pas. Et finalement j’ai fait une adaptation et l’écrivain a pensé c’est la bonne ! Pour moi, si le livre est fantastique, il suffit de trouver un moyen de rendre cet esprit. J’ai rencontré Luis après le film suivant The Tracker. Il était à Venise et moi aussi. Il était invité à une émission télévisée et j’étais le suivant. Il est venu me voir, il m’a serré dans ses bras, et il m’a dit merci plusieurs fois et il est parti. C’était fantastique. Donc oui, j’aime faire des adaptations si le livre est bon.
Même si tu avais pas mal tourné dans l’outback, la forêt amazonienne cela n’a pas dû être simple !
Ce qui a été difficile ce n’était pas les animaux ou la jungle mais certaines des personnes. Ce n’était pas les acteurs car ils étaient super. J’ai pris énormément de plaisir à travailler avec tous. L’équipe technique était aussi merveilleuse, mais certaines des personnes clé... Avec la moitié du budget, et moi même à la production j’aurais pu faire un meilleur film. Je ne sais pas à quoi ressemble la version française. Je sais juste que la version espagnole a été coupée sans permission, vraiment charcutée. C’est une vieille dame aujourd’hui et je suppose qu’elle est toujours en vie mais c’était la personne la plus épouvantable avec qui j’ai travaillée : Michelle de Broca.
Pour ce film, comme pour Charlie’s Country, tout repose en grande partie sur la performance de l’acteur principal, Richard Dreyfuss. Quand tu travailles sur un scénario as-tu déjà un acteur en tête ?
C’est différent pour chaque film. Parfois, c’est le cas, en effet. Quand je sais qu’une personne que je connais peut jouer le rôle, c’est libérateur, car tu écris pour elles. C’était le cas pour Gary Sweet dans Alexandra’s Project. Je savais que David jouerait le rôle dans Charlie’s Country, le film n’aurait de toutes façons pas été écrit de cette manière sinon. Parfois j’ai cru que certaines personnes allaient incarner le rôle mais cela ne s’est pas fait. Ce peut vraiment être une bonne chose si on le sait à l’avance.
Après Le vieux, c’est Alexandra’s Project...
Non ce fut The Tracker.
Qui était la première fois que tu as travaillé avec David Gulpilil. Travailler avec des aborigènes pour la première fois, est-ce que cela a été facile ou y a-t-il eu un long chemin à suivre, un apprentissage ?
J’étais sur ce chemin, j’ai avancé sur ce chemin aujourd’hui mais c’est encore très long. On apprend tout le temps car la culture est tellement différente. En particulier celle là car il y a beaucoup de cultures aborigènes. Ils ont différentes croyances, différentes manières de se comporter si on compare avec la bande à David.
Le langage est-il toujours le même ?
Non. Ce sont des langages complètement différents dont on ne comprend aucun mot. Il y a beaucoup de langues aborigènes, certaines ont disparu aujourd’hui. Le langage est un vrai problème. The Tracker est un film que j’aime beaucoup. L’accueil a été formidable même s’il n’a été vendu nulle part. Et il continue à vivre aujourd’hui. C’est un style très différent. Il y a des choses dedans qui étaient plutôt audacieuses à l’époque.
En termes de point de vue, est-ce que tu essaies de te mettre du côté des aborigènes ?
Pour The Tracker ce n’était pas comme ça. Ça l’est devenu un peu durant la postproduction du film. Mais en écrivant 10 Canoës et en travaillant sur Charlie’s Country - il y a eu un autre scénario sur lequel j’ai commencé à travailler plusieurs années auparavant aussi -, j’ai pensé que la seule façon de les faire fonctionner était de se mettre du point de vue des aborigènes.
Alexandra’s Project est aussi un de tes films les plus connus. D’une certaine manière c’est un retour à Bad Boy Bubby et aux thématiques de l’innocence pervertie et de la famille comme un piège aliénant. D’où est venue l’histoire de cette vengeance ?
Pour moi cela n’a rien à voir avec de la vengeance. C’est la seule chose qu’elle peut faire car sa condition est extrême, son oppression est extrême et pour elle se désengager ne peut réussir que si elle le fait complètement. Pour moi ce n’est pas de la vengeance. Il se trouve qu’il en souffre mais c’est malheureux. Autrement ce serait elle qui souffre.
C’est plus de la survie.
Oui. D’où cela est-il venu ? Ça a évolué. Au départ, c’était juste une idée. Comment faire un film à très petit budget car la pellicule et le développement en laboratoire devient une plus grande proportion du coût quand les films sont faits avec moins d’argent. Quand on filme un acteur, on doit faire plusieurs prises. Donc on utilise nécessairement plus de pellicule. Si on filme un téléviseur avec la performance d’un acteur projetée. Alors, tu n’as besoin de le filmer qu’une fois. Tu choisis ton angle et tu filmes ce que tu veux. Si quelqu’un regarde un téléviseur, tu sauves la moitié du coût de la pellicule. C’est de là que c’est parti. Puis ensuite la question a été mais qu’est-ce qu’il va y avoir à la télé. Puis j’ai pensé à une femme qui parle à une caméra vidéo. Cela m’a plu. À ce stade là je ne savais pas la sorte de film que ça allait être. Cela aurait pu être une comédie. Je me suis dit peut-être qu’elle faisait de la comédie stand up et elle répète. Les blagues auraient pu être drôles. Puis j’ai senti qu’elle était malheureuse. Je me suis demandé pourquoi ? Et c’est là que tu en cherches les origines. Ça a donc évolué. Et c’est devenu ce que c’est.
Une des choses vraiment puissantes dans le film c’est quand elle supprime toutes les images dans la maison et tout d’un coup c’est comme si la mémoire disparaissait et c’est aussi extrêmement cruel. Le film parle aussi du fait que l’on vit à travers des images. Crois-tu toi même dans le pouvoir des images, des films ?
Comme je te l’ai dit plus tôt, j’ai cru à un moment que je pouvais changer le monde. Aujourd’hui je sais que je ne peux pas. Mais je sais aussi qu’un film peut contribuer à un débat, il peut jouer un petit rôle quant à un mouvement dans une direction. Un film comme Charlie’s Country a une pertinence car il peut amener à un débat en Australie qui a besoin d’avoir lieu quant à ces problèmes.
Ensuite il y a eu 10 Canoës puis Dr Plonk. 10 Canoës a aussi bien marché ?
Oui, ça a été un bon succès, il a été vendu dans plusieurs pays, il a été projeté à Cannes, il a bien marché au box office en Australie. Les critiques ont été bonnes. Ça a marché à tous les niveaux.
Je ne l’ai pas vu mais on m’en a parlé et contrairement à Charlie’s Country où le constat est plutôt sombre, 10 Canoës possède beaucoup plus d’humour.
Oui, c’est vrai, Charlie’s Country est plus sombre, même s’il y a de l’humour dedans.
Dr Plonk est différent de tout ce que tu as fait auparavant, c’est un véritable hommage au slapstick et au cinéma muet. Je voulais savoir d’où était venue l’idée de cet hommage ?
D’un point de vue inconscient, quand je suis arrivé pour la première fois en Australie, j’avais neuf ans, c’était en 1960, la télévision n’était pas encore aussi établie qu’elle l’a été par la suite. Donc il y avait des projections de films le soir à l’école assez souvent et ils montraient entre autres des films slapstick en noir et blanc. Enfants, on riait beaucoup. Je garde le souvenir de cela. Mais la raison qui a fait naître Dr Plonk, c’est qu’au fil des ans, j’ai archivé les bouts de films qui restaient de tournages précédents. Short ends nous les appelons. Il y avait un réfrigérateur dans une remise et dedans se trouvait ce stock. Certaines pellicules étaient très vieilles, au moins dix ans. Et le frigo à un moment était tombé en panne, il y avait eu de la rouille. J’ai essayé plusieurs fois d’en faire quelque chose. Quand nous avons fini le mixage de 10 Canoës encore une fois avec Jim Currie avec lequel je travaille depuis si longtemps, je ne savais pas ce que j’allais faire par la suite. Nous avons passé des semaines à mixer le son. J’allais prendre une copie de 10 Canoës pour le montrer à la communauté. À présent que tout était mixé, j’allais leur montrer car après il ne serait plus possible de changer quoi que ce soit. Je savais qu’à cette saison, il y aurait beaucoup de moustiques. Nous sommes sortis du studio de mixage, et Jim a dit je vais me prendre une bouteille de vin rouge, j’ai dit super. On parlait de ce qu’on allait faire après, puis j’ai dit que j’allais chercher le repoussoir à moustique car durant le tournage il y en avait plein. Et au final il avait atterri dans la remise. Je cherche à l’intérieur et je ne le trouve pas. Puis j’ouvre le réfrigérateur, et je n’avais pas fait ça depuis des années. Là je vois ces vieux stocks de pellicules, avec des marques. J’ai fermé la porte du frigo, je suis sorti et j’ai rejoint Jim qui m’a tendu un verre de vin rouge. J’ai dit Jim il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle c’est que je sais ce que je vais faire maintenant, la mauvaise c’est que tu ne vas pas travailler dessus car nous n’avons pas besoin d’enregistreur son. À ce moment là j’ai su que ce serait un film muet. C’est arrivé tout d’un coup. C’est incroyable. C’est de la poésie.
Donc tu les as utilisés pour le film.
Ainsi que des stocks qui nous ont été donnés par d’autres personnes. S’il y avait des rayures ou du filigrane dessus, ce n’était pas un problème. La folie de cette idée, avoir déjà toute la pellicule, c’est de là que tout est venu.
En parlant de l’histoire du cinéma, as-tu des films de référence ou des réalisateurs qui t’ont beaucoup inspiré ?
Non, j’ai regardé quelques DVDs, des choses que l’on m’a conseillées, j’en ai regardé quelques uns et je les ai mis de côté. Car je devais faire mon propre film et ne pas copier les autres. Les conditions aujourd’hui sont différentes et les gens pensent différemment. Pour comprendre, j’en ai juste regardé quelques uns. Pour l’aspect et le ressenti.
Un acteur pour un film slapstick où il y a beaucoup d’acrobaties et où c’est très physique, cela est très différent d’un acteur comme Richard Dreyfuss dans Le vieux. Comment as-tu trouvé les acteurs ?
J’avais vu Nigel qui joue Dr Plonk. C’est un performeur de rue, un acrobate. Il fait de la comédie physique dans les rues et il avait beaucoup de succès. Il ne peut plus vraiment le faire aujourd’hui car il vieillit. Il avait une très bonne apparence et il était aussi physiquement très capable. C’est lui que j’ai approché en premier. L’acteur qui joue Paulus c’est Paul Blackwell que je connais depuis longtemps et qui jouait dans La chambre tranquille par exemple. Mais je le connaissais aussi pour ses performances théâtrales. Il fait des comédies. Il est très versatile. Je savais que ça allait être lui, donc le rôle a été adapté à sa personnalité. Avant d’avoir fini l’écriture et quand je me suis senti assez en confiance, je lui en ai parlé.
Ce que j’apprécie, c’est que le film est très drôle mais la fin est absolument déprimante et horrible.
Très bien !
On n’a pas parlé de ton travail documentaire.
Non, je n’ai pas fait grand chose. Juste des petites choses par ci par là, mais ça ne vaut pas la peine d’en parler.
Tu as aussi créé un autre sous genre c’est le western banlieusard avec The King is dead ! Apparemment cela s’est inspiré de tes propres expériences.
C’est vrai. Un jour je regardais les voisins là où j’habitais et c’est ainsi que ça s’est développé.
Je ne l’ai pas vu non plus.
Il y a une version sous titrée qui tourne car il y a un petit festival à Pézenas, Le bout du monde, la personne qui dirige ce festival est Helen Buday, l’actrice d’Alexandra’s Project, et de Dingo. Elle vit là bas depuis plusieurs années. Le village a été si accueillant avec elle qu’elle a voulu le lui rendre et elle a démarré ce festival de films australiens. Je suis allé la voir juste avant Cannes cette année. Je lui avais promis que si je revenais à Cannes, je viendrais la voir. Je ne pensais pas y revenir. Ils ont projeté The King is dead ! qui se nommait Chers voisins. Je ne savais même pas que The King is dead ! était au programme. C’était le 10 mai dernier. Je savais juste qu’il y avait The Tracker (Le Traqueur) au programme. Ils l’ont joué l’année dernière et ça a été le film le plus populaire, du coup ils l’ont projeté à nouveau cette année et cela a encore été le film le plus populaire .
L’idée de Charlie’s Country, elle, est venue à la fois de toi et de David ?
L’idée a commencé quand David était en prison. Je suis allé lui rendre visite et je lui ai demandé ce qu’il voulait faire. Il voulait refaire un film avec moi car il trouvait que The Tracker était le meilleur film qu’il ait fait. Au final, j’ai senti que je n’avais pas d’autre choix que le faire. Mais parce qu’il était en prison, à cause de cette spirale terrible d’alcoolisme et de violence, je ne savais pas s’il pouvait toujours faire l’acteur. En prison, il semblait ne plus en être capable. Du coup je me suis protégé, cette sécurité c’était que David pouvait parler la langue qu’il voulait, que nous allions le tourner dans des endroits avec lesquels il était familier car il n’avait jamais fait de film sur là où il vit, Ramingining et Darwin. Et j’ai pensé que si nous y mettions des choses avec lesquelles il est familier, des choses qu’il reconnaît, des amis, pas des choses sur lui mais des choses qu’il connaît, alors peut être nous pourrons avoir une bonne performance de sa part. Il s’est trouvé qu’il est toujours un très bon acteur. Mais c’était l’idée originale. Du moment que tu as ça, tu vas faire un film qui est politique. Nous avons beaucoup parlé de ce qu’il y aurait dans le film. Il m’a donné les idées sans me dire tu dois mettre ceci ou cela dedans car il sait que je m’y connais mieux que lui. Lui même est très politique et on ne peut faire un film qui soit authentique pour les gens de là bas sans être politique, car leur situation est politique. Il fallait que David sente que ce film lui appartienne.
Est-ce réaliste la façon dont la police agit et ces réserves qui sont représentées presque comme des camps de concentration.
Moi et David nous voulions que ce soit authentique. Et d’une certaine façon, ça l’est. J’ai essayé pour ma part de ne pas rendre les personnages, quels qu’ils soient, mauvais. Ils ne comprennent pas, même s’ils font des efforts dans le cas du policier. Le personnage de Luke, le policier, essaie de comprendre mais c’est sans espoir car ils ne connaissent ni la langue ni la culture. Comment pourraient-ils comprendre ce que ressentent les aborigènes ? Sur le plan politique, il y a eu ce qu’ils ont appelé l’ « Intervention », cela a commencé en 2008 il me semble. Cela a amené de nouvelles règles et de nouvelles lois sur ce qu’ils pouvaient ou ne pouvaient pas faire. Cela n’a rien à voir avec un camp de concentration mais sur un plan psychologique oui.
Le film représente bien ce cercle vicieux de l’alcool, la drogue, la pauvreté et la prison. Y a-t-il des possibilités d’en sortir ?
Il peut y en avoir, c’est très individuel. Cela dépend des personnes. David n’a pas bu un verre depuis trois ans. En raison de ce conte de fée qu’a été Charlie’s Country. Cela a commencé quand il était totalement perdu en prison, puis recevoir un prix du meilleur acteur pour sa performance à Cannes, c’est un conte de fée. Il ne boit plus et il a aussi arrêté de fumer. Il a trouvé la force de le faire. Nous avons ces problèmes de drogue et d’alcool que ce soit ici en France ou en Australie. Pour les aborigènes qui se trouvent à Ramingining – je ne peux parler pour ceux qui vivent dans le désert ou dans d’autres endroits car je ne les connais pas -, cela va prendre de nombreuses années avant que cela soit normalisé, on ne le verra pas de notre vivant. Car la situation culturelle est extrêmement difficile.
On retrouve encore ce thème de la maison comme une forme de prison. La question du « chez soi » est centrale. Ils en parlent à un moment, et il y a une incompréhension car selon le personnage joué par David, ces blancs se trouvent sur son chez soi. Il y a une véritable réflexion sur cette notion de « home », de terre. Peux-tu juste dire deux mots sur l’utilisation de la musique à base de piano dans le film.
Au départ nous n’avions presque pas envie d’utiliser de musique puis Graham Tardif est venu avec cette idée du piano qui reprend des airs catholiques, car c’est une des rares choses qu’ont pu partager les Blancs et les aborigènes dans leur histoire commune.
De tous les films que tu as faits, quels sont ceux que tu trouves les plus réussis ?
C’est une question impossible, car j’ai eu une carrière tellement privilégiée, j’ai eu tant de chance, eu tant de liberté pour faire les films tels que je voulais les faire. Je ne connais personne nulle part qui ait possédé une si complète liberté. Cinq ou six de ses films ont été financés avant que j’ai un scénario. J’ai pu écrire exactement ce que je voulais, sans que l’on me dise non à mon scénario. Chacun est si précieux à mes yeux. C’était intéressant d’être assis ici avec toi et que tu me demandes de parler de Dr Plonk plutôt que des films les plus connus. Et ce fut une telle joie de le tourner, les choses que l’on n’a pu faire et que l’on ne peut pas faire dans une situation de tournage normale. Par exemple, il y a une scène qui doit prendre un jour de tournage mais il n’y a que quatre mots qui sont écrits. Les quatre mots sont « La police poursuit Plonk ». Nous y sommes allés pour tourner, et là j’ai dit non, je ne vais pas tourner aujourd’hui, vous pouvez rentrer chez vous, retourner au bureau, toi tu dois rester, toi aussi. On a passé la journée à travailler sur ce que l’on allait tourner puis nous avons passé deux semaines à le tourner. Car je savais que le reste pouvait être fait plus rapidement. C’est la grande scène de poursuite avec la police. Je savais que ce serait plus grand que ce à quoi je pourrais penser en une journée. J’ai une relation particulière avec mes trois premiers films qui est différente de tout ce qui est arrivé par la suite. Tout ce qui est arrivé après est plus personnel, même si Sur les ailes du tigre peut être personnel car je l’ai écrit, je l’ai dirigé et que c’était mon premier film. Mais l’état d’esprit était différent. Je chéris tous ces films et tout ce temps passé à les faire, qu’ils aient été des succès ou des échecs. Je les aime tous. En extraire un ce serait comme choisir entre tes enfants celui que tu préfères.
Dirais-tu qu’il n’y a que des avantages à faire du cinéma à petit budget ?
Non, il y a des limitations mais j’aime ces limitations et j’aime à les faire fonctionner pour les films, c’est une des choses que j’ai apprises à faire. J’aime tourner les possibilités en avantages. Et bien sûr on peut faire des choses extraordinaires avec bien plus d’argent et un nombre de personnes plus important peut aller voir tes films. Ce qui n’est pas le cas pour moi, mais c’est OK, je n’ai pas besoin de plaire à tout le monde.
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