Le 7 mai 2019
Trois longs métrages qui permettent de redécouvrir une cinéaste inspirée.
- Réalisateur : Virginie Thevenet
- Acteurs : Rossy de Palma, Aure Atika, Arielle Dombasle, Claude Chabrol, Eva Ionesco, Jezabel Carpi
- Nationalité : Français
- Editeur : Potemkine Distribution
- Durée : 5h35mn
- Date de sortie : 7 mai 2019
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Résumé : LA NUIT PORTE-JARRETELLES : Suite à un dîner un peu arrosé avec sa bande d’amis, Jezabel, jeune fille libre et délurée, entraîne Ariel, un garçon timide et taciturne, dans une initiation voluptueuse et érotique au cœur du Paris nocturne. JEUX D’ARTIFICES : À la mort de leur mère, Élisa et Éric, qui partagent une relation fusionnelle, sont livrés à eux-mêmes. Avec l’aide de leur ami Jacques, ils métamorphosent leur appartement en studio-photo où les nouvelles rencontres s’enchaînent et conduisent à des expériences humaines singulières, consumant petit à petit le lien unique entre le frère et la sœur. SAM SUFFIT : Eva, jeune strip-teaseuse dans les baraques foraines de Barcelone, décide à 20 ans qu’il est temps de vivre NORMALEMENT. Entre fiches de paie, sécurité sociale et carte d’électeur, nous la suivons dans ce parcours du combattant pour intégrer le système.
Notre avis : Les trois longs métrages de Virginie Thévenet proposés dans le coffret sont si riches et intenses qu’il serait vain de tenter une approche qui se voudrait exhaustive. Toutefois, un thème commun se dégage : celui de la jeunesse dans la France des années 80-début 90, avec une expression qui revient régulièrement à travers les diverses interviews (à retrouver dans les suppléments du coffret) : Virginie Thévenet a réussi à « saisir l’air du temps ». En effet, les trois œuvres parviennent à illustrer ce que signifie le fait d’être jeune à cette période. Mais quel rapport avec notre époque ? Pourquoi sommes-nous si touchés par cette jeunesse ?
- © Potemkine
Pour commencer, le terme « touché » ne réfère pas exactement à l’expression « on rit et on pleure » (même si cela peut-être le cas), mais donne plutôt la sensation que les films mettent en mouvement des affects en nous et les impactent. La première scène de Jeux d’artifices illustre bien ce phénomène : les corps d’Elisa et de son petit frère Eric paraissent à l’extérieur immobiles et figés. Leur impassibilité désoriente. Pourtant, une énergie se dégage d’eux, comme lorsque l’on observe quelqu’un et que l’on se demande « A quoi peut-il bien penser ? Que se passe t-il dans sa tête, là maintenant ? ». D’où l’idée d’une « écriture du traumatisme ». Non pas l’écriture d’un traumatisme personnel, mais du fait traumatique en lui-même, objectivement saisi en tant que choc émotionnel très violent. Là encore, la première scène de Jeux d’artifices peut servir d’exemple, tout comme les nombreuses références au SIDA présentes dans les trois films. Mais l’on peut s’arrêter sur ce passage de La nuit porte-jarretelles où Jezabel (le personnage principal joué par Jezabel Carpi) et Ariel (Ariel Genet) marchent dans les rues de Paris la nuit, lorsqu’un jeune inconnu surgit soudainement du hors-champ (correspondant à la droite de la rue), avec une arme. C’est une kalashnikov. On ne saura pas si cette dernière est réelle ou factice, puisque le jeune homme joue à faire comme s’il tirait, en imitant avec sa bouche les bruits de balles « Tac Tac Tac Tac Tac ». Il repart, puis revient à plusieurs reprises durant un même plan-séquence, comme si ce fait traumatique (qui a une résonance actuelle) était joué et rejoué, inlassablement.
Cette idée de ressassement engendre une sensation d’enfermement, donne l’impression que les jeunes protagonistes vivent en vase clos.
L’expression « huis clos » signifie littéralement « portes et fenêtres fermées ». Et en effet, il existe bien un environnement autour de ces personnages. Un monde extérieur qui, parfois, vient s’introduire et les perturber. Mais les portes et les fenêtres sont fermées : il semble y avoir un écart définitif entre ce monde et celui des jeunes. Une sorte de vide. Concrètement, on peut penser aux bars ou aux boites de strip-tease dans La nuit porte jarretelles et Sam suffit, qui matérialisent cette sensation de vie en vase clos. On peut aussi penser aux parents, qui parfois brillent par leur absence, creusant ainsi un vide.
- © Potemkine
Le test DVD
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Si l’on pouvait connaître Virginie Thévenet en tant qu’actrice, ce coffret permet une belle immersion au sein de son travail de réalisatrice.
Les suppléments :
Certes, quelques interviews donnent le sentiment que certains acteurs et actrices cèdent à la tentation de se raconter. Mais la quantité de suppléments proposés procure un véritable plaisir (on est également heureux de retrouver les acteurs, des décennies plus tard). En prime, une interview de Virginie Thévenet, tout à fait passionnante.
Image :
Rien à dire, les images restent fidèles au travail de Thévenet.
Son :
C’est sans doute un élément des plus marquants du coffret. La qualité du son rend notamment hommage aux scènes de chants, où l’on est impacté par le talent des acteurs et la beauté de leur voix respective. Les bandes originales, dont une est chantée par Virginie Thévenet, continuent un bon moment à trotter dans la tête, après le visionnage.
Les jeunes agissent pour s’épanouir au sein de ce huis clos. Ils jouent, rient, prennent des photos. Ils se déguisent, dansent, chantent, se mettent en couple, vont au Bois de Boulogne. Ils font l’amour et s’adonnent des jeux sexuels. Mais le sentiment oppressant d’un « cycle qui revient » est finalement toujours présent (voir notamment la dernière scène de La nuit porte-jarretelles).
Si Sam suffit semble plutôt tendre vers une approche davantage sociale de la jeunesse, on peut dire que Virginie Thévenet parvient à capter la manière dont une époque, avec ses conditions de vie et ses événements, percute des jeunes gens de plein fouet, et comment ces derniers lui offrent une réponse poétique. Par l’expression artistique, mais aussi par la création d’une réalité autre que celle qui leur est proposée. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ces films peuvent remuer le spectateur. Virginie Thévenet affirme d’ailleurs s’être inspirée des Enfants Terribles de Jean Cocteau, dont est tirée cette phrase :
« Surtout, il fallait, coûte que coûte, revenir à cette réalité de l’enfance, réalité grave, héroïque, mystérieuse ; que d’humbles détails alimentent et dont l’interrogatoire des grandes personnes dérange brutalement la féerie ».
- © Potemkine
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