Voir Venise...
Le 12 septembre 2005
Dans la capitale de l’humanité survivante, Alain Fleischer invite l’amour, la langue, les images et Shakespeare pour dire la tristesse d’un monde finissant.
- Auteur : Alain Fleischer
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française
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Dans la capitale de l’humanité survivante, Alain Fleischer invite l’amour, la langue, les images et Shakespeare pour dire la tristesse d’un monde finissant.
On aurait dit qu’il ne s’appelait pas Alain, mais David, pas Fleischer, mais Fischer, que le boucher (Fleischer, en allemand) aurait laissé la place au pêcheur, lequel serait parti à Venise qui ne serait pas Venise mais la capitale de l’humanité survivante et que, logé dans le même hôtel que des danseuses de ballet aquatique, il aurait pêché ou été pêché par une sirène de l’Est prénommée Vera mais qu’il nommerait Stella parce qu’elle lui rappelait une étoile de Buenos Aires noyée vingt ans plus tôt.
On aurait dit que c’était une histoire d’amour, pas si compliquée que ça. On aurait dit que c’était David qui la racontait, même si ce n’est pas ça qu’il voulait raconter, mais ce fait divers qu’il était venu éclaircir, celui d’une jeune Juive de Venise déportée par les nazis et qui, à son retour, retrouvait son fiancé marié à une autre femme parce qu’il l’avait crue morte. On aurait dit que cette jeune Juive disparaissait, ou pas, et que de cette histoire-là, seul un homme en avait la clé, vieillard érudit retiré dans son palais vénitien pour interroger la seule question qui en valait la peine et qui répondait à toutes les questions de l’humanité : celle de la livre de chair réclamée par Shylock au marchand de Venise.
On aurait dit que toute l’histoire des hommes tenait dans l’œuvre de Shakespeare - on ne serait pas le premier. On ajouterait que les personnages, qu’ils soient de papier ou de chair, viande ou poisson, étaient de même nature, surtout si l’on était romancier. Mais on aurait précisé que, depuis Shakespeare, les temps avaient changé et pour illustrer cela, on n’aurait donné qu’un exemple, un seul, les millions et les millions de livres de chair brûlées au mitan du siècle dernier dans les camps de la mort.
On aurait dit que l’Europe avait basculé et que ses mots, ceux-là même qui cinq siècles plus tôt contenaient l’humanité, avaient été saccagés, vidés de leur sens, pillés, ne servant plus aujourd’hui qu’aux marchands et aux banquiers, mots qu’il fallait fuir en se réfugiant dans des images neuves qui demanderaient une langue nouvelle.
On aurait dit alors que David et son étoile descendraient vers le Sud de l’Europe, là où tout avait commencé, et qu’au bout de la Sicile ils plongeraient dans la mer, ils marcheraient sur son fond et qu’au terme de cette immersion, ils remonteraient sur une nouvelle île, vierge, qui depuis sa brève apparition en 1831 ne demande qu’à sortir. Et là tout pourrait recommencer. "Les flots de la mer ne sont-ils pas cette mémoire du passé, infiniment plastique et susceptible d’être modifiée, pour que les temps futurs ne découlent pas irrémédiablement de la tristesse du présent ?"
Alain Fleischer, Immersion, Gallimard, coll. "L’Infini", 2005, 320 pages, 19,90 €
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