Qui est qui ?
Le 26 avril 2015
Il est mort après la guerre est un film cérébral, exigeant mais aussi passionnant. Il prophétise la fin des utopies et l’avènement des angoisses contemporaines.
- Réalisateur : Nagisa Oshima
- Acteurs : Kazuo Goto, Emiko Iwasaki, Kenichi Fukuda
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h30mn
- Titre original : Tokyo senso sengo hiwa
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Il est mort après la guerre est un film cérébral, exigeant mais aussi passionnant. Il prophétise la fin des utopies et l’avènement des angoisses contemporaines.
L’argument : Jeune activiste au sein d’une cellule de cinéma militant, Motoki voit un de ses camarades se jeter du haut d’un immeuble. Pourtant, des doutes apparaissent très vite sur l’identité du « suicidé », dont même la mort semble hypothétique… Seules les images qu’il était en train de tourner semblent à même d’éclaircir cette énigme…
Notre avis : Attention : film cérébral ! Mieux vaut prévenir que guérir. Si vous aimez les films linéaires immédiatement compréhensibles, si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête, passez votre chemin.
- @Oshima productions
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Motoki fait partie d’un groupe de jeunes cinéastes engagés. Il assiste au suicide d’un de ses camarades qui se jette du haut d’un immeuble. Il avait avec lui une caméra. Pourquoi s’est-il tué ? Motoki aimerait bien comprendre ce qui l’animait. Pour ça il peut compter sur les images filmées par le suicidé. Sauf qu’elle sont incompréhensibles ces images, elles n’ont aucun intérêt. On voit une rue, des gens, une barrière au bord de la route, un toit. Les camarades de Motoki disent que c’est l’œuvre d’un type qui est devenu fou. Motoki intrigué veut en savoir plus. Le voilà obsédé par ces images. Peu à peu il s’identifie à la victime. Il essaie de refaire son parcours, tente de retrouver les endroits où les images ont été filmées. Il noue une relation avec la petite amie du mort. Ce schéma d’identification est assez classique. On pense à Polanski (Le locataire) ou Lynch (Lost Highway, Mulholland Drive, Inland Empire). Forcément, cette possibilité de fusionner avec autrui remet en jeu l’idée même d’identité. Le film introduit un doute sur la réalité du suicide du camarade. On ne sait plus très bien ce qui est réel et ce qui de l’ordre du fantasme. L’auteur crée ainsi un climat mystérieux qui fascine toujours même si on a l’impression d’avoir déjà vu ce genre de récit. Là où Oshima apporte un plus par rapport à ce thème de l’identité c’est par la vision politique qu’il en a.
- @Oshima productions
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Dans les années 60 le cinéma d’Oshima accompagnait les grands mouvements de contestation politique. Oshima était engagé à gauche. Il voulait faire bouger les lignes. La guerre dont il est question dans le titre, c’est la guerre menée par la jeune génération japonaise à la société. L’équivalent de mai 68. Il est mort après la guerre sort en 1970. Partout dans le monde, la contestation s’essouffle. On sait que les années 70 seront les années du désenchantement. L’action politique des groupes révolutionnaires s’est avérée inefficace. On sait qu’en Europe beaucoup de révolutionnaires rentreront dans le rang alors que d’autres ne trouveront d’autre issue que la radicalisation (Action Directe en France, les brigades rouges en Italie, Baader-Meinhof en Allemagne). Le Japon est traversé par le même désenchantement. Il est mort après la guerre traduit ce sentiment. Motoki s’écarte de la doxa révolutionnaire. En se mettant dans les pas de son camarade suicidé, il s’éloigne de l’action qu’est censée mener une personne soucieuse d’œuvrer à la prise du pouvoir par le prolétariat. Il est accusé par ses camarades de déroger à la règle. Ils lui disent qu’il perd son temps, qu’il tombe dans des préoccupations de petit-bourgeois. On peut au contraire penser que Motoki par son comportement affirme la prééminence de l’existence individuelle par rapport à l’histoire. Et quelque part l’histoire lui donnera raison dans la mesure où toutes les idéologies finiront par mener à une impasse. Finalement Motoki préfigure la jeunesse d’aujourd’hui. Le problème auquel il se retrouve confronté après l’écroulement des utopies est le problème auquel on est encore confronté aujourd’hui. C’est le problème du sens. Si on ne croit plus pouvoir changer quoi que ce soit à la réalité, que faire, comment vivre ? On peut s’étourdir dans la fête, on peut se replier sur soi-même et calculer ses intérêts, on peut aussi se réfugier dans la religion (mais si on n’a pas la foi c’est compliqué). L’idéologie au moins permettait de sortir de l’absurde. Motoki en marchant dans les pas du suicidé explore la voie de l’absurde. Les images filmées par le mort n’ont pas de sens. On peut y voir le symbole d’une perte de repères qui inéluctablement mène au suicide.
- @Oshima productions
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Mathieu Capel, grand spécialiste du cinéma japonais avance une toute autre explication. Il voit dans le film une idée souvent discutée dans les milieux intellectuels japonais de l’époque, à savoir qu’un nouveau danger plus insidieux allait remplacer la sempiternelle lutte des classes. L’urbanisation exponentielle provoquait une uniformisation du paysage qui en mettant tout au même plan allait finir par tuer l’idée même de singularité et donc d’identité. C’est une vision de la mondialisation avant l’heure. Selon Capel, la question qui est liée à cette problématique est celle de l’art cinématographique. Il avait épousé de près les thématiques révolutionnaires. Prenant acte de l’essoufflement de la cause, il s’agissait de réfléchir sur la façon dont il devait adapter son langage pour faire face aux nouvelles menaces. Les interprétations n’épuisent jamais la substance d’un film. Ainsi sous des airs hermétiques, Il est mort après la guerre ménage plusieurs pistes de réflexions assez passionnantes sur un monde à venir qui est celui dans lequel on vit. Il prophétise en quelque sorte les angoisses contemporaines.
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