Dallas, Mexique.
Le 2 avril 2020
Désespérément en quête de vérité sur l’assassinat de son mari, en 1994, alors qu’il était candidat à la présidentielle mexicaine, sur fond de sordides magouilles au plus haut sommet de l’État, la veuve du défunt est saisie par le regard à la fois bouleversant et terrifiant des deux réalisatrices.
- Réalisateurs : Natalia Beristáin - Hiromi Kamata
- Acteurs : Ari Brickman, Ilse Salas, Jorge A. Jimenez, Alberto Guerra
- Nationalité : Mexicain
- : Netflix
- Durée : 8 épisodes de 32 à 48 minutes.
- VOD : NETFLIX
- Genre : Drame, Policier, Politique
- Titre original : Historia de un Crimen: Colosio
- Date de sortie : 22 mars 2019
- Plus d'informations : Histoire d’un crime : Colosio
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Résumé : Après la mort du candidat présidentiel mexicain Luis Donaldo Colosio en 1994, sa veuve elle-même mourante tente d’élucider le meurtre de son mari. Inspiré de faits réels.
Notre avis : En titrant, Histoire d’un crime : Colosio, la première tentation est de penser que Netflix va surfer sur une autre série de son catalogue : American Crime Story. Composée à ce jour de deux saisons *, l’une consacrée à l’affaire OJ. Simpson (2016), l’autre au tueur en série Andrew Cunanan, meurtrier de Gianni Versace (2018), American Crime Story est à l’origine produite par une chaîne du groupe Disney, FX. Cette fois, c’est Netflix qui initie et prend les commandes de la production, direction l’Amérique du Sud, et nous propose immédiatement deux saisons, à quelques semaines d’intervalle. La première, donc, sur l’assassinat de Colosio et la deuxième sur une affaire colombienne, la mort mystérieuse, en 2010, d’un étudiant, Luis Colmenares, que nous avons vue également.
Depuis vingt-cinq ans, l’histoire du Mexique est entachée par une sale affaire : l’assassinat, en 1994, du candidat à la présidence, Luis Donaldo Colosio, lors d’une visite dans un quartier populaire de Tijuana, en Basse Californie. Autant le dire tout de suite, comme le montre la série, la probabilité de connaître les tenants et aboutissants sur ce crime est quasi nulle. Nous sommes dans un sac de nœuds digne de Kennedy à Dallas : qui est (sont) vraiment le (les) tireur(s), qui a (ont) commandité et organisé cette exécution, le (les) mobile(s), sans parler des disparitions d’individus et éléments d’enquêtes ?
Pour la production, Netflix, s’appuie sur Dynamo Producciones, qui a déjà à son actif Narcos, El Chapo et plus récemment La frontière verte, série que nous avons chroniquée il y a peu. Comme pour Narcos, les deux réalisatrices, Natalia Beristáin et Hiromi Kamata, emploient des archives, dont celles de l’assassinat captées par la télévision et dont les images sont décortiquées par les enquêteurs (et contre-enquêteurs), pour détecter des indices sur l’identité du ou des tueurs, étrange similitude avec le film 8 mm d’Abraham Zapruder saisissant la mort de Kennedy, à Dallas.
- Copyright Netflix
Comme l’expliquent les créateurs de la série, l’écriture s’appuie sur une longue enquête préparatoire et documentée, comprenant en particulier des pièces juridiques. Et cela se sent clairement à la vision de ces huit épisodes, malgré le carton d’usage au début, précisant qu’il s’agit d’une fiction inspirée de faits réels. Et tout comme le veut encore l’usage pour ce type de production, le dernier épisode se conclut par un montage d’archives avec textes explicatifs, où l’on perçoit bien que la frontière entre fiction et réalité était bien mince.
Si le premier épisode est lent, conventionnel, voire un peu confus, c’est précisément pour poser le contexte du panier de crabes qu’est le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), qui gouverne le Mexique depuis 1929. En 1994, Luis Donaldo Colosio n’est plus un novice. Il a été député, sénateur, président du PRI et en 1993, le président du Mexique, Carlos Salinas, l’a nommé à son cabinet, puis lui a confié un ministère. Il est le « Dauphin », et Salinas l’impose comme candidat à sa succession, contre d’autres ministres et leaders du parti. Autant dire que cela part mal. Et ça ne va pas s’arranger. Lors d’un discours de campagne, Colosio trahit littéralement les siens en déclarant (entre autres) : « je vois un Mexique qui a faim et qui a soif de justice. Un Mexique lésé par ceux qui détournent la loi qu’ils devraient servir. De femmes et d’hommes affligés par les abus des autorités ou par l’arrogance de l’administration gouvernementale ». Le torchon brûle entre lui et le parti, dont il refuse les financements venant d’entreprises ou des fortunes privées et « légales », et le président Salinas qui suit ça de loin, en soufflant le chaud et le froid à ses visiteurs du soir, dans un bureau anxiogène, sans fenêtre, éclairé par un néon blafard. Ce même épisode montre comment toute la vie de Colosio « baigne » dans la vie du parti. Si sa femme lutte contre un cancer du pancréas, elle le soutient, tous les deux jouent le jeu des médias et la famille - ils ont deux enfants - profite des avantages du système : maison avec personnel, voiture, chauffeur, jet privé, etc.
- Copyright Netflix
La visite à Tijuana - une des villes des plus dangereuses du monde, plaque tournante du trafic de drogue vers les États-Unis et sous quasi contrôle des cartels - est filmée de telle façon qu’on comprend le traquenard, sans être expert. Ces plans revenant de façon récurrente, et servant de « révélateur » (partiel) selon l’avancée des enquêtes, sont une reconstitution ahurissante de cette journée fatale **. En prenant comme fil rouge la lutte de la veuve de Colosio, la série nous entraîne dans une vertigineuse et épouvantable descente au fond d’un enfer pavé de mensonges, maquillages, escamotages et autres contorsions des politiques et magistrats – en théorie « intègres » - pour faire entrer les trucs ronds dans des trous carrés. Cette démonstration passe par une richesse d’écriture ou s’entremêlent plusieurs récits : la contre-enquête menée envers et contre tous par deux flics de Tijuana, les intrigues au sein du parti et de la présidence, pour ne pas être impliqués ou éclaboussés par cet assassinat, et enfin le destin épouvantable de la modeste famille du « coupable », convaincue de son innocence, Mario Aburto Martínez qui, à ce jour, est toujours en prison et aurait renoncé à ses demandes de libération conditionnelle, souhaitant purger sa peine jusqu’au bout, c’est-à-dire plus de quarante ans de réclusion.
Si la réalisation reste conventionnelle, la série est surtout captivante par son propos, mais aussi marquée par la performance d’Ilse Salas dans le rôle de la veuve Colosio dont les jours sont comptés (elle décédera huit mois après l’assassinat de son époux), qui va se battre quasiment jusqu’à son dernier souffle pour -à défaut de connaître la vérité- accorder finalement le pardon et l’oubli, épuisée par un système corrompu jusqu’à la moelle.
Histoire d’un crime se distingue ainsi de sa « cousine » American Crime Story, par un prisme clairement politique et un traitement plus clinique, une démarche confirmée par la saison 2.
- Copyright Netflix
(*) La troisième saison, American Crime Story : Impeachment, est annoncée pour fin 2020 sur FX et consacrée à l’affaire Bill Clinton et Monica Lewinsky, cette dernière étant coproductrice…
(**) La vidéo de l’assassinat est visible sur Youtube, puisque les éléments de l’affaire ont été déclassifiés en 2018 et repris par les médias mexicains.
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