Make Milwaukee Great again !
Le 6 juillet 2019
Grâce à une écriture inspirée, le jeune réalisateur fait preuve d’un humanisme bouleversant à l’égard de ces personnages de laissés-pour-compte, et nous entraîne dans un récit d’apprentissage d’une énergie électrisante.
- Réalisateur : Kirill Mikhanovsky
- Acteurs : Maksim Emelyanov, Chris Galust, Lauren ’Lolo’ Spencer, Maksim Stoyanov
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 1h51mn
- Date de sortie : 24 juillet 2019
- Festival : Festival de Cannes 2019, Quinzaine des réalisateurs 2019
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Résumé : Vic, malchanceux jeune Américain d’origine russe, conduit un minibus pour personnes handicapées à Milwaukee. Alors que des manifestations éclatent dans la ville, il est déjà très en retard et sur le point d’être licencié. A contrecœur, il accepte cependant de conduire son grand-père sénile et ses vieux amis russes à des funérailles. En chemin, Vic s’arrête dans un quartier afro-américain pour récupérer Tracy, une femme atteinte de la maladie de Lou Gehrig. C’est alors que la journée de Vic devient joyeusement incontrôlable…
Notre avis : Milwaukee n’est pas une ville que le cinéma américain a l’habitude de nous faire visiter. C’est pourtant une commune qui a une identité forte. Bien plus forte que celle de Vic, qui apparaît comme un jeune homme innocent et très altruiste, bref une page blanche sur laquelle il reste encore à écrire ce récit qui le fera homme. En somme, le vrai personnage principal de ce film d’apprentissage est bien cette ville bouillonnante d’activité, et, par extension, ses habitants.
Tout le travail de Kirill Mikhanovsky repose en fait sur sa volonté de s’inspirer de sa propre expérience, pour nous faire profiter de son regard sur cette ville où il s’est lui-même construit en tant qu’ambulancier après son arrivée de Russie. Give Me Liberty trouve ainsi sa force dans son caractère semi-autobiographique, ou du moins dans la part de réalisme que l’on devine à travers la manière dont sont dessinés tous les personnages secondaires.
- © 2019 Wild Bunch
Le sens du cadre et du montage avec lequel il filme ces nombreux personnages qui gravitent autour de Vic, fait naître une effervescence qu’il lui fallait agrémenter d’un excellent travail d’écriture comique, s’il ne voulait pas que l’ensemble sombre dans un chaos presque horrifique, à la façon d’un After Hours diurne. Or, grâce aux portraits contrastés qu’il construit, et à l’interprétation dynamique, mais jamais outrancière des acteurs, pour la plupart non professionnels, ces habitants de Milwaukee se révèlent tous des figures bien plus profondes qu’il n’y paraît au premier abord.
En prenant soin de ne pas sombrer dans la caricature facile – ce qui est souvent le cas, dès lors qu’on imagine la rencontre entre plusieurs communautés, ici, des Russes, des Afro-américains et des handicapés –, et moins encore dans le schéma très linéaire du road trip urbain, Mikhanovsky parvient à organiser, pour Vic, une multitude de rencontres qui vont le transformer. Chacune d’entre elle est l’occasion pour le cinéaste de bâtir des scènes parfois assimilables à de courts sketchs, dont les plus drôles naissent des situations les plus inattendues.
- © 2019 Wild Bunch
Parce qu’ils sont tous à la fois exaspérants et touchants, les personnages secondaires de Give me Liberty testent continuellement notre propre patience à leur égard. L’extrême bienveillance, qui caractérise Vic, finit même par atteindre ses limites, là où beaucoup auraient craqué bien avant lui. L’exemple le plus marquant, tel qu’il est mis en avant par la construction tragicomique que choisit le scénario, est celui de Tracy. Derrière cette jeune femme, qui apparaît dans un premier temps comme une cliente difficile, poussant des coups de gueule qui frôlent l’hystérie, se cache en fait le plus attachant de toutes ces antagonistes hauts en couleurs, qui alimentent l’ébullition perpétuelle de cette journée.
Plus intéressant encore est le personnage de Dima, car bien que sa gouaillerie permette un humour de répétition volontairement lourdaud et harassant, et qu’il constitue l’exact opposé de Vic qui essaie de se faire discret, il est aux antipodes de l’habituel cliché du fidèle sidekick rigolo. C’est même le trouble qui entoure son honnêteté qui finira par faire sortir Vic de ses gonds, puisqu’on ne saura jamais s’il est lui aussi généreux ou un impitoyable escroc. De tels personnages, difficiles à cerner, sont devenus bien trop rares dans le cinéma mainstream.
- © 2019 Wild Bunch
Même si le rythme finit par s’essouffler dans la dernière demi-heure – c’était inévitable ! –, Mikhanovsky clôture son premier long métrage sur une performance de mise en scène impressionnante. Le recours au noir et blanc qu’il privilégie pour filmer une émeute, et ainsi rendre l’image presque illisible, permet au chaos de cette scène de véritablement couper le souffle du public. L’absorption atteint alors son paroxysme et l’on se satisfait d’autant plus de voir ensuite Vic achever sa longue journée, dans l’élan rédemptoire qu’il mérite, configurant une fin suffisamment ouverte pour échapper au piège du happy end cucul la praline.
Certains iront sûrement reprocher au jeune cinéaste de n’avoir fait qu’effleurer les aspects les plus sociaux de la peinture qu’il propose de sa terre d’accueil. On pourra notamment regretter que les employeurs de Vic soient trop rapidement aperçus, sans que les questions morales propres à un système proche du « Uber-ambulance » soient clairement posées. Mais les intentions de Kirill Mikhanovsky n’étaient pas là. Son cri d’amour pour sa ville, dont les habitants forment un symbole peu glorieux du rêve américain, est une réussite, qui n’est pas sans rappeler la façon dont les figures émergentes du Nouvel Hollywood ont autrefois fait de New York la ville la plus cinégénique du pays. Un début de carrière pour le moins prometteur, et à suivre de près.
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