Alors on danse
Le 2 avril 2020
Portrait bouleversant et irrésistible d’une transsexuelle complexée qui essaie, dans ses efforts acharnés pour devenir ballerine, d’affirmer son identité. Un personnage inoubliable qui révèle le talent à fleur de peau du comédien Victor Polster.


- Réalisateur : Lukas Dhont
- Acteurs : Arieh Worthalter, Victor Polster, Valentijn Dhaenens, Tijmen Govaerts
- Genre : Drame, LGBTQIA+
- Nationalité : Belge
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Editeur vidéo : Diaphana Édition Vidéo
- Durée : 1h45mn
- Date télé : 3 février 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Box-office : 352.255 entrées France* /116.601 entrées P.P.* (en 11 semaines, en cours d'exclusivité)
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 10 octobre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018

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Résumé : L’histoire de Lara, 15 ans, qui rêve de devenir une ballerine. Elle est admise dans une école de ballet et son rêve semble plus proche que jamais. Mais il y a un problème : Lara est née dans le corps d’un garçon. Elle devra conduire ce corps à la limite pour que son rêve réussisse.
- Copyright Menuet Producties
Critique : Contrairement à ce qui a pu être dit au lendemain du dernier Festival de Cannes, où il été découvert, Girl n’est pas « un film de danse avec un transsexuel » mais bien « un film sur un transsexuel qui danse ». La différence peut sembler dérisoire mais elle ne l’est pas. Cette question de formulation est même fondamentale pour saisir toute l’intensité dramatique du long-métrage. La danse au cinéma –si l’on excepte bien sûr toutes les comédies musicales dans lesquelles tout le monde sait danser naturellement et avec aisance– a toujours été un vecteur pour illustrer une quête de dépassement de soi. Dans le cas de Girl, la volonté de Lara de devenir ballerine est en réalité une parabole évidente de sa véritable motivation qui est de dominer son corps qu’elle n’assume pas. Car, il faut le préciser (au cas où le mot « transsexuel » vous aurait échappé), Lara est né Victor. Son corps de garçon est donc, pour elle –puisque ses traitements hormonaux lui permettent d’être désormais qualifié au féminin–, la source d’une terrible frustration, qu’elle compense dans un acharnement violent, presque autodestructeur, lors de ses séances d’entraînement.
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La durée sur laquelle Lukas Dhont étire ces séances de travail dans l’école de danse, chaque fois suivies de gros plans sur les stigmates visibles sur les pieds et jambes de Lara, permettent à son film de profiter d’un traitement qui flirte avec le dolorisme, inévitablement déchirant. Mais, encore une fois, la danse n’est pas le sujet mais un dispositif, psychologique pour Lara, illustratif pour Dhont. Le véritable sujet est bien le rapport que Lara a vis-à-vis de son corps, qui est loin de se limiter à ses performances sportives éprouvantes. Là où le film est le plus émotionnellement saisissant, c’est assurément lors des scènes les plus intimes, qu’il s’agisse de celles au cours desquelles elle se regarde dans un miroir ou des échanges qu’elle a avec son père.
Il est alors bon de préciser que ce rôle du papa, tenu par Arieh Worthalter (vu récemment dans Razzia), est une figure intrinsèque à la beauté de cette histoire car, là où les relations parentales dans un film sur un tel changement de sexe sont usuellement conflictuelles, cet homme apparaît comme étant un véritable modèle, littéralement prêt à tout sacrifier pour le bonheur de ses enfants. Une pareille bienveillance pourrait presque être qualifiée de naïve si elle avait la force d’empêcher Lara d’être mal dans sa peau. Au contraire, son malaise malgré tous les efforts de ses proches rend son drame plus poignant encore.
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Mais ce qui fait que Girl est une œuvre qui marque tant, c’est avant tout la performance de Victor Polster. Présent de tous les plans, ce jeune acteur réussit, en plus d’assurer des chorégraphies parfaitement maîtrisées, à donner une véracité poignante ainsi qu’une sensibilité à fleur de peau, et ce aussi bien dans ses scènes de dialogues que dans ses non-dits ou même le moindre de ses regards. L’idée audacieuse du jury de la sélection Un Certain Regard 2018 de lui avoir remis un prix d’interprétation, sans préciser qu’elle est « masculine » ou « féminine », en dit long sur la capacité qu’a eue le jeune acteur de se fondre dans son personnage entre deux sexes. La plus grande réussite du film est bien dans cette aisance avec laquelle il nous a fait oublier cette question du genre, tout en en faisant le véritable noyau tragique de son personnage. Espérons alors qu’il saura trouver à l’avenir des cinéastes qui réussiront à lui assurer une carrière de comédien qui ne soit pas limitée à son seul physique androgyne ou à ses aptitudes de danseur classique. D’ici là, souhaitons à ce premier film de rencontrer son public, et que celui-ci sache y voir davantage qu’un « film de danse avec un transsexuel » mais bien un portrait de femme qui est parvenue, comme très peu d’autres avant lui, à capter aussi bien le tumulte intérieur que le rapport au corps d’une adolescente en pleine phase de transition majeure.
Édition basique d’un film culte en devenir.
Les suppléments :
Entretien avec Lukas Dhont, par Laure Adler (émission "L’Heure Bleue" du 21 mai 2018 sur France inter - 53 mn). Une émission cannoise, loin d’un regard postérieur sur le film. Il lui manque le recul du succès et du tour du monde, et surtout ce petit truc personnel issu de l’éditeur qui aurait fait de l’édition un must-have.
L’image :
La dimension picturale est limitée ; le média n’est pas poussé à son paroxysme, mais demeure avenant dans son piqué.
Le son :
Piste 5.1 DTS HD gracieuse, même si le caractère intimiste du film rend la spatialisation limitée.
– Cannes 2018 : Caméra d’Or, Prix d’interprétation Un Certain Regard pour Victor Polster, Prix FIPRESCI, Queer Palm.
– Sortie DVD, Blu-ray et VOD : le 19 février 2019
- ©Menuet - Diaphana Edition vidéo