Carrie n’a jamais su aimer sa fille. Quand Gertrude est morte, Carrie est devenue l’ombre d’elle-même. C’est le Daddy de Gertrude qui avait le privilège du partage. Le fantôme de l’absente a progressivement éloigné le couple, incidieusement, vicieusement, malgré la vie commune.

Gertrude était une artiste, une peintre reconnue et aimée à la vie dissolue. L’absolu contraire de sa mère, prude et précieuse, effacée et discrète. Pour Gertrude, Carrie n’était rien d’autre qu’une "mère aussi simple que la femme qui fait [leur] ménage". C’est d’ailleurs à se demander qui des deux jouait le rôle maternel. L’oiseau a pris son envol, a quitté le nid familial, s’est reconstruit une identité en dehors de ses parents. Après avoir découvert les écrits de Gertrude dans le bureau de Daddy, un livre de codes incompréhensibles, Carrie s’interroge sur la personnalité de sa fille disparue.

Ainsi commence une longue quête. Mélange de parcours initiatique et de recherche sur elle-même pour Carrie. Il lui faut tout apprendre. Elle ignore tout des amis et des amants de sa fille. Daddy va la pousser entre les bras d’Evelyn Mae, exubérante professeur de littérature, inconditionnelle d’Edmund Spenser, pour qu’elle parvienne à se libérer. Evelyn lui présentera Cy Mellerick, l’ami fidèle fasciné par Gertrude, qui a eu le bonheur de recueillir son ultime confession.

Pour tous, Gertrude est un fantôme obsédant, une ensorceleuse déesse urbaine... Elle fréquentait les bars, les boîtes de jazz. On l’aimait. Cy va promener Carrie dans l’univers de Gertrude. Un calvaire, une longue descente aux enfers... Peu à peu, entre crises de folie et moments de lucidité, elle va se découvrir en même temps que sa fille. Sentir son amour et sa fibre maternelle se révéler, comme une délivrance toute puissante, qui va la ressusciter. Elle va s’extraire de sa bulle aussi fade que confortable pour s’ouvrir sur le monde des vivants. Elle est un "pèlerin" qui erre sur les sentiers souillés par Gertrude en espérant atteindre la révélation.

D’une plume alerte et vivace, grâce à un style tout en mélodie, Purdy prête à cette "Déméter cherchant Perséphone" un destin inattendu et salvateur. Comment vivre rongé par les regrets de n’avoir pas su remplir son rôle de mère ? Ou, au contraire, si Carrie n’avait pas été cette mère-là, Gertrude aurait-elle connu la même existence ? Qui sont ceux qui nous font et nous défont ? A défaut d’apporter une réponse tranchée, Purdy laisse logiquement planer le doute.

Ce roman nous raconte la métamorphose des sentiments, la force de l’introspection et des rapports filiaux. Chercher, creuser au plus profond de soi pour parvenir à trouver sa place et définir son rôle au milieu de ceux que l’on pense connaître. Purdy brosse une toile faite d’amour et de haine, remplie de personnages bouleversants, attachants et fantasques. Parfois cynique, parfois tragique, mais toujours juste.