Le 27 décembre 2022
Le révisionnisme historique façon Hollywood, à travers l’itinéraire d’un idiot à Neuneuland.
- Réalisateur : Robert Zemeckis
- Acteurs : Tom Hanks, Robin Wright (Robin Wright Penn), Gary Sinise, Sally Field, Mykelti Williamson, Haley Joel Osment
- Genre : Comédie, Drame, Comédie dramatique, Romance, Nanar
- Nationalité : Américain
- Distributeur : UIP (United International Pictures)
- Durée : 2h20mn
- Date télé : 23 octobre 2023 21:00
- Chaîne : TF1 Séries Films
- Reprise: 28 octobre 2015
- Date de sortie : 5 octobre 1994
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Quelques décennies d’histoire américaine, des années 1940 à la fin du XXe siècle, à travers le regard et l’étrange odyssée d’un homme simple et pur, Forrest Gump.
Critique : Bienvenue à Neuneuland, le pays de Forrest Gump, un crétin qui traverse l’histoire contemporaine de son pays, avec les mêmes dons de dissimulation qu’un certain Zelig mis en scène par Woody Allen, quelques années auparavant. Dans ce monde des adultes qui n’ont jamais grandi, le symbole d’une plume pèse des tonnes de plomb, les vicissitudes de l’existence sont encapsulées dans des aphorismes débiles qui, en leur temps, firent se pâmer d’extase certains bipèdes (Palme d’or absolue au célèbre « La vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber »).
Avec cette créature hollywoodienne, à laquelle l’insipide Tom Hanks prête ses traits, l’histoire devient beaucoup plus simple : chaque événement figure un terrain de jeu où les personnages sont ces gens qui ne comprennent pas trop ce qui se passe et, après tout, prennent le parti de se désintéresser des grands événements : ainsi, le détachement de Forrest lui vient de sa mère qui lui aurait donné ce prénom, en mémoire de Nathan Bedford Forrest, le fondateur du Ku Klux Klan. Mais peu importe, puisque tout est conjuré par des formules suffisamment banales et généralisantes pour que chaque action commise, chaque posture privilégiée soit hors-sol, déconnectée de ce qui a construit l’histoire contemporaine d’un pays, où la ségrégation raciale a longtemps été appliquée. Quand Madame Gump commente benoîtement "on fait des choses qui n’ont pas beaucoup de sens" et que le nigaud répercute ces paroles à son interlocutrice noire, il lui crache symboliquement à la gueule.
Forrest Gump ne se trompe pas simplement sur les mots : il organise sciemment une lecture révisionniste de l’Histoire qui passe par la guerre du Vietnam, réduite à une pure carte postale, selon un retournement dialectique redoutable : le conflit meurtrier est l’arrière-plan d’un itinéraire individuel émaillé de bizarreries en tout genre. Durant le film entier, la Terre devient l’astre gravitant autour d’un protagoniste lunaire, érigé en symbole d’une bonne conscience. Nanti de ce candide ludique, le réalisateur de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? active des effets spéciaux pour configurer d’improbables rencontres avec les personnages les plus illustres de leur temps (John Kennedy, Abbie Hoffman, John Lennon), tandis que défile une rétrospective où l’Amérique est réduite à quelques clichés folkloriques. Ici et là, des scènes plus sombres se détachent, pour affoler la machine à Oscars. Pari gagné : cette escroquerie artistique en remporta six.