Le 24 janvier 2023
Entre conflits intergénérationnels et enjeux politiques démesurés, Asimov livre un sommet de littérature, qui s’impose depuis les années cinquante comme une œuvre majeure de la science-fiction. Elle se relit avec grand plaisir aujourd’hui.
- Reprise: 22 octobre 2015
- Auteur : Isaac Asimov
- Collection : folio SF, Le rayon fantastique
- Editeur : Gallimard, Gnome Press, Hachette
- Genre : Science-fiction
- Traducteur : Jean Rosenthal
- Prix : Prix Hugo
- Titre original : Foundation
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : En l’an 12 067 de l’ère galactique, le psychohistorien Hari Seldon prévoit la chute de l’Empire sans que personne ne s’en rende compte, et l’avènement du chaos pour 30 millénaires. Il propose de rapporter cet âge sombre à un millénaire seulement, à la condition de rassembler l’ensemble des connaissances humaines en un endroit : la Fondation. Une petite colonie s’attèle à ce travail et s’installe sur Terminus, une petite planète en bordure extérieure de la Galaxie. Mais Hari Seldon a-t-il vraiment tout dit ?
Cet article traite de Fondation, premier volet de la trilogie originale, parue entre 1951 et 1953 aux Etats-Unis, qui contient Fondation, Fondation et empire, et Seconde Fondation. Plus tard paraîtront, dans les années 1980 et 1990, des préquels et séquels également rédigés par Isaac Asimov. Il existe de multiples éditions. La trilogie originale est contenue dans l’édition évoquée ici.
Critique : Dans l’empire des sagas de science-fiction, Fondation est reine. Depuis longtemps, l’assertion est tenue pour acquise. Aimer la science-fiction sans avoir lu Fondation ? Impensable. En savoir un rayon (cosmique) sans connaître Asimov ? Risible.
Presque aucun auteur, quasiment aucune œuvre du genre ne bénéficie d’une telle aura. Si quelques plumes sont réhabilitées depuis et que d’autres restent des mètres étalons, tels William Gibson et son Neuromancien pour le sous-genre cyberpunk, Arthur C. Clarke, ou Ray Bradbury pour les classiques, Asimov demeure une pierre angulaire, un auteur séminal du genre. A tel point qu’avec Fondation il accouche de l’œuvre considérée comme la plus grande saga de science-fiction de tous les temps. C’est bien la nature du prix Hugo, une sorte d’Oscar de la science-fiction, que Asimov reçut en 1966. Certes, de nos jours de la lumière a coulé autour des étoiles. Les auteurs qui ont émergé ou dont on a réévalué le travail sont nombreux. Mais dans la culture populaire, il semble que seul Philip K. Dick, surtout depuis que le cinéma a décidé d’adapter chacune des pages qu’il a écrite, ait atteint ce niveau de dévotion. L’auteur de Ubik (1969), Le Maître du haut château (1962), ou encore Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques (1968) est, en bon français, un sacré client. Mais le comble est qu’une saga qui pourrait concurrencer Fondation en matière d’influence dans la culture populaire est aussi le fait d’Asimov : Le cycle des robots et ses fameuses lois de la robotique.
Alors Fondation n’est pas une œuvre banale. Mais, une Bible ne se lit pas forcément avec aisance et légèreté. Il faut comprendre dans quel contexte est écrite la saga. Fondation, sa première partie, n’est pas un roman. Comprendre cela permet d’éclaircir quelques-unes des remontrances qu’un lecteur non averti pourrait formuler en l’abordant, comme son manque d’accessibilité, ou la faiblesse de ses personnages. A l’origine, Fondation est un ensemble de nouvelles écrites à la suite, mais pas parues ensemble, du moins pas tout à fait. La première édition de l’œuvre, en ordre dispersé, se fait dans une revue : Astounding Science Fiction, entre 1942 et 1944. John W. Campbell, lui-même auteur, devint éditeur pour le magazine. C’est sous sa direction éditoriale que Asimov est publié. L’influence du travail de Campbell est telle que la période qu’il ouvre est considérée par beaucoup comme l’âge d’or de la science-fiction américaine. La dernière des cinq nouvelles de Fondation n’est publiée que bien plus tard en 1951, aux éditions Gnome Press.
Si la cohérence globale de l’aventure est excellente, voire édifiante, et que l’œuvre se lit d’une traite sans difficulté rédhibitoire, il faut préciser que sa nature n’autorise pas beaucoup d’interpénétrations entre les nouvelles. Elles se déroulent toutes à des époques différentes, avec des personnages différents. On pourrait même tenter de les lire de manière indépendante, sans trop perdre au change. Chaque nouvelle décrit une étape du déclin de l’Empire Galactique avec de nouveaux enjeux politiques.
Deux réflexions nous viennent alors. Tout d’abord, la capacité d’Asimov à décrire les systèmes et les jeux politiques à l’œuvre dans son monde, la finesse et la vraisemblance des enjeux, sont exceptionnelles. L’ambition est démesurée, mais Asimov s’en sort avec un procédé d’une efficacité remarquable, qui apporte toutefois son lot de frustrations. Il parvient à décrire son monde, ses enjeux majeurs, en faisant simplement dialoguer deux, voire trois personnages. Voit-on des guerres, des infiltrations, des attaques ? Non. Deux personnes qui discutent. Fascinant et surprenant, voire déroutant et frustrant. D’autant que les dialogues, rédigés avec beaucoup de talent, ne sont pas exempts de lourdeurs. Parfois, Asimov, conscient de la complexité de son intrigue, s’en sert pour rappeler les événements passés. Il leur enlève alors tout naturel.
Le lecteur remarquera aussi que les personnages manquent cruellement de caractérisation. Ils dépassent rarement le stade d’archétype. Untel est marchand, l’autre est historien, et celui-là est maire. Pas de sentiments, d’émotions. Sauf celles montrées et surlignées, sans grande habileté. Eu égard à la construction du récit, pas d’évolution de personnages. La fin d’une nouvelle est l’assurance de ne jamais retrouver ceux qui ont animé la précédente, ce qui empêche toute affection de la part du lecteur. En plus d’être archétypaux, les personnages sont stéréotypés, et, défaut évident aujourd’hui, ne sont jamais des femmes. Cela pourrait être un discours sur la brutalité d’un monde futur où les femmes ont toujours autant de difficultés à atteindre les responsabilités, comme dans les années 40 où Asimov écrit la saga. Mais il est plus probable que l’auteur les ait simplement omises, en plus de les écrire comme amatrices de bijoux que l’on peut acheter avec de l’or. D’un point de vue très prosaïque, les personnages se ressemblent beaucoup, au-delà de leur sexe commun. Comme ils sont seulement fonctionnels, décrire ne serait-ce qu’une poignée d’entre eux après la lecture relève de la gageure.
Toutefois, sont-ce des défauts ? Disons que ce sont des freins. Mais Asimov sait très bien que l’enjeu n’est pas là. Il se contrefiche des petites histoires. Il livre au contraire un chef d’œuvre politique, de création d’univers, tangible et crédible. En racontant le déclin de l’Empire, il avoue lui-même s’inspirer du déclin de l’Empire romain. Ce faisant, il propose un discours fascinant sur le destin des peuples, l’influence de la classe politique sur eux. Si Hari Seldon, celui qui prédit le cours de l’univers sur des milliers d’années, a raison, alors que peut-on faire ? Certains personnages expliquent très bien que parfois, ne rien faire et laisser les événements se dérouler est une manière d’agir. Mais à quel point connaître les conséquences de nos actes influe-t-il sur eux ? On en vient au biais de la prédiction du futur : n’y a-t-il pas une part de prophétie autoréalisatrice dans mes prédictions ?
Une autre grande question qu’aborde Asimov est celle de la fin justifiant les moyens sur le plan politique. Le dirigeant, s’il sait qu’imposer aura de meilleures conséquences que proposer, peut-il se permettre de le faire pour éviter la catastrophe ? Enfin, Fondation est l’occasion parfaite de prendre du recul sur le cours de nos vies. La psychohistoire affirme pouvoir prédire le futur des grands événements, sur le temps long, et ne peut guère se prononcer sur les devenirs particuliers. N’est-ce pas la preuve ultime que le destin d’un homme ou d’une femme n’exerce aucune influence sur celui de la civilisation ?
D’une richesse inépuisable, bien que parfois agaçant, Fondation mérite sa réputation tant il marque un précédent en science-fiction. A celui qui est prêt à prendre de la hauteur et à accepter les enjeux ailleurs qu’à notre échelle humaine, l’œuvre donnera tellement qu’il sera impossible de faire comme s’il ne l’avait pas lu. C’est l’essence même des œuvres majeures.
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