Voyage au bout de la nuit
Le 27 mai 2004
Une cité grise de banlieue, un père ouvrier, abruti par la chaîne, et un narrateur fait comme un rat. Un premier roman prometteur.
- Auteur : Daniel Brami
- Editeur : L’Harmattan
- Genre : Roman & fiction
"Je ne sais rien de vous. Vous saurez tout de moi..." La réception d’un nouveau livre présume toujours un instant de bonheur pour les chroniqueurs suffisamment chanceux pour découvrir de nouvelles pages de littérature directement dans leur boîte aux lettres. Mais le plaisir de la découverte se double d’une curiosité amusée lorsque l’ouvrage est accompagné d’un mot de l’auteur. Celui de Daniel Brami s’est avéré aussi incisif et efficace qu’un teasing publicitaire. Pourtant, les écrits de ce jeune écrivain sont fort éloignés des modèles marketing en vigueur aujourd’hui en matière de littérature. Certes, son premier roman Feu ma haine pourrait être rapidement classé dans le rayon des nouveautés "auto-fiction" si à la mode - soit dit en passant, on se demande d’ailleurs encore ce qui signifie cette aberration sémantique "auto-fiction" - mais c’est une écriture baroque haute en couleurs qui nourrit la rage du jeune homme.
Le narrateur a été conçu et élevé dans le bâtiment F d’un cité HLM de banlieue. Tout au long de son enfance, il a subi le récit des journées tayloristes de son géniteur, ouvrier à l’usine AKT. Ce père qui rentrait chaque soir assommé par la répétition des gestes faits à la chaîne sous le regard condescendant des messieurs en col blanc et se réfugiait dans les semblants de ouate artificielle du Club Dorothée, ce père qui se pliait avec obéissance aux diktats de sa vie grise et s’en voyait récompensé par quelques semaines estivales en Normandie proposées par le comité d’entreprise de l’usine AKT. Alors, la haine du père s’est étayée et a grossi démesurément au point de virer en envie de meurtre dans le décor mortifère de la ville nouvelle de Fleury-le-Bel, également objet d’aversion du narrateur.
Hölderlin n’aurait jamais pu proclamer que l’homme habite en poète s’il n’avait pu observer qu’une seule image de ces cités banlieusardes où l’horizon n’est que cubes, tours, barres. Daniel Brami invective quant à lui avec hargne et talent la barbarie urbaine, le tout sans ambages ni expressions compassées. Sa langue est aussi directe et violente que ces "pièces de viande mobile" que sont les ouvriers à la chaîne tandis que les métaphores ont l’effet de l’acide sulfurique. Seul regret, le ressassement de la haine qui finira par se muer en amour casse le rythme du livre au point parfois d’engendrer quelque lassitude.
Daniel Brami, Feu ma haine, L’Harmattan, 2004, 143 pages, 14 €
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
rounard75 25 mars 2009
Feu ma haine - Daniel Brami
J’ai dévoré ce livre, peinture d’une ville de banlieue et d’une destinée presque partagée avec l’auteur. Mais heureusement, dans le tableau sombre de Fleury Le Bel, nous avions l’école... qui fonctionnait malgré tout et nous a sorti de la fatalité ! (je fus dans la même classe que D.Brami jadis...) Le regard sur la cité HLM et l’histoire familiale est sans complaisance, acide, sombre. Tout prédispose à la répétition des modèles mais "l’échappée belle" existe comme le prouve l’existence de ce très bon premier roman. Bravo Daniel ! En espérant lire de nouvelles oeuvres prochainement, et d’avoir l’audace de publier aussi un jour, K.D.