Feu de glace - la critique

Feu de glace est le premier film anglophone de Chen Kaige, célèbre cinéaste chinois et auteur du très remarqué Adieu ma concubine, Palme d’or au festival de Cannes en 1993.

Alice, jeune Américaine solitaire, "casée" depuis peu avec un Anglais sympathique et rassurant, rencontre fortuitement un grand et beau gaillard, alpiniste renommé de son état. A une seconde près, ils n’auraient pas appuyé de concert sur ce bouton qui veut faire croire aux badauds qu’ils sont en mesure de jouer un mauvais tour aux voitures. C’est ça le destin : un geste simple, un petit wait qui s’allume et la passion dévorante est là ! Pour Alice, elle aura les beaux yeux ténébreux d’Adam. Elle lâche tout et part au pays des merveilles.

Mais il y a forcément une faille : le prince charmant se révèle violent et énigmatique. Quelques lettres anonymes, évoquant un passé trouble, sèment le doute en Alice : elle doit savoir...

Dès le générique, nous sommes dans le vif du sujet : des images de glacier auxquelles se superpose une scène où les deux protagonistes ont des relations qui semblent les mener à des sommets sexuels (la glace et le feu). On décèle dans ces éléments la dualité d’Adam, alpiniste inexpressif au tempérament de feu, celle d’Alice, blonde aux yeux bleus, effacée et timide, qui découvre les joies les plus élaborées du sexe et se réapproprie ainsi une féminité qui lui échappait, bref, potentiellement, celle de chacun de nous. Car le personnage d’Alice n’est que celui d’une jeune femme comme les autres à qui le destin a joué un tour.

Pourtant, Alice n’est pas comme nous. Bien que vivant à Londres, elle n’est qu’un pur produit hollywoodien. Elle peut être heureuse, connaître la luxure, mais elle finira par payer.

L’histoire, du début à la fin, est cousue de fil blanc. Chaque image, chaque expression des acteurs appartient à un catalogue qui se veut universel. Ainsi balisée, toute psychologie dans l’approche des personnages a paru inutile.

Alice elle-même nous apparaît tout aussi obscure que son compagnon. A une amie qui lui fait part de ses doutes au sujet de son amour pour Adam, elle répond que "cela va au-delà du sexe". Or, le film est dépourvu de scènes où les deux personnages auraient développé un lien autre que sexuel. De même, rien ne nous montre l’avance insidieuse du doute chez Alice. Il débarque d’un coup, perdant pour le spectateur toute crédibilité. Feu de glace est à cette image, sans nuance.

Les producteurs, après avoir acheté les droits du livre, ont choisi Chen Kaige pour sa précision, sa finesse et le souffle épique de ses films. Dans un souci d’universalité, le cinéaste perd toute compréhension du sujet et se noie dans un lyrisme sans saveur. Comme d’autres avant lui, il a été submergé par la machine hollywoodienne.