Le 14 octobre 2016
- Réalisateurs : Bertrand Bonello - Noah Baumbach
- Festival : Festival International du Film de La Roche-sur-Yon 2016
Retour sur quatre films de la troisième journée de la 7e édition du festival international de La Roche-sur-Yon, entre teen-movie et film noir. En bonus, une performance de Bertrand Bonello sur fond de Vertigo.
Jalonné par une compétition internationale et de nombreuses sections parallèles (Variété, Trajectoires, Nouvelles Vagues, Passé/Présent, Séances spéciales…), le festival de cinéma de La Roche-sur-Yon renforce ses exigences. Celles d’un cinéma pluriel et joyeusement insaisissable, dont les lignes de démarcation pour cette septième édition font à la fois fi des genres et des styles. De quoi jeter un regard transversal ambitieux sur la production internationale contemporaine. Premiers rendez-vous d’aVoir-aLire dans le cadre de cet événement cinéphile incontournable : le teen-movie Our Huff and Puff Journey, de Daigo Matsui, le docu-fiction chargé d’histoire Tower, de Keith Maitland, le documentaire fétichiste De Palma, signé Noah Baumbach et Jake Paltrow, mais aussi quelques projets résidus hypnotiques des films fantômes Madeleine d’entre les morts et La mort de Laurie Markovich de Bertrand Bonello.
Our huff and Puff Journey, de Daigo Matsui (Japon) - section Trajectoires
Parcours initiatique sensible brassant Hirokazu Kore-eda façon Notre petite sœur, et une esthétique glitch-attitude à la sauce found footage, Our huff and Puff Journey ne manque pas de piquant. Le réalisateur japonais Daigo Matsui utilise la caméra DV et, hors champ, les réseaux sociaux, pour cristalliser la réalité fantasmée par quatre lycéennes traversant le Japon par-delà les interdits pour assister au concert de leur groupe favori - Creep. Ce voyage se lit comme une fuite en avant dans un monde qu’il serait chimériquement possible de soumettre à son imaginaire – un espace où une idylle avec son chanteur de rock préféré serait possible d’un claquement de doigts. En guise de point de non-retour de ce cheminement psychique qu’est la fin de l’adolescence, les plans présents dans le montage, jusqu’alors tournés en caméra DV, disparaissent peu à peu au profit d’une mise en scène en focalisation zéro. Le cadre s’élargit pour sonder le vertige provoqué à l’horizon par les obligations de l’âge adulte, ce trou noir inexorable qui étouffe peu à peu les jeunes filles. Ce road trip en creux fonctionne de manière circulaire : si les protagonistes se déplacent géographiquement d’un point A à un point B, leur quotidien terre-à-terre demeure en amorce et en clôture le même. C’est leur regard et leur trajectoire, dès lors, qu’il leur faut altérer pour trouver un sens à leur existence. Original, le film de Daigo Matsui pêche cependant par une écriture trop délayée et consensuelle.
The Tower, de Keith Maitland (USA) - section Nouvelles Vagues
Comment retranscrire les évènements du 1er août 1966 à Austin, jour où un tireur fou tua 16 personnes et en blessa une trentaine d’autres depuis le haut de la tour de l’université ? Par la distance rendue possible par une représentation imagée, répond Keith Maitland, qui utilise à de rares exceptions des prises de vue d’époque pour développer son sujet. Ici, la neutralité de l’image animée – les acteurs incarnant les véritables protagonistes du drame ont été filmés en motion capture - oblitère l’horreur du massacre du 1er août 1966 à Austin. Manière de mieux saisir les contours de l’évènement, jour noir des Etats-Unis devenu archétype. Même si le pathos guette malgré la prise de recul, et même si le docu-fiction manque de portée critique, ce télescopage entre les drames du passé et leurs échos du présent, se démarque des productions habituelles. Audacieuse mais étrange, néanmoins, cette volonté de mettre en scène le trouble ressenti par les témoins du drame de l’Université du Texas via des nappes de couleurs pour singer une perte de repères. Astucieux, à l’inverse, ces fondus-enchaînés permettant de substituer le véritable témoin à son avatar en image de synthèse, une fois l’indicible évacué schématiquement par les détails du documentaire.
Indignation, de James Schamus (USA) - compétition internationale
Film noir, mélodrame, pamphlet politique ? James Schamus ne choisit pas vraiment. Le cinéaste-producteur enserre la trajectoire de son protagoniste entre le rigorisme de sa famille juive pieuse, et le conservatisme d’une université fictive - Winesburg, Ohio. Dans ce beau film-purgatoire, qui convoque dans sa fibre dramatique en creux autant Elia Kazan que Nicholas Ray, c’est par l’épanchement des pulsions refoulées de Marcus Messner, le personnage central, que ce dernier accède un temps à sa liberté – voir la sortie au cimetière avec Olivia Hutton, ou les visites de celle-ci à l’hôpital. Si les deux lieux de leur rencontre en disent symboliquement long sur la trajectoire de Marcus, qui s’articule comme celle des antihéros de l’âge d’or du film noir, ces moments de plénitude impromptus valent affranchissement. Comme une échappée par-delà l’intégrisme - voir la joute entre Marcus et le doyen. L’on retrouve ici le cynisme et la verve de Philip Roth à chaque instant - Indignation est une adaptation de son roman autobiographique éponyme -, magnifiés par la mise en scène de James Schamus. A noter que le cinéaste était jusqu’ici connu comme l’un des plus importants producteurs de films indépendants : l’homme compte notamment à son actif Tigre et Dragon, Le secret de Brokeback Mountain, Lust, caution, Ice Storm, etc. Autant d’oeuvres qui portent chacune en elles la rébellion latente contenue dans Indignation.
De Palma, de Noah Baumbach et Jake Paltrow (USA) - section Passé/Présent
Le documentaire signé Noah Baumbach (Greenberg, Frances Ha...) et Jake Paltrow passe en revue tous les films de Brian de Palma, de ses premiers courts-métrages les plus délirants à ses films les plus rangés. Le réalisateur évoque ses œuvres face caméra dans une autoradiographie éclair. De quoi rappeler de nombreux détails que les passionnés connaissent, tout en survolant une quantité inépuisable d’informations. Dommage, à ce titre, que certains thèmes de mise en scène vaguement mentionnés ne soient pas davantage approfondis. Le plus intéressant et fascinant dans ce télescopage d’une vie toute entière de mise en scène se situe probablement dans le chevauchement et l’enchevêtrement des séquences clés de la filmographie du cinéaste. Sans en passer exclusivement par les anecdotes du cinéaste, le montage en dit long sur le style si particulier du maître américain, sans lésiner sur son caractère affirmé - de quoi faire passer au passage le Welles de Get to know your rabbit pour un papi gâteux, Sean Connery pour un froussard, ou encore Bob De Niro pour un faignant etc. - et son engagement total. Baumbach et Paltrow ne reprennent la main sur les prises de vue réelles - outre les inévitables plans face caméra de De Palma - qu’en toute fin du documentaire. Le réalisateur y apparaît subrepticement marchant dans une rue de New York, la démarche lourde d’un homme de 76 ans. Celle d’un artiste portant sur ses épaules toute une vie de guerre contre les studios et les compromissions. Celle d’un mégalomane se disant le seul réalisateur à perpétuer l’art hitchcockien. Sans originalité, De Palma se révèle – à condition d’avoir visionné au préalable la quasi-totalité des œuvres du réalisateur sous peine de connaître tous les twists – un bon moyen de synthétiser la carrière d’un des plus grands génies encore en vie du cinéma contemporain.
Les films "fantômes" de Bertrand Bonello
Outre les films projetés, le théâtre de La Roche-sur-Yon accueillait une séance pas comme les autres ce jeudi 13 octobre : la présentation par Bertrand Bonello himself de deux projets avortés soit pour des problèmes de droit, soit pour des difficultés de financement. Tel a été le cas pour Madeleine d’entre les morts - remake de Vertigo conçu du point de vue de Madeleine, et La mort de Laurie Markovich. On notera que Patricia Hitchcock, traumatisée par le Psycho de Gus Van Sant, fit notamment barrage au projet de remake.
Pour exorciser ces films qui n’auront jamais vu le jour, le cinéaste a réalisé un moyen-métrage en 16 mm, My New Picture. Une oeuvre qui s’apparente davantage à une série de plans et d’images servant à illustrer de la musique que l’inverse. Et pour cause : à défaut d’avoir pu concrétiser le projet Madeleine d’entre les morts, le réalisateur parvint à composer une vingtaine de minutes de sa bande originale. Bande originale qui devint en 2006 un album distribué par Shellac à l’instar d’un film (sortie le mercredi sous format image et non pas carré), auquel furent adjointes les images de My New Picture. En résulte une expérience sensorielle étonnante mêlant rock progressif et post-rock. L’une des influences que cite le cinéaste est le jeu de cartes "Stratégies obliques" inventé par Brian Eno et Peter Schmidt. D’où un rapport à la musique se voulant transversal et non pas référentiel chez Bonello, musicien dans l’âme qui travailla notamment avec François Hardy et Daniel Darc.
La soirée bifurqua ensuite sur une performance mêlant un montage son et image réalisé par le cinéaste en live. Des rushs de séquences du film Madeleine d’entre les morts, des pistes tirées de l’album et des prises son servirent entre autres au voyage, avec Isild Le Besco en Madeleine. Un moment dans l’intimité du réalisateur assez fascinant. À noter que Bonnello justifie sa fascination pour Vertigo en parlant d’un film qui fabrique du fétichisme et qui en provoque. Pour lui, le chef d’oeuvre d’Hitchcock se veut plus qu’une date dans l’histoire du cinéma : Vertigo sépare certes le classicisme de la modernité d’un point de vue historique mais les distingue aussi à l’intérieur de lui-même. "Un film que l’on voudrait dévorer, comme Stewart désire dévorer Madeleine".
Mais aussi...
– Festival de La Roche-sur-Yon, part 2 : Kelly Reichardt et les autres... ;
– Festival de La Roche-sur-Yon, part 3 : dans l’antichambre de Lynch et Zappa.
Galerie Photos
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