Le 13 mars 2018
Difficile d’accès, lent et sinueux, ce film magistral est une réflexion sombre qui n’a rien perdu de son efficacité.
- Réalisateur : Wim Wenders
- Acteurs : Nastassja Kinski, Hanna Schygulla, Rüdiger Vogler, Peter Kern, Hans Christian Blech
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h43mn
- Reprise: 14 mars 2018
- Titre original : Falsche Bewegung
- Date de sortie : 22 octobre 1975
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Résumé : Wilhelm, un homme tout ce qu’il y a de plus banal, part à Bonn avec l’envie de devenir écrivain. Dans le train, il fait la rencontre d’un ancien athlète olympique et de sa compagne. Une actrice et un jeune homme les rejoignent. Dès lors, rien ne se passera comme prévu pour Wilhelm...
Notre avis : Goethe (Wilhelm Meister) adapté par Peter Handke pour Wenders, l’affiche ne s’annonce pas comme une plaisanterie. De fait, le film est aride et lent, mais une sorte de cocasserie discrète l’imprègne, un peu comme si Buñuel rencontrait Bresson (auquel on pense beaucoup dans la scène muette entre Wilhelm et sa mère au début). Et pourtant, cette deuxième partie de la « trilogie du voyage » comporte de nombreux moments graves, mais ils sont tempérés par un décalage permanent, une logique du rêve, ce rêve qui est l’un des thèmes majeurs (voir cette séquence dans laquelle chacun raconte le sien). Risquons une hypothèse : le récit est un récit onirique, qui commencerait quand la pendule de la gare semble s’immobiliser ; de là les coïncidences, les invraisemblances (ainsi du personnage joué par Hannah Schygulla, Therese, qui s’éloigne dans un train pour revenir et sait tout de Wilhelm, ou Laertes et Mignon, les deux saltimbanques qui paraissent se dédoubler) ; de là aussi les comportements étranges, tel ce faux oncle accueillant. En prenant le train, Wilhelm, qui veut devenir écrivain, s’ouvre aux possibilités du monde, mais le monde n’est jamais comme on l’attend : espère-t-on de la foule, elle est absente ; souhaite-t-on un miracle en arrivant au sommet d’une montagne, il n’a évidemment pas lieu.
- (C) Wim Wenders Stiftung 2015. Reprise 2018 Les Acacias
Profondément déceptif, le voyage bifurque sans cesse, au gré d’aléas incompréhensibles. C’est d’abord la jeune fille muette, Mignon, interprétée par la très jeune Nastassja Kinski, et son acolyte joueur d’harmonica, qui lui font payer leurs billets et leur repas. Aussi intrigants que le contrôleur, ils vont suivre Wilhelm presque jusqu’au bout. Si Mignon a un rôle de témoin, Laertes représente le passé nazi de l’Allemagne, toujours mal digéré, et dont le héros essaie de se débarrasser en le jetant à l’eau. Mais la tentative échoue, ce traumatisme reste prégnant à l’époque. Therese la comédienne les rejoint ensuite et s’amourache de Wilhelm ; enfin le « poète » Bernhard Landau s’associe au groupe. C’est lui qui les conduit dans la maison de son oncle industriel, qui n’est finalement pas son oncle et se préparait à se suicider, ce qu’il fera par la suite. Mais entre-temps, il aura disserté sur la solitude en Allemagne. Comme lui, presque tous les personnages ont un récit en eux, une histoire dont Wilhelm ne voit pas, lui qui reconnaît n’avoir aucun don d’observation, qu’elles pourrait être la matière même de son livre à venir. Mais on n’est plus chez Goethe : le roman d’initiation n’aboutit à rien, ou du moins seulement à l’ « impression d’avoir manqué quelque chose et de toujours manquer quelque chose, à chaque nouveau mouvement ». Pas de livre donc pour ce faux écrivain : le voyage n’est qu’un « faux mouvement », vide de sens, dans lequel Wilhelm n’a rien appris.
- (C) Wim Wenders Stiftung 2015. Reprise 2018 Les Acacias
L’une des clés est fournie par Therese, qui parle de son sentiment d’ « absurdité ». Le mot est lâché, toutes les bifurcations du monde ne mènent nulle part. Et si les beaux paysages traversés retiennent l’attention, le film se clôt pratiquement dans une « ville-dortoir », anonyme et bétonnée.
Wilhelm est, comme les autres personnages, un être en souffrance : dans l’une des premières scènes, il casse deux carreaux et saigne (comme saignera deux fois Laertes) ; le sens de ce geste ne sera pas donné : quelle rage, quelle impuissance, quelle frustration le provoquent ? Est-ce un symbole de sa volonté de changer de vie, de traverser le miroir, une annonce d’un passage vers un ailleurs fantasmé ? C’est que la douleur, en écho au « mal du siècle » de Goethe, n’a pas de source définie, c’est la douleur d’être, l’impossibilité de trouver un sens qui se propage même chez les personnages secondaires : ainsi entend-on lors d’une promenade un homme hurler : « Vous savez ce que c’est de souffrir ? ». Quant à l’industriel, il parle des Allemands comme des « âmes mortes » et va se pendre, comme sa femme s’est pendue. Bref, derrière des discussions sans fin, des voyages sans destination, pointe un désespoir qui étreint les protagonistes dans leur impossibilité de vivre ensemble, mais peut-être aussi de vivre seuls.
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- (C) Wim Wenders Stiftung 2015. Reprise 2018 Les Acacias
Si le constat est amer, au moins le voyage a-t-il eu lieu (même en rêve) : Wilhelm n’en a pas eu conscience, mais il a vécu un moment fort, des rencontres, lui qui au début n’a pas de « désir des autres » ; comme dans Alice dans les villes, qui finit par une vue aérienne, c’est à dire le début de Faux mouvement, l’important n’est pas l’arrivée, mais le trajet lui-même. Sauf que Philip (vrai écrivain) en tirait une satisfaction, là où Wilhelm (faux écrivain) est incapable de saisir la leçon qu’il a reçue. Il n’a pas vu la beauté environnante, magnifiée par des travellings gracieux, a mal répondu à l’amour de Therese, nié Mignon. Constat d’échec, mais qui donne encore plus de poids à ce film déconcertant, bavard, statique malgré les nombreux trajets (train, voiture, bac), et infiniment précieux. Dans un rêve, Wilhelm dit : « au fil du temps », soit le titre du dernier volet de la trilogie. Faux mouvement est donc l’œuvre de transition, formellement et intellectuellement stimulante, incarnation d’un cinéma moderne qui se cherche et cherche du sens à travers des parcours errants.
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