Sous le soleil (noir) de Satan
Le 6 octobre 2014
Sokourov livre un drame flamboyant sur la corruption et le Mal, à travers une interprétation du mythe qui redonne tout son sens au geste filmique.
- Réalisateur : Alexandre Sokourov
- Acteurs : Johannes Zeiler, Anton Adasinskiy, Isolda Dychauk
- Genre : Drame
- Nationalité : Russe
- Durée : 2h14mn
- Date de sortie : 20 juin 2012
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Sokourov livre un drame flamboyant sur la corruption et le Mal, à travers une interprétation du mythe qui redonne tout son sens au geste filmique.
L’argument : Librement inspiré par l’histoire de Goethe, Alexandre Sokourov réinterprète le mythe. Faust est un penseur, un rebelle et un pionnier, mais aussi un homme anonyme fait de chair et de sang conduit par la luxure, la cupidité et les impulsions.
Notre avis : En ces heures où les films catastrophe ne manquent pas de déferler sur nos écrans, il semble bel et bien que le cinéma ait pris acte d’une finitude : celle de notre monde. Mais ce constat résigné l’invite plus volontiers à afficher un pessimisme racoleur qu’à réinventer activement sa fonction au sein d’une société dont il observe la débandade avec la fausse inquiétude de celui qu’elle arrange. Passée la relative euphorie qu’engendrent parfois les situations d’urgence, encore faut-il proposer une manière de dire, d’inventer le monde, qui corresponde en propre à ce que l’on appelle la création. Sur ce point, bon nombre d’auteurs échouent, ou ont échoué.
Exemple fourni l’an passé par Melancholia. Verbeux, poseur, d’un nihilisme creux, le film ne tenait guère qu’à sa manière de différer, d’une séquence à l’autre, la tant attendue scène de fin-du-monde, sans avoir rien d’autre à proposer au spectateur qu’une pâle critique du conformisme bourgeois - d’ailleurs tout droit pompée de Festen, mais totalement désincarnée, vidée de sa substance. Ôtée à l’humanité sa complexité, ne reste plus que l’os à chien.
Il se trouve justement que Faust s’ouvre par l’auscultation minutieuse d’un cadavre, dont le docteur et son acolyte recherchent l’âme avec une étrange patience. Est-elle dans les mains ? Dans les pieds ? Entre les jambes ? Ces questions peuvent évoquer une situation bien familière au critique, qui s’exerce souvent à rechercher dans un aspect particulier du film (jeu d’acteurs ? montage ? scénario ?) un argument-clé pour le défendre. Mais Faust, comme peut-être toutes les grandes oeuvres, n’est pas réductible aux parties qui le composent. C’est un film qui se regarde pour ce qu’il est : un nouveau monde, une totalité pleine de sens, et c’est ce qui le rend comparable à l’expérimentation proposée par Malick dans The Tree of Life.
Voilà bien deux films qui s’ouvrent sur du vide. Dans un cas, le décès d’un enfant. Dans l’autre, la mort d’un patient, qui réveille chez Faust le désir obscur de jouir et de "savoir", dans toutes les formes pulsionnelles que peut prendre ce terme. Dans les deux cas, le vide s’ouvre sur une matière concrète, sur une véritable expérience proposée au public. L’absence de vie se comble alors par la création d’un nouveau territoire que vont pouvoir investir notre regard et notre "vision".
Cette découverte passe, dans le film de Sokourov, par un véritable voyage initiatique au sein d’un monde carnavalesque, situé à mi-chemin entre un Moyen-Âge ésotérique et un XIX° siècle rural, où les gueux, les criards, les fous, les assassins, les puants, côtoient la bourgeoisie dans une même effervescence visuelle, olfactive et sonore. "Romantique" au sens fort de ce terme, tout à la fois gothique et "goethienne", la vision que nous livre Sokourov des forces du Mal est un enchantement esthétique d’une rare force, et convie le spectateur à une véritable osmose. Pendant plus de deux heures, le public assiste à un ballet perpétuel de mouvements et de mots, orchestré d’une main de maître par le cinéaste. L’invention du monde en passe alors par une géographie complexe, et l’on ne peut que saluer le travail technique dont le film fait preuve. Sous-sols caverneux, tavernes, forêts que l’on croirait tirées d’un roman arthurien, l’oeuvre se lit comme l’expérience d’un homme qui semble redécouvrir le pouvoir symbolique du monde, comme si le pacte scellé avec le Diable avait redonné du sens au réel, en l’investissant d’une double charge érotique et esthétique que le jeu des comédiens appuie subtilement, et dont la sublime photographie de Bruno Delbonnel souligne toute la violence.
Oeuvre d’esthète, le Faust de Sokourov, qui rappelle celui de Murnau à plus d’un titre, brille donc par sa virtuosité. Mais ce "brillant" là n’est pas qu’une simple couche de vernis. Quatrième partie d’une tétralogie consacrée au totalitarisme (entamée par Moloch, poursuivie par Taureau et Le Soleil), le film interroge avec une rare profondeur le désarroi d’un homme conduit à sceller un pacte avec le Mal dans l’espoir de jouir fébrilement de son reste d’existence. Cette confiance immodérée dans le pouvoir d’un seul être, présentée dans le film comme un rempart aux déceptions du monde - le Diable est une figure omnipotente, entourée de créatures diaphanes dont il jouit - ne peut manquer de trouver un écho vibrant au sein d’un monde où la corruption et la levée des extrêmes fascinent, troublent, inquiètent. Aussi le geste filmique de Sokourov se donne-t-il à lire comme une vibrante méditation existentielle et politique.
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