Help me make it through the night...
Le 19 novembre 2014
Un film poignant sur la boxe comme métaphore d’une Amérique des années 1970 au bord de l’asphyxie. Du grand Huston avec Jeff Bridges et Stacy Keach.
- Réalisateur : John Huston
- Acteurs : Stacy Keach , Susan Tyrrell, Jeff Bridges, Nicholas Colasanto, Candy Clark
- Genre : Drame, Film de sport
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h40mn
- Date télé : 31 juillet 2023 19:15
- Chaîne : TCM Cinéma
- Date de sortie : 11 janvier 1973
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Résumé : Stockton, Californie. Billy Tully, un ancien boxeur devenu alcoolique depuis le départ de sa femme, décide de remonter sur le ring pour sortir de sa déchéance après avoir fait la connaissance d’Ernie, jeune talent prometteur chez qui il décèle un potentiel inespéré.
Après la reprise en salles de Reflets dans un œil d’or, John Huston est à nouveau à l’honneur grâce à Wild Side, qui nous gratifie d’une édition blu-ray inédite de Fat City (La dernière chance dans sa médiocre traduction française). Avant Rocky, avant Raging Bull, Huston nous conte de main de maître le parcours d’un ex-boxeur alcoolique en proie au désespoir dans une Amérique des laissés pour compte qui ne laisse guère de place à l’espérance. D’une élégance rare, à la fois sombre et lumineux, un film nimbé d’une aura toute particulière et d’une atmosphère naturaliste typique du cinéma des seventies qu’on retrouvera deux ans plus tard dans Le Carnardeur, le premier film de Michael Cimino, avec en vedette, un certain Jeff Bridges.
Critique : Fat City, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Rencontre d’abord entre deux hommes, deux figures de l’Américain moyen qui n’ont rien d’iconiques et que Huston ne cherche à aucun moment à héroïser. Rencontre aussi entre deux acteurs prometteurs issus du Nouvel Hollywood qui, s’ils ne sont pas d’illustres inconnus (Jeff Bridges vient de connaître la consécration pour son premier rôle dans La dernière séance de Peter Bogdanovich et Keach sort tout juste du tournage du génial Juge et hors-la-loi), ne sont pas encore auréolés du statut de star. C’est sans doute pourquoi Stacy Keach- plus connu pour son rôle de Cameron Alexander dans American History X-, a été préféré à Marlon Brando pour incarner Tully. Le film est entièrement conçu en miroir autour de ses deux personnages principaux : Tully, vieilli avant l’heure et souffrant d’une intenable solitude et Ernie, jeune boxeur talentueux promis à une brillante carrière. Mais Huston se garde bien de laisser la narration se dérouler sans anicroches et, loin d’opposer son couple d’antihéros, ne cesse de les rapprocher. Ils semblent porteurs d’une hérédité naturelle, celle d’hommes condamnés à vivre éternellement la même vie les éloignant peu à peu de leur idéal de gloire. En cela,Fat City s’inscrit parfaitement dans la mouvance des films du Nouvel Hollywood, qui s’appliquent à montrer cet état d’apathie généralisé et brisent la glace pour montrer les miettes, ces morceaux de miroirs qui sont autant de rêves brisés. Fat City, la ville gargantuesque à l’estomac jamais rassasié, s’engraisse de ces hommes et ces femmes-la relation de Tully avec son double négatif féminin (l’époustouflante Susan Tyrrell) est profondément ancrée dans cet engluement urbain (avec ses bars et ses appartements miteux)- et les recrache lessivés, cassant leur volonté dans l’œuf. Il ne faut pas non plus oublier que Tully constitue, par son état de délabrement physique et intérieur avancé, un double hustonien de choix, le réalisateur ayant réalisé le film alors qu’il était déjà sous assistance respiratoire. Un ultime baroud d’honneur donc pour un Huston qui rêvait lui aussi de devenir boxeur avant d’opérer sa mue.
- Stacy Keach & Jeff Bridges
- © 1972 Rastar. All rights reserved.
Si Tully, par sa détermination, parvient plus ou moins bien à renverser la vapeur une ultime fois lors d’un combat aussi épique que désespéré -se prouvant à lui-même qu’il est encore capable de se dépasser pour toucher du doigt son rêve, Ernie n’emprunte nullement la route pavée d’or vers laquelle il semblait naturellement destiné. Archétype d’une jeunesse sacrifiée, il s’avère au final un boxeur dont le talent est mal exploité et retourne peu à peu, comme son anti-modèle Tully, vers une vie sans relief où l’ambition, la volonté de réussir et de s’élever, bases fondamentales sur lesquelles reposent tout la civilisation américaine, sont annihilées purement et simplement. Reste la débrouille, à coup de petits boulots journaliers, pour survivre et prendre soin de sa famille, le sacrifice restant l’un des thèmes de prédilection du réalisateur. Contrairement à Rocky, que certains jugeront trop optimiste, Fat City offre la vision d’une Amérique morose et déprimante où les êtres sont condamnés à stagner -en opposition au mouvement perpétuel inhérent à l’activité du boxeur- et ne peuvent quitter leur pauvre condition, condamnés à répéter inlassablement un même schéma. Stacy Keach, avec ces airs de Vincent Gallo, est un vrai bon gars, comme Rocky, mais il doit sans cesse dealer avec les aléas de la vie et combattre ses propres démons : la peur de vieillir, les regrets, la conviction de n’être personne et de n’avoir aucune place dans la société.
Comme dans tant d’autres films sur la boxe, le boxeur est utilisé comme figure, entre identification et répulsion : il fascine autant qu’il dérange et est de ce fait bouté en touche. Supprimer la marge et arrondir les angles.
- Stacy Keach & Susan Tyrrell at the bar
- © 1972 Rastar. All rights reserved.
Huston n’a pas son pareil pour retranscrire ce qui se passe sur le ring et livre des séquences d’une incroyable vivacité. La caméra, à la manière d’un feu follet, se glisse au milieu des combats, au plus près des deux guerriers, pour en capter l’essence première, originelle, où rien autour ne compte que le brouhaha de la foule, et transcrit en images le fracas des corps meurtris, l’odeur de la sueur et le goût du sang dans la bouche. Pourtant, comme nous le montre clairement le combat final, il ne s’agit plus de gagner ou de perdre, mais de se battre avec ses tripes, jusque dans ses ultimes retranchements, dans le respect et l’honneur. Le corps se fait réceptacle de l’esprit, ne compte plus que la volonté de se dépasser soi-même. Requiem désespéré, quête de l’altérité qui peine à se laisser trouver, réflexion sur le temps qui passe, Fat City est un film somme filmé avec pudeur et tendresse mais moralement éprouvant. La chanson « Help Me Make It Through The Night »-le tube de l’année 1972 aux États-Unis-, qui ouvre et clôt le film comme si la supplique émanait des personnages eux-mêmes, traduit bien le sentiment d’une perte de repères dans une Amérique en pleine crise identitaire. Mais le réalisateur met aussi l’accent sur le besoin d’entraide dans une société où les liens entre les individus semblent bien fragiles, en insistant sur l’amitié indicible qui lie Tully (figure paternelle ambiguë) et Ernie, personnages esseulés si différents et pourtant si proches. « Help », crie John Huston. Un appel à l’aide, à un besoin de changement radical pour pallier la suffocation et le mal-être endurés par bon nombre de ses concitoyens, qui, d’une certaine manière, préfigure le chef-d’œuvre de Scorsese : Taxi Driver.
« Come and lay down by my side till the early morning light
All I’m takin’ is your time. Help me make it through the night.
I don’t care what’s right or wrong, I won’t try to understand.
Let the devil take tomorrow Lord tonight I need a friend.
Yesterday is dead and gone and tomorrow’s out of sight
And it’s sad to be alone. Help me make it through the night. »
LE TEST BLU-RAY
Les suppléments
Pas de bonus audiovisuels hormis la bande-annonce originale du film. Mais cette lacune n’en est pas vraiment une, Wild Side proposant dans le coffret Blu-ray le livre « Le dernier combat » de Samuel Blumenfeld, critique de cinéma au Monde, qui retrace la genèse et l’histoire de ce film finalement assez méconnu. Un ouvrage de plus de 200 pages avec des anecdotes sur le tournage, le choix des acteurs ou la place particulière du film dans la carrière du réalisateur, le tout illustré par de nombreuses photos de tournage et d’affiches du film. Un beau cadeau pour les cinéphiles passionnés.
L’image
Une image bien contrastée et plutôt lumineuse où subsiste un grain encore assez présent, bien que manifestement atténué par le travail de l’éditeur. Un rendu visuel très agréable pour l’œil qui donne un aspect général de douceur, comme si l’image avait été lissée avec soin pour paraître moins agressive.
Le son
Le film bénéficie d’un son DTS Master Audio que ce soit pour la VO ou la VF. Les deux pistes sont propres, les dialogues clairs et l’éditeur semble avoir apporté un soin tout particulier à la musique de Kris Kristofferson, toujours légèrement étouffée, ce qui correspond sans doute à l’utilisation que voulait en faire le pudique John Huston. Sans effets particuliers, le son contribue à renforcer l’ambiance réaliste du film, où chaque son se fond avec les autres pour souligner une ambiance et non la recréer de toute pièce.
– Sortie DVD : 29 octobre 2014
- © Wild Side Video
Galerie Photos
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