Deuils dans le brouillard
Le 13 mars 2007
Prosaïque, linéaire, elliptique, abstrait, foisonnant, poignant et d’une noirceur terrible : du pur Angelopoulos.
- Réalisateur : Theo Angelopolous
- Acteurs : Alexandra Aidini, Nikos Poursadinis
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Italien, Grec
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– Durée : 2h50mn
Prosaïque, linéaire, elliptique, abstrait, foisonnant, poignant et d’une noirceur terrible : du pur Angelopoulos.
L’argument : Selon le réalisateur lui-même : Eleni est le premier film d’une "trilogie qui a pour ambition de raconter le siècle dernier, par le biais de trois histoires qui couvrent trois moments d’un grand amour". Premier volet de trois heures.
Notre avis : Depuis toujours, Theo Angelopoulos signe des œuvres profondes et allégoriques dans lesquelles il fait montre d’une maîtrise exemplaire des diverses composantes du récit. Dans Eleni, son style possède une force presque inédite. Le cinéaste n’hésite pas à reculer les limites de l’intransigeance et joue incidemment avec les codes de la tragédie antique. Comme une sorte de prolongement du Voyage des comédiens, Angelopoulos suit les pérégrinations de personnages victimes des vicissitudes de pays belliqueux et entrelace conflits internes et externes, soubresauts intimistes et événements politiques. En filigrane, il porte un regard acerbe et sans concession sur le passé hellénique, squelette de chacun de ses films. Il en résulte un récit d’une noirceur sans précédent qui pose les questions du deuil, de la providence et de la résistance.
Tout à la fois poète, historien et philosophe, Angelopoulos signe cette fois une œuvre binaire et hypnotique qui fascine autant qu’elle frustre. Elle peut être vue comme un plan-séquence de trois heures suivant le destin morne d’une famille déchiquetée. Le temps des plans et le rapport à l’espace se refusent à l’immédiat de l’explication et constituent une béance à l’imagination. Pointilleux et dialectique (le visuel est en cohérence avec le fond), le réalisateur s’attarde sur tous les détails dans de longs plans très travaillés, au grand risque de passer pour un maniériste. Mais c’est ici que réside la marque de fabrique de son cinéma, aussi expérimental qu’exigeant, brut que sensible.
Sur trois heures, c’est imparfait, mais le résultat est d’une telle densité qu’il peut se permettre toutes les audaces ; il en devient ainsi vierge de tout présupposé critique. La première partie (une heure un quart), poussiéreuse, ne séduit que par intermittence, faute d’enjeux dramatiques explicites. À force d’ascétisme, cela ressemble plus à une oraison funèbre dans une cathédrale d’ennui qu’à une chronique plurielle dense et organique. Puis, progressivement, les défauts se muent en qualités. Et Angelopoulos d’atteindre le sommet de son art : délivrer un flot de scènes sublimement mises en scène qui génèrent un degré d’émotion rare. Plus on avance dans la narration, plus le niveau du film remonte.
Sans modestie (on le dit arrogant) mais avec la passion qui le caractérise, le cinéaste grec a composé une fresque picturale, prosaïque et linéaire, elliptique et abstraite, foisonnante et poignante. Stigmatiser le symbolisme pompier du film serait malvenu puisque cette figure de style constitue l’essence même du cinéma d’Angelopoulos : dans Paysages dans le brouillard (son meilleur film), chaque élément même le plus minime avait une connotation et une signification précises. Qu’on l’aime ou qu’on l’abhorre, un film comme celui-ci appartient à une espèce rare, en voie de disparition, qui, à une grande heure de formatage médiocre, doit à tout prix être préservée.
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