Méfiez-vous de l’eau qui dort
Le 28 janvier 2004
L’auteur et l’éditeur cherchent à ouvrir de nouvelles voies pour la littérature, entreprise suffisamment peu pratiquée pour qu’on la souligne.
- Auteur : Valérie Mréjen
- Editeur : Allia
L'a lu
Veut le lire
Eau sauvage est le troisième roman de Valérie Mréjen, publié, comme Mon grand-père et L’agrume, aux éditions Allia. Un travail où tant l’auteur que l’éditeur cherchent à ouvrir de nouvelles voies pour la littérature, entreprise suffisamment peu pratiquée pour qu’on la souligne.
Par petites touches que l’on assemble comme un puzzle autobiographique, Valérie Mréjen exerce son talent littéraire en dressant le portrait des hommes de sa vie : d’abord son grand-père, dans son premier roman en 1999, puis son petit ami dans L’agrume en 2001 et aujourd’hui son père. Un père qui se plaint de ne pas voir ses enfants assez souvent, mais finalement peu enclin à tenter de comprendre ce qu’ils font et pourquoi, un père qui juge et étouffe, un père très seul au fond. Face à ses récriminations et ses élans de gentillesse, il n’y a pas grand-chose à dire, et c’est pourquoi ses enfants, et tout particulièrement sa fille, se taisent. Eau sauvage, ce sont des échanges de paroles du quotidien, de banalités, entre un père et sa fille. Sauf qu’en fait d’échange, il n’y a que le père qui parle, qui envoie des cartes postales, lance des invitations, pose des questions qui n’attendent pas de réponse, laisse des messages sur le répondeur. Et le blanc qui sépare chacun des brefs paragraphes est comme l’ombre portée d’émotions pourtant simples, mais qui ne trouvent pas de mots pour être exprimées.
Parce qu’une partie de l’art de Valérie Mréjen réside dans son maniement du silence absolu. Alors, quand un personnage se tait, il n’y a personne pour dire ou écrire : "Il se tait". Simplement, le personnage ne parle plus. Et quand un personnage est content ou souffre, on le comprend sans ambiguïté, parce qu’à ce sens du dépouillement total répond un hyperréalisme d’une finesse déroutante, où il n’y a pas que le mot qui est juste, mais aussi le ton, la variation du ton, et aussi le rythme, la ponctuation, les hésitations et les répétitions.
Eau sauvage, ça pourrait ressembler à quelques lignes griffonnées pour un projet de film ou de vidéo (le premier métier de Valérie Mréjen) et jetées négligemment sur du papier. C’est en fait le fruit d’une minutieuse exigence, qui finit par produire comme une petite musique aux sons si apprivoisés et si familiers qu’ils s’accordent parfaitement à nos propres existences. Sans fanfare ni tambour, Valérie Mréjen réinvente, avec une économie de moyen toute maîtrisée, la poésie du quotidien, fait de rares surprises et de sourdes faiblesses, de petites joies et de grands renoncements.
Valérie Mréjen, Eau sauvage, Allia, 2004, 92 pages, 6,10 €
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.