Le 20 juillet 2024
Malgré quelques invraisemblances dans le scénario, ce nouveau film à deux voix est impressionnant d’innovation et de créativité. Un vrai coup de cœur.
- Réalisateurs : Caroline Poggi - Jonathan Vinel
- Acteurs : Thierry Hancisse, Théo Cholbi, Lila Gueneau, Erwan Kepoa Falé, Mathieu Perotto
- Genre : Drame, Thriller, LGBTQIA+, Teen movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Tandem
- Durée : 1h47mn
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 17 juillet 2024
- Festival : Festival de Cannes 2024
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Résumé : Pablo et sa sœur Apolline s’évadent de leur quotidien en jouant à Darknoon, un jeu vidéo avec lequel ils ont grandi. Un jour, Pablo rencontre Night, qu’il initie à ses petits trafics, et s’éloigne d’Apolline. Alors que la fin du jeu s’annonce, les deux garçons provoquent la colère d’une bande rivale...
Critique : Ils mangent, ils dorment, ils vivent jeu vidéo 24 heures sur 24, a fortiori un jeu d’action appelé Darknoon promu hélas à sa disparition proche. Pablo et Apolline sont frère et sœur, d’une complicité affective qui pourrait faire penser à une forme d’amour incestueux qui ne dit pas son nom. Sauf que Pablo, qui en plus de jouer à cette aventure héroïque trafique de la drogue de synthèse, rencontre un bellâtre noir qui va remettre en question cette relation fraternelle ambiguë. Eat the Night joue ainsi avec les styles narratifs et d’animation. En effet, et c’est la plus grande originalité de ce long-métrage écrit et réalisé à deux mains, les personnages principaux confondent leur vie réelle avec celle des héros qu’ils incarnent dans le jeu d’aventure.
Eat the Night aborde avec une grande subtilité la question de l’addiction aux écrans des jeunes et moins jeunes personnes. Pour autant, les réalisateurs privilégient le récit amoureux, sans vraiment s’appesantir sur la dimension moraliste du propos. La relation entre les deux garçons, sous couvert de trafic de comprimés, qui est joliment décrite, avec une belle manière notamment de filmer leurs émois sexuels, est totalement imprévisible dans un domaine où règnent la virilité et le machisme surannés. Les liens qui unissent les deux frère et sœur sont mis en scène avec beaucoup de tendresse et délicatesse, jouant sur une ambivalence. Et c’est là qu’intervient le jeu vidéo où les deux jeunes ont créé un avatar sans doute plus vrai qu’eux-mêmes.
- Copyright Tandem Films
Le cinéma évolue avec son temps. Caroline Poggi et Jonathan Vinel l’ont bien compris en convoquant dans la narration les déambulations guerrières de deux super-héros à travers des contrées dont seuls les jeux virtuels sont capables. Ces incises démultiplient le point de vue de la narration et offrent une dimension très ancrée dans la réalité contemporaine des jeunes gens d’aujourd’hui. En même temps, la fiction dégage une certaine mélancolie où les amours sont promises à la finitude, les projets professionnels et personnels sont arrêtés et les vies de famille se disloquent. En ce sens, Eat the Night témoigne d’une grande détresse des jeunesses actuelles, renforcée par un rapport aux écrans et aux univers virtuels très problématique. On le voit bien avec ces fameux influenceurs qui pullulent sur la toile, faisant croire au plus grand nombre à l’argent facile.
La modernité du propos résonne étrangement avec le cinéma de Leos Carax à ses débuts. La figure du comédien Théo Cholbi rappelle les traits abîmés et poétiques de Denis Lavant, là où son amant, d’une beauté puissante, pourrait faire songer à l’incandescence de Juliette Binoche dans Les amants du Pont-Neuf. Le long-métrage très stylisé promet des œuvres futures qui à la façon de celles de Carax sauront jouer avec le réel et le virtuel et amener la narration à une dimension aussi tragique que spirituelle. Il y a d’ailleurs dans ce film un écho aux traditions classiques du théâtre français où l’amour s’exulte dans la sacrifice.
- Copyright Tandem Films
La vraie limite du film demeure l’écriture qui cède parfois à l’invraisemblance et la facilité. Nombre de passages comme la facilité avec laquelle le protagoniste s’extrait de l’hôpital où il est censé être gardé par des agents pénitentiaires, ou la rivalité quasi sacrificielle entre le couple formé par le héros et son amant et les dealers du coin, sonnent de façon assez caricaturale ou grotesque. Mais là n’est pas le plus important. Caroline Poggi et Jonathan Vinel s’abandonnent à un cinéma de l’inventivité qui revisite les cadres de la narration classique.
Les comédiens s’adonnent avec beaucoup de fièvre à ce labyrinthe des passions tristes. Ils donnent de leur corps, de leurs émotions pour rendre totalement crédible cette fable quasi surréaliste. La poésie côtoie le drame dans la banalité des petites villes de province qui semblent se morfondre dans un ennui sidéral, les marchands de kebab semblant constituer l’attraction centrale des lieux.
Les fans absolus des deux réalisateurs de ce cinéma totalement innovant, à la limite de la science-fiction et de la romance déjantée, pourront trouver sur la plateforme www.mubi.com leur premier long-métrage Jessica Forever et des moyens métrages comme Tant qu’il nous reste des fusils à pompe ou Il faut regarder le feu ou brûler dedans, qui témoignent à leur manière de la force d’innovation du cinéma de Caroline Poggi et Jonathan Vinel.
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