Le 29 mars 2024
Hommage aux disparues de Chillicothe, Du côté sauvage s’enfonce dans la misère sans essayer de leur rendre leur dignité, leur humanité, malgré les (trop) brefs instants de poésie vibrante qu’offre Tiffany McDaniel.
- Auteur : Tiffany McDaniel
- Editeur : Gallmeister
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : François Happe
- Titre original : On the Savage Side
- Date de sortie : 7 mars 2024
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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Résumé : Arc et Daffy sont jumelles, nées à une minute d’intervalle. Unies par leurs indomptables chevelures rousses, les récits de leur grand-mère et une imagination fertile, les deux sœurs sont inséparables. Ensemble, elles fuient un quotidien sordide en plongeant dans un monde imaginaire. Pourtant, irrémédiablement engluées dans les ténèbres familiales, elles ne peuvent échapper aux fantômes qui les hantent. Devenue adulte, Arc lutte toujours avec ses souvenirs lorsqu’on découvre le corps d’une femme noyée dans la rivière. Bientôt, les cadavres s’accumulent. Alors que ses amies disparaissent autour d’elle, Arc se rend peu à peu à l’évidence : tenir la promesse qu’elle a faite à Daffy de les protéger des puissants remous du "côté sauvage" de l’existence s’avère impossible.
Critique : Du côté sauvage est un hommage aux six victimes de Chillicothe, Tiffany McDaniel l’écrit dès les premières lignes. Pourtant, dans ce semblant de true-crime elle malmène ses protagonistes, fait souffrir une énième fois celles qui ont disparu et leur famille en enfermant dans ces pages tous les fléaux imaginables auxquels elles ont probablement dû faire face dans la réalité – fatalité familiale, viols, maltraitance, addiction, prostitution, tortures, fausse-couche, meurtres. Brièvement, ici et là, elle couronne ses héroïnes de fleurs et éclaire leurs traits d’un sourire, tandis que l’amitié réchauffe leur cœur davantage que la drogue qui menace d’y pénétrer, tandis que la grand-mère des jumelles alors enfants les régale d’un conte, déjà avertissement de la douleur qui les attend.
Arc, la narratrice de ce roman magistralement traduit par François Happe, est celle qui, selon la métaphore de sa Mamie Milkweed, est chargée de transformer le côté sauvage de la vie en beau côté, comme si elle rentrait les fils d’une œuvre au crochet, rendait soignées et nettes les broussailles où toutes finiront. À ses côtés, Daffy, la poétesse enfantine, impulsive est restée cette âme jeune et spontanée, trop sans doute, malgré leur jumellité – c’est Arc qui doit être responsable pour elles deux, aînée de pacotille qui ne parvient pas à endurer les souffrances pour elle-même et encore moins pour sa sœur. En parallèle de leur enfance sordide entourée d’une grand-mère soleil disparue trop vite, d’une tante et d’une mère toxicomanes et du fantôme d’un père mort d’une overdose, se déroule leur vie de jeunes adultes auprès d’amies, compagnonnes de seringue. En ombres chinoises, des araignées courent sur les murs de leur vie et sur le sol où sont restées les traces de leurs dessins d’enfants – les hommes sont ici tous malveillants, tous suspects, potentiels tueurs en série, violeurs ou johns qui payent pour marquer au fer rouge les corps qu’ils croient posséder grâce à leurs billets ou à leur virilité.
Ce qui aurait pu être une ode à l’amitié, un roman féministe étincelant, est en réalité une œuvre misandre lugubre et volontiers écœurante où ne pointent que de trop rares rayons de soleil aussi dorés qu’infiniment douloureux – la beauté de certains passages de Betty, le triomphe partiel de la candeur enfantine dans L’été où tout a fondu ne sont ici que des souvenirs malgré la poésie qui se faufile ici et là et transforme pour un instant Du côté sauvage en conte oxymorique, en conte naturaliste d’une noirceur sans espoir aucun. Signer un hommage aussi sordide aux victimes de Chillicothe dont la disparition est déjà lugubre, c’est presque les enterrer une seconde fois, certes parées pour l’éternité de diadèmes de brindilles et de bracelets de perles colorées.
Notons également que Tiffany McDaniel semble se permettre une critique voilée du dernier roman de Barbara Kingsolver, On m’appelle Demon Copperhead – « (…) quelqu’un remportera un prix Pulitzer pour avoir humanisé ce qui était déjà humain » (p. 704) –, ce qui n’est pas très charitable de sa part, puisqu’elle se livre au même exercice dans une veine certes très différente, mais bien moins humaine.
Tiffany McDaniel - Du côté sauvage
Gallmeister
720 pages
26,90 Euros
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